Pour Frédéric Cottier, tout a commencé avec Babette XVII, la jument qui lui a ouvert les portes de l’équipe de France

Qu’ils collectionnent les honneurs ou multiplient les victoires, tous les champions gardent en tête le souvenir d’un cheval qui, à défaut d’avoir marqué leur carrière ou les esprits, a joué un rôle dans leur chemin vers le succès. Dernièrement, Reynald Angot, champion du monde par équipes en 2002 à Jerez de la Frontera avec Dollar de la Pierre, revenait sur ses premiers pas à haut niveau avec le surprenant Paoly. Aujourd’hui, c’est au tour de Frédéric Cottier, chef de piste international et membre de l’équipe de France médaillée de bronze olympique à Séoul en 1988 avec l’inoubliable Flambeau C, de se replonger dans le souvenir de ses débuts aux côtés de Babette XVII, la jument grâce à laquelle sa carrière a pris un tournant décisif.



Quelle monture a marqué vos débuts en tant que cavalier ? 

Elle s’appelait Babette XVII et c’est avec elle que je suis rentré en équipe de France. Seuls les très initiés se souviendront d’elle ! C’était une jument par Montigny (PS, Sicambre x Owen Tudor) et sa mère, Limousine, tirait des charrettes pour aller sur les marchés. 

Comment l'avez-vous rencontrée ? 

Une année, mon ami, le marchand de chevaux Régis Spillemaecker, avait acheté beaucoup de chevaux dans la région d’Angers et nous avions acheté ensemble des produits du Pur-Sang Montigny. Pendant quelques années, j’ai dû en monter au moins quinze. En ce qui concerne Babette, je l’ai débourrée à ses six ans et demi ou sept ans. Avant cela, elle était poulinière. Elle avait dû faire un poulain ou deux, mais comme elle était vide cette année-là, Régis Spillemaecker me l’a confiée. Au bout de deux mois, je lui ai dit de revenir la chercher car elle était extrêmement difficile, elle avait dû me faire tomber une dizaine de fois. Elle avait un caractère bien trempé ! Comme quoi, il est parfois bon d'être persévérant, voire obstiné ! La suite de l’histoire relève de l'indicible et de l’alchimie inexplicable qui s’installe, ou non, dans un couple cavalier - cheval et qui fait que quarante ans après, on s’en souvient encore...

Quel a été votre parcours ? 

Ensemble, nous avons participé, entre autres, aux championnats du monde d’Aix la Chapelle en 1978 et contribué à la victoire de la France dans la Coupe des nations de Rome. C’est avec elle que j’ai décidé d'entamer une carrière de cavalier plutôt que de marchand de chevaux. Elle m’a surtout permis de gravir les échelons du sport jusqu’à me voir confier Flambeau, qui était un cheval fédéral, par Marcel Rozier, alors entraîneur national en 1979. Tout cela est arrivé grâce à une décision que j’ai prise un ou deux ans après l’avoir eue : on m’a fait une offre assez importante pour l’acquérir, que j’ai déclinée. 

Avant cette rencontre, aviez-vous pour ambition de faire un jour partie de l’équipe de France ? 

On rêve toujours quand on est jeune. Cela nous pousse à relever des défis, mais sans savoir si l’on accèdera un jour à notre rêve. Avec Babette XVII, le mien est devenu accessible. De nos jours, les propriétaires font assez facilement confiance à de jeunes cavaliers et il n’est pas rare de voir des cavaliers de vingt-cinq ans faire partie d'une équipe nationale. À mon époque, il fallait avoir fait ses preuves et pour cela, il fallait pouvoir compter sur de bons chevaux. Comme cette jument était à moi, j’ai pu entrer en équipe de France.

Quel genre de partenaire était-elle en piste ? 

Elle avait ce que doivent avoir tous les chevaux exceptionnels, peu importe le niveau auquel ils évoluent : du courage et du respect. Généralement, les vrais courageux ne sont pas très respectueux des barres et inversement. Or, je me suis aperçu que de nombreux cracks sont dotés de ces deux qualités pourtant un peu contradictoires. J’ai débuté avec beaucoup de Pur-Sang et d'AQPS qui étaient des chevaux peu chers et qui nécessitaient d’adopter une équitation très axée dans le mouvement en avant. Quand j’ai décidé de faire du sport mon métier, à vingt ans, j’ai passé un an chez Nelson Pessoa, qui était à l’époque installé à Lamorlaix. Plus tard, j’ai travaillé avec Marc Bertran de Balanda, qui m'a appris à travailler avec des chevaux ayant beaucoup plus d’influx et de tonicité que de force, à les "utiliser". D’ailleurs, Flambeau C était, lui aussi, un fils de Pur-Sang. Nos chevaux français tirent leurs origines des Pur-Sang venus d’Irlande, puis d’étalons comme Montigny, Laudanum ou Boran qui ont apporté du sang aux chevaux normands, ainsi qu’un caractère très “allant”, en comparaison aux chevaux allemands.



"La mondialisation a amené cette uniformité que l’on retrouve maintenant chez les chevaux de sport."

Frédéric Cottier et Babette XVII à La Baule en 1978.

Frédéric Cottier et Babette XVII à La Baule en 1978.

© Collection privée

Quels grands chevaux d’hier feraient partie des cracks d’aujourd’hui ? 

Des chevaux comme Flambeau C (SF, Un Prince xx x Valet Maitre) ou encore Rochet M (SF, Jalisco B x Le Tyrol xx) seraient tout à fait performants parce que l’on saute moins haut et moins large aujourd'hui qu’à l’époque. Avant, les grands cavaliers recherchaient en priorité des chevaux avec de bonnes trajectoires de saut, tandis que maintenant, on veut qu’ils soient rapides et respectueux, ce que ces chevaux-là étaient déjà. Quito de Baussy (SF, Jalisco B x Prince du Cy) ou Calvaro (HOLST, Caletto I x Capitol I), qui passaient du temps au-dessus des obstacles, auraient bien plus de mal aujourd’hui. Il vaudrait mieux avoir Itot du Château (SF, Le Tot de Sémilly x Galoubet A) !

Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’élevage à travers celle des exigences liées à la compétition ? 

À une période, les Haras nationaux avaient inventé le BLUP, qui s'apparenterait à un algorithme dont étaient bannis les Pur-Sang et les Trotteurs Français. Ainsi, les poulains qui naissaient avec une souche Pur-Sang ou Trotteur se retrouvaient avec un indice très bas, ce qui était totalement ridicule. Peut-être que cela a poussé les gens à ne plus avoir recours à ces races-là. Je pense surtout que ces changements sont dus à une multitude de détails accumulés au cours d’une vingtaine, voire une trentaine d’années. Les parcours différaient également en fonction du pays dans lequel on se trouvait et du modèle des chevaux qu'il produisait. En Allemagne, les obstacles étaient massifs et très larges parce qu’ils avaient des chevaux capables de les franchir aisément, tandis que lorsqu’on se rendait à Hickstead, les verticaux étaient très hauts et les oxers peu larges. Finalement, c’était beaucoup plus plaisant à regarder : lorsqu’un Allemand entrait en piste, il était très assis dans sa selle, les rênes un peu longues, tandis que les Américains montaient davantage en suspension et les Français, entre les deux. La mondialisation a amené cette uniformité que l’on retrouve maintenant chez les chevaux de sport. On ne peut d’ailleurs plus vraiment parler d’un élevage allemand, hollandais ou français, mais plutôt d’un élevage européen. Tout le monde est à la recherche du même type de cheval et tous les parcours se ressemblent. On ne pouvait pas imaginer, il y a quarante ou cinquante ans, un instructeur allemand aller donner un stage aux États-Unis, par exemple. 

Qu’est devenue Babette ? 

Sa carrière sportive s’est arrêtée à cause d’une boiterie. Elle est donc redevenue poulinière, mais elle n’a pas beaucoup produit, ni laissé une trace génétique exceptionnelle dans le milieu de l’élevage. Ce n’est jamais facile de mettre à la retraite une jument de douze ou treize ans. Elle n’aura pas été au bout de sa carrière sportive, qui aurait pu se prolonger...