Sécuriser les écuries de concours et vacciner les chevaux

L’ampleur inédite de l’épizootie de rhinopneumonie équine de type HVE-1, partie de Valence en février, a mis en lumière les dysfonctionnements dans la gestion de crise, notamment de la part de la Fédération équestre internationale. GRANDPRIX a choisi d’évoquer ces questions dans l’édito du numéro de mai de votre magazine.



Au moins dix-huit chevaux sont morts en un mois. Combien d’autres ne retrouveront jamais les terrains de sport? Cet hiver, la filière équine a vécu “l’épizootie d’herpèsvirose équine de type 1 (HVE-1 ou rhinopneumonie à symptômes neurologiques) la plus grave en Europe depuis des décennies”, selon les termes employés le 1er mars par la Fédération équestre internationale (FEI). Pour se prémunir de pertes encore plus grandes, il a fallu annuler tous les concours et rassemblements équestres pendant six semaines sur le Vieux Continent, et notamment en France, place forte de cette industrie mondialisée et carrefour des routes menant les chevaux du nord et de l’est vers les sites méditerranéens et atlantiques, si prisés en hiver et en automne. Pour la deuxième année consécutive, les finales des Coupes du monde Longines de saut d’obstacles et FEI de dressage, qui devaient se tenir début avril à Göteborg, ont été rayées de la carte. Un an après le premier confinement décrété pour endiguer la pandémie de Covid-19, le monde du cheval de sport a repris un coup de massue sur la tête.

Désormais, il s’agit de comprendre “comment nous en sommes arrivés là”, et de tout faire pour que cela ne se reproduise jamais. “Nous mènerons des investigations approfondies, dont nous publierons toutes les conclusions. Nous serons complètement transparents à ce sujet”, assure Sabrina Ibáñez, secrétaire générale de la FEI. Il appartiendra à la maison-mère, ses fédérations nationales membres et ses parties prenantes d’en tirer les meilleurs enseignements. Toutefois, avant même la publication des rapports attendus, certaines évidences se dégagent.

En premier lieu, on ne doit jamais temporiser face à un virus aussi violent et contagieux, mais réagir vite et bien pour protéger la santé des chevaux. Au CES Valencia, où l’épidémie, alors diffuse en Europe et en Amérique du Nord, a connu une flambée d’une ampleur inédite durant le mois de février, les organisateurs et officiels ont vraisemblablement tardé à tirer la sonnette d’alarme et prendre les mesures adaptées, à commencer par l’interruption d’une série de CSI prévue pour durer sept semaines consécutives. La FEI aussi a paru en retard à l’allumage, comme l’ont pointé de nombreux cavaliers, propriétaires et vétérinaires restés ou intervenus sur place. L’erreur est humaine, et il n’est pas aisé de prendre la juste mesure d’un foyer quand tant de tests ont donné lieu à des résultats faussement négatifs… Sans l’aide apportée par les fédérations nationales espagnole, allemande et française, la catastrophe aurait sûrement été encore plus terrible.



En second lieu, on doit améliorer les conditions d’accueil des chevaux dans les écuries des concours, où des failles ont déjà été pointées dans des affaires de dopage et de contamination alimentaire, mais aussi lors d’accidents ayant coûté la vie ou la carrière sportive à plusieurs chevaux. “En matière d’épidémiologie, le problème de ces séries de concours réside justement dans le fait que ce sont des séries. Les chevaux restent stationnés plusieurs semaines en grand nombre au même endroit, serrés dans de grandes tentes, avec un grand brassage d’équidés jeunes et âgés, aux statuts sanitaires différents et évoluant à tout niveau d’épreuves. Dans un concours classique durant trois ou quatre jours, les risques sont bien moins importants”, analyse le Dr Jérôme Thévenot, vétérinaire attitré de l’équipe de France de saut d’obstacles et officiel FEI, qui s’est rendu plusieurs fois à Valence, mandaté par la FFE, afin de négocier le rapatriement des chevaux français.

“Les organisateurs vont devoir apprendre à gérer plus rigoureusement les écuries, à commencer par le traitement des boxes, où les choses laissent souvent à désirer”, ajoute Kevin Staut dans le long entretien qu’il a accordé à GRANDPRIX. “Le Club des cavaliers internationaux (IJRC, qu’il préside, ndlr) est régulièrement sollicité à ce sujet par des cavaliers inquiets ou mécontents. […] Comme il y a toujours plus de chevaux et que tous les prestataires travaillent en flux tendu, les parois des boxes démontables circulent d’un concours à l’autre sans désinfection.”

Depuis son siège de Lausanne, la FEI a multiplié les réunions de crise, consultations et tables rondes, afin de suivre l’évolution de la situation et de préparer la reprise des compétitions internationales, finalement fixée au 12 avril, moins de trois mois et demi avant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Tokyo. Elle a adopté un nouveau protocole sanitaire encadrant l’avant, le pendant et l’après-concours au moins jusqu’au 30 mai. Hélas, celui-ci comprend des dispositions si difficilement applicables que de nombreux organisateurs ont préféré jeter l’éponge. “Par exemple, je pense que personne ne sait assurer correctement le contrôle des chevaux au moment de leur entrée dans les écuries. La prise de température dans les camions ou sur un parking est dangereuse, donc inenvisageable en l’état”, a ainsi déclaré le Dr Christophe Schlotterer, praticien francilien officiant en tant que délégué vétérinaire dans de nombreuses compétitions internationales. “J’ai l’impression que la FEI, en procédant ainsi, cherche à se dégager de ses responsabilités. […] Même si elles sont scientifiquement justes, ces mesures trahissent une méconnaissance claire des réalités du terrain.” N’en est-il pas de même concernant le choix très contesté de ne pas rendre obligatoire la vaccination contre la rhino ? “Il n’y a pas de vaccin efficace contre la forme neurologique de cette maladie, alors nous ne pourrons y songer que lorsque ce type de vaccin aura été développé et sera disponible à la vente. […] Par ailleurs, dans différents pays, la FEI se heurterait à des obstacles juridiques, qui pourraient compromettre la mise en place d’une telle politique”, argue Göran Åkerström, directeur du service vétérinaire de l’instance. Pourtant, les autorités de courses hippiques y sont bien parvenues… “Comme tant d’autres confrères, je suis très déçu à ce sujet. […] J’ai entendu les prétextes liés à l’approvisionnement, mais la pénurie n’a duré que quelques semaines. J’entends aussi que la vaccination n’est pas efficace dans tous les cas, et que certains chevaux vaccinés sont tombés malades. Cependant, cela réduit incontestablement la pression virale. Ainsi, les chevaux vaccinés ont moins de risques de développer la forme grave et de contaminer d’autres sujets”, conclut Jérôme Thévenot. Gageons que le bon sens finira par être entendu.