“Le travail bien fait et les progrès doivent nous mettre en situation de pouvoir décrocher une médaille dans chaque discipline en 2024 à Paris”, Serge Lecomte

Dans deux semaines, à l’issue d’une nouvelle assemblée générale élective, qui se tiendra à huis clos au siège de la Fédération française d’équitation, à Lamotte-Beuvron, on connaîtra le nom du président de la Fédération française d’équitation. D’ici là, et depuis quinze jours déjà, les dirigeants de structures équestres sont appelés à départager Serge Lecomte et Anne de Sainte Marie à l’occasion d’un second tour de scrutin inédit dans l’histoire de l’organisation, qui fêtera bientôt son centenaire. Ayant vu sa liste intégralement élue au comité fédéral, le sortant, en poste depuis 2004, entend bien gouverner la fédération pour un – dernier? – mandat de trois ans et demi. Il explique pourquoi, pour quoi faire, et avec quelles ambitions, notamment sur le plan sportif?



Comment avez-vous accueilli les résultats du premier tour des élections ?

Dans l’ordre, j’ai d’abord ressenti de la satisfaction, puisque toute mon équipe a été élue au sein du comité fédéral. Ensuite, j’ai forcément été un peu déçu par la tenue d’un deuxième tour car cela complexifie beaucoup de choses d’avoir une équipe élue d’un côté, puis un second tour avec deux candidats de l’autre. Pour autant, c’est la règle du jeu, issue des statuts de notre fédération, et je l’accepte telle qu’elle est. 

Une fois passés les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo, puis les championnats d’Europe des trois disciplines majeures, maintiendrez-vous, quels que soient les résultats de la France, l’équipe d’encadrement technique actuellement en place jusqu’aux Jeux de Paris 2024?

Compte tenu de la façon dont s’annonce l’événement, il me semble que Tokyo sera surtout une étape. Bien sûr, s’il y a des erreurs manifestes, la question pourrait se poser concernant d’éventuels changements. Mais, aujourd’hui, je n’ai aucune raison de douter de la qualité de l’équipe en place ni du travail effectué auprès des cavaliers. J’ai majoritairement d’excellents retours, de la part de ceux qui font partie des nos Groupes 1 et 2 dans les quatre disciplines concernées par les Jeux. Rien n’est jamais exclu, mais je ne pense pas que Tokyo changera le paysage en vue de 2024.

Lors des débats organisés durant la compagne pour le premier tour de cette élection, vous avez parlé, comme les deux autres candidats, Anne de Sainte Marie et Jacob Legros, d’une équipe qui gagne. Pour autant, depuis les Jeux de Rio, en 2016, l’équipe de France Seniors de saut d’obstacles n’a plus remporté de médaille. Comment analysez-vous cette phase 2017-2019?

Je constate un manque cruel de chevaux de haut niveau, bien que nous en ayons en devenir. Les chevaux ayant déjà disputé les Jeux olympiques, en général, on ne les revoit jamais, en France comme ailleurs. Nous devons continuer à former un vivier de chevaux au niveau d’échéances telles que les Jeux olympiques. Il y a des nations mieux équipées que nous, mais nous sommes à trois ans et demi des Jeux de Paris. Les choses évoluent tellement vite qu’il ne faudrait pas se satisfaire d’être prêt trois ou quatre ans en avance. C’est le jour J qu’il faut être prêt.

Dans quelle mesure et à travers quelles actions la FFE doit-elle s’appuyer sur le fonds de dotation EquiAction?  

Avant de lancer une vraie démarche de recrutement de fonds, nous attendons que les élections soient passées. Le but de ce fonds de dotation lancé par la Fédération (une partie des membres de l’ancien et du nouveau comité fédéral, ndlr) est bien sûr de trouver des partenaires financiers. Nous sommes en discussion avec plusieurs potentiels, mais rien ne se décidera pendant cette période électorale. Dès les élections passées, si je suis toujours en poste, nous verrons, avec Olivier Klein (élu président d’EquiAction, ndlr) et son équipe, comment créer de nouveaux partenariats. Il s’agirait de s’engager auprès des équipes de France, notamment de saut d’obstacles, mais aussi de dressage, avec les Jeux olympiques de 2024 en ligne de mire.

Malgré les efforts visiblement soutenus de la FFE, les équipes de France de dressage et de para-dressage progressent peu dans la hiérarchie mondiale. Quel est votre plan d’action en vue de Paris 2024?

En dressage, nous assistons à un renouvellement complet de générations chez les cavaliers. Certains sont vraiment à l’avant-pointe, comme Morgan (Barbançon-Mestre, qui concourt pour la France depuis 2018 après avoir représenté l’Espagne, ndlr), qui obtient de brillants résultats individuels. Derrière, il y a encore un manque de métier et d’expérience. On peut tout de même noter que nous ne sommes plus dans l’idée d’atteindre la moyenne des moins mauvais, mais de tendre vers des scores qui justifient nos efforts envers nos cavaliers. Il n’y a pas encore suffisamment de résultats, mais il y a un potentiel du côté des cavaliers. Certains sont encore perfectibles, mais ils s’inscrivent dans cette démarche de travail et de progrès nécessaires pour aborder l’échéance de 2024. De même, en para-dressage, même si les médailles ne sont pas encore là, je constate une vraie dynamique de progrès.

En termes d’objectifs, vous avez parlé de trois, voire quatre médailles en 2024? En l’état actuel des effectifs de cavaliers et chevaux, mais aussi de la concurrence étrangère, cela vous semble-t-il réaliste?

Si nous n’avons pas ces ambitions-là à trois ans et demi des Jeux, vu les moyens déployés, il ne faut pas y aller. Aujourd’hui, et demain plus encore, la pression de l’objectif est celle-là. Nul n’est tenu à l’impossible, mais le travail bien fait et les progrès doivent nous mettre en situation de pouvoir décrocher une médaille dans chaque discipline.



“Je préfère des carrières en sable utilisées pour un maximum de concours que des pistes en herbe où l’on ne voit qu’une épreuve de temps en temps”

Hormis en concours complet, où la France enchaîne les podiums, depuis 2014, le bilan tricolore aux championnats d’Europe Jeunes ne comprend, en saut d’obstacles, “que” deux médailles individuelles chez les Enfants et deux autres chez les Juniors, et, en dressage, “que” quatre médailles par équipes et une individuelle uniquement dans la catégorie Enfants, où toutes les grandes nations ne concourent pas encore. Où se situe(nt) le(s) problèmes et comment y remédier?

Avec tous les blocages que nous avons connus pour l’organisation des concours, la période n’a pas été favorable à une bonne préparation, en particulier des jeunes. Tout cela est dirigé par Sophie (Dubourg, directrice technique nationale, ndlr) et son pôle d’entraîneurs. Nous ne sommes pas particulièrement inquiets aujourd’hui. Nous observons que nos cavaliers progressent. Et dès lors qu’ils se trouvent dans un schéma de progrès, on ne peut qu’être satisfaits. L’acharnement au travail et les résultats qui vont en découler nous semblent tout à fait prometteurs.

La France demeure, de très loin, le plus grand pays organisateur de concours hippiques internationaux au monde, grâce notamment à des sociétés, nationales ou étrangères, qui ne cessent de se développer, de se professionnaliser et de proposer toujours plus de dates. Pour autant, bon nombre d’événement traditionnels et populaires, généralement portés par des associations, disparaissent ou s’affaiblissent d’année en année. Faut-il les soutenir ou se satisfaire de ces mutations du paysage événementiel?

D’abord, compte tenu de la double crise sanitaire à laquelle nous faisons face, il faut s’inquiéter pour tous les niveaux de concours, des plus modestes aux plus importants. On peut aussi s’inquiéter quant à la dynamique de reprise de la compétition. J’observe beaucoup de cavaliers qui se sont un peu démotivés. Il y aura un vrai travail de sortie de crise à mener, à la fois pour relancer tous les niveaux de concours, reconstruire des événements importants auxquels nos cavaliers auront envie de participer et encourager les organisateurs. En tout, l’interruption n’aura pas duré six mois ou un an, mais presque deux ans. D’ici la fin de l’année, je pense que rien ne sera effectif. Il y aura un vrai travail de dynamisation de l’ensemble des acteurs de la compétition à mettre en place. De nombreux cavaliers de niveaux Club et Amateur en ont envie et poussent en ce sens. Il faut vraiment s’attacher à remettre tout cela en route. Aux niveaux les plus simples, cela peut aller très vite, avec l’organisation de concours internes dans les clubs, par exemple. En cas de maintien de nos championnats de France cet été ou cet automne, les cavaliers pourront justifier de participations en compétitions et nous aurons ainsi la garantie que les couples ont été préparés.

Il faut aussi avouer que la Fédération est dans une passe difficile, car l’annulation des concours nous retire des recettes sans alléger nos charges. Il va donc nous falloir serrer les boulons, dynamiser et aider à la relance des concours.

En outre, les grands concours sur herbe se raréfient, notamment pour des raisons financières liées à l’entretien de ces pistes? Vous satisfaites-vous de cette évolution? Dans le cas contraire, que faire pour maintenir cette tradition, qui contribue grandement à la renommée de concours comme ceux de La Baule, Dinard, Fontainebleau, Chantilly, Le Touquet ou Maubeuge? Êtes-vous, par exemple, favorable à l’aplanissement et à l’ensablement du Terrain d’Honneur du Grand Parquet?

Je préfère des carrières en sable utilisées pour un maximum de concours que des pistes en herbe où l’on ne voit qu’une épreuve de temps en temps, et où les participants déplorent l’état du terrain une fois la compétition terminée. Dans certains endroits, comme à La Baule, où il y a de la place (et un fort soutien des collectivités locales, ndlr), on peut probablement conserver une piste en herbe. Mais pour les terrains auxquels on veut donner une vraie vocation de centre d’accueil de compétitions, on est obligé de passer à des pistes artificielles, même si l’on peut tenter de concilier herbe et sable en certains lieux.



“C’est la SHF qui a créé la Fédération, il y a bientôt cent ans. Tôt ou tard, je pense que la FFE finira par accueillir la SHF”

Concernant le concours complet, où la France semble de plus en plus dynamique à tout point de vue, il existe un problème récurrent concernant les dotations des belles épreuves. La FFE consent de réels efforts financiers au service des cavaliers et propriétaires dans le cadre du Grand National, comme en dressage et en jumping d’ailleurs. Quel rôle peut-elle jouer pour attirer des sponsors et trouver un équilibre entre des organisations très coûteuses et des cavaliers soucieux de vivre plus dignement de leur sport?

La première étape pour la Fédération est déjà de maintenir à flot les organisateurs de concours complets, pour que nous puissions continuer à avoir des compétitions de tout niveau, y compris internationales. Ce n’est pas chose aisée car certains, là aussi, se professionnalisent de plus en plus, et les autres disparaissent. Je pense qu’il faut s’appuyer sur des collectivités locales et régionales importantes, afin de pouvoir avoir un circuit de concours plus important. Évian, où des organisateurs songent depuis un moment à relancer leur concours, est un bon exemple.

En équitation, les vrais partenaires sont souvent des acteurs de la compétition. On trouve ces personnes-là plus facilement en saut d’obstacles que dans les autres disciplines. En complet, le succès des événements rassemblant un grand nombre de spectateurs, notamment les jours de cross, repose sur des rituels locaux ou régionaux. Une fois de plus, les vrais partenaires se trouvent au niveau des collectivités territoriales, auxquels peuvent s’ajouter des sponsors privés, mais on ne voit plus de grands partenaires nationaux comme il en existait autrefois.

Quelles relations la FFE doit-elle entretenir avec le monde de l’élevage? Serait-il opportun, et pourquoi, d’engager une fusion de la FFE et de la Société hippique française (SHF), comme vous l’avez à nouveau évoqué durant un débat?

Il y a plusieurs choses. Avec Yves Chauvin (ancien président de la SHF, remplacé par Michel Guiot le 15 janvier dernier, ndlr), les relations étaient parfaites parce que nous nous comprenions très bien et que nous étions sur la même longueur d’onde pour trouver des ressources au titre de la solidarité au sein du monde du cheval. Cet aspect fait d’ailleurs débat. En France, les paris sur les courses font l’objet d’un monopole (pour le Pari Mutuel Urbain, ndlr) parce que les recette doivent financer solidairement l’ensemble de la filière cheval. Or, on ne bénéficie finalement que très peu de cette solidarité. Un nouveau président a été élu à la tête de la SHF alors que nous étions en pleine période électorale. Nous avons eu l’occasion de nous parler au téléphone, mais avons remis nos sujets de discussion à plus tard. C’est la SHF qui a créé la Fédération, il y a bientôt cent ans. Tôt ou tard, je pense que la FFE finira par accueillir la SHF. En tout cas, il me semble intelligent de réduire le nombre de structures s’occupant du cheval et de les regrouper pour leur donner de la force. Si ce n’est pas un objectif immédiat, la fusion de la SHF et de la FFE devrait devenir un objectif d’avenir.

Vous avez évoqué l’objectif d’atteindre un million de licenciés. Vous avez toujours œuvré à la démocratisation de l’équitation, avec le succès que l’on sait. Compte tenu de la prise en compte toujours plus grande des notions de bien-être animal, on attend des structures équestres qu’elles prennent grand soin des chevaux et que ceux-ci passent le plus de temps possible dans des paddocks, par exemple. Peut-on vraiment concilier cela avec des tarifs attractifs, condition indispensable de la démocratisation?

S’il n’est pas populaire, un sport n’existe pas. Ce n’est pas la première fois que je le dis, mais quand on veut soutenir le sport de haut niveau et la performance, il faut que son sport soit populaire. Dans notre cas, il nous faut beaucoup de pratiquants car les athlètes de haut niveau ne représentent qu’une partie confidentielle du sport. La popularité du sport sert rigoureusement toute la filière. Ensuite, la transformation des centres équestres n’est pas nouvelle. J’en parlais déjà il y a une vingtaine d’années. J’avais travaillé avec les Haras nationaux à la mise en place d’équipements et écuries types, ce qui n’avait pas toujours abouti. Aujourd’hui, les écuries doivent répondre à trois exigences: une socialisation accrue du cheval à travers une connexion avec le public et les humains, le maintien des relations sociales entre les chevaux, et des travaux d’entretien facilités afin qu’ils soient bien faits. Pour y parvenir, notamment dans les systèmes d’équitation collective, avec des groupes de chevaux, il y a un vrai travail à faire. Cela ne coûtera pas nécessairement plus cher au final mais demandera un peu d’investissements au départ. En contrepartie, cela simplifiera considérablement le travail d’entretien et rendra par conséquent les chevaux plus gentils et plus accessibles au public.

Comment imaginez-vous un club modèle dans dix ans?

Il n’y a pas de recette, car il y a une grande diversité, qui est indispensable, et les différents modèles de club doivent subsister. L’essentiel est que leurs dirigeants sachent adapter leurs structures et les transformer, vers plus de qualité, en termes d’esthétique et de bien-vivre, pour les chevaux, le public et les personnels qui s’y affairent.

Entretien réalisé le 29 mars.