“Il y a actuellement un nivellement vers le bas général en termes de formation”, Marie Pellegrin

Marie Pellegrin défend sans langue de bois sa vision de l’équitation. Récente gagnante de l’étape du Grand National de Pernay, où elle a réalisé le seul parcours parfait avec sa Boréale de Fondcombe, l’amazone, désormais membre du comité fédéral de la Fédération française d’équitation, livre un plaidoyer en faveur d’une meilleure formation des moniteurs et entraîneurs, et souhaite valoriser la notion de transmission et de passion. Elle juge également que toutes les disciplines ont un enseignement à apporter, et que rien ne justifie de dénigrer celles qui sont moins présentes médiatiquement, tout comme il ne faut pas dévaloriser les cavaliers de loisir. 



Quels sujets particuliers souhaitez-vous défendre au niveau fédéral? Le sujet de la formation vous tient à cœurs, puisque vous évoquiez déjà avant votre élection, en octobre 2020, des stages gratuits des cavaliers de l’équipe de France ou de formation d’entraîneur en juste retour des aides versées par la Fédération française d'équitation (FFE)… 

Il est facile de cracher dans la soupe, mais au bout d’un moment, il faut comprendre que notre fédération est celle qui aide le plus les cavaliers de haut niveau. Cet argent, d’où vient-il? Des licences et des clubs. J’étais la première à dire qu’il y a trop de démocratisation, que l’équitation pour tous n’est pas souhaitable. Finalement, je reviens en arrière sur une partie de ces propos. Il nous faut du monde, des gens qui montent à cheval et des licences. Et il faut les encadrer un peu mieux, que les moniteurs soient eux aussi mieux formés. Je ne suis pas d’accord quand j’entends que tout va très bien, car ce n’est actuellement pas le cas. Le problème avec la quantité, est qu’il faut conserver la qualité. Ce n’est pas une fatalité, nous allons essayer d’avancer à ce sujet. De plus, nous ne sommes pas responsables de la qualité du travail de tout le monde. Il est possible d’aider ceux qui ont envie d’évoluer et de progresser. Pour les autres, nous ne pouvons rien. On ne peut pas rendre Serge Lecomte responsable des malheurs et des misères de tous les clubs et de toutes les personnes dans le milieu. Il y a un nivellement vers le bas en termes de formation, est celui-ci est général, c’est la tendance du moment. De plus, tous les professionnels du milieu équestre ne le deviennent pas pour de bonnes raisons. Cela est cependant valable dans pleins de métiers: il y a ceux pour qui c’est une idée comme une autre, et ceux qui sont passionnés.

Que nous cavaliers professionnels donnions des cours aux cavaliers Poneys, Juniors, Jeunes Cavaliers serait un peu délicat, car les entraîneurs privés auraient peur que nous leur piquions leur clientèle. Pourquoi ne pas donner alors des stages aux coachs, et au niveau fédéral, à ceux qui préparent le monitorat? Je suis dans l’équipe Grand National d’Equivallée, et je prends une matinée pour rencontrer les élèves moniteurs, discuter avec eux et leur donner un cours. Je pense que nous devons donner de notre temps pour transmettre le savoir dont nous avons eu la chance de bénéficier, notre expérience, notre passion, notre parcours : cela motive les gens! C’est notre rôle. Si chaque cavalier de haut niveau, dans chaque région et peu importe sa discipline, pouvait donner ne serait-ce que deux jours dans l’année, cela changerait tout. Cela ne représente pas grand-chose et permettrait aux enseignants de progresser. De plus, il faut noter que certains d’entre eux rencontrent également des difficultés à se faire entendre par leurs élèves et ne sont pas toujours réalistes quant à leur niveau…

Ces notions de transmission et de passion sont pour vous essentielles…

Un bon moniteur est une personne passionnée, qui a cette envie de transmettre. C’est comme un professeur. D’ailleurs, le nivellement par le bas commence sur les bancs de l’école. L’éducation nationale n’est plus valable, et comme notre sport n’est qu’un reflet de la société… Nous avons besoin de la quantité de licences pour faire rentrer de l’argent à la fédération. Parmi eux, il y a bien sûr de futurs cavaliers de Grand Prix. Mais il ne faut pas oublier que tout ce qui nous rassemble en premier lieu est la passion du cheval. Que l’on fasse de la compétition ou qu’on fasse de la randonnée, il faut que les personnes qui mettent les enfants à cheval soient passionnés et aient envie de transmettre. C’est comme à l’école, nous avons tous en tête un professeur qui nous a marqués, nous avons tous entendu ou lu une phrase qui a influencé notre vie. C’est ce que j’essaye de faire quand je donne des cours: avec l’animal, pour apprendre à le connaître, il faut de la tolérance, de l’empathie, de la passion. En France, nous disposons d’un savoir sur l’équitation extraordinaire, qu’il faut donc transmettre. L’adaptation à la clientèle est cependant un point crucial.



Le goût de l’effort s’est-il perdu selon vous? 

Chacun est responsable de sa vie et tout le monde ne devient pas professionnel pour les bonnes raisons. Oui, cela demande des sacrifices et beaucoup de travail. Oui, s’occuper des chevaux, c’est sept jours sur sept. Et oui, nous avons par conséquent beaucoup moins de temps pour le reste. Il est vrai que je préfère montrer mon cheval à de bons vétérinaire, ostéopathes et maréchaux-ferrants plutôt d’aller moi-même chez l’ostéopathe ou chez le médecin. Je fais plus pour mes chevaux que pour moi, et tous les bons cavaliers sont pareils. Ce sont des choses simples que nous voulons transmettre. Après une leçon, le cavalier et le cheval doivent être heureux. Quelqu’un de bon vous expliquera les choses simplement, et vous comprendrez.

Il faut améliorer la pédagogie, mais il faut aussi bien faire comprendre à ceux qui s’inscrivent pour être entraîneur, moniteur ou instructeur, que cela exige beaucoup de sacrifices. C’est éreintant, et les gens n’ont plus l’habitude d’être fatigués. Personne ne me contredira là-dessus. Pour certains, nous avons une chance incroyable de pouvoir dire que nous faisons un métier que nous aimons. Cela n’a pas de prix et, dans ce cas, nous ne comptons pas nos heures. Cela reste épuisant. Parfois, tout va mal, que ce soit financièrement ou lorsque des chevaux vont mal… Psychologiquement et physiquement, cela peut être très dur. Mais nous sommes passionnés. Ceux dont ce n’est pas le cas: passez votre chemin et faîtes autre chose. Le bien-être des chevaux et la transmission du savoir passent d’abord par la passion. Cela représente trop de temps et trop d’argent, nous n’avons pas le droit d’être trop feignants et de pleurnicher, il faut le savoir. Quand il y a un jeune apprenti qui intègre mes écuries, je demande à rencontrer ses parents. Je suis responsable de lui, même s’il est majeur, et ils doivent comprendre l’état d’esprit. Aujourd’hui, les jeunes sont au courant de leurs droits mais pas de leurs devoirs. Maintenant, il faut tout obtenir tout de suite, sans effort, mais cela ne fonctionne pas de cette façon! George Morris disait que le talent représente cinq pourcent de la réussite, avec un peu d’humilité. Mon grand-père, lui, me disait toujours: “Souviens-toi, avec les chevaux, tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien.” 

Vous regrettez également qu’aujourd’hui, certaines disciplines soient moins valorisées que d’autres…

Je parle de compétition et de haut niveau parce que c’est mon domaine, mais je suis passée par plusieurs phases, et je connais plein de gens qui sont passionnés par les chevaux et évoluent dans d’autres disciplines, comme la randonnée. Il faut faire comprendre aux gens que l’équitation est une école de la vie, et non pas une simple leçon d’équitation d’une heure. Cela demande beaucoup de choses, qui manquent à certaines personnes. Il est possible de faire découvrir la nature et les animaux à ceux qui souhaitent uniquement partir en randonnée, et c’est un enjeu que de le faire comprendre à tous. Je ne veux pas avoir un discours qui concerne uniquement les cavaliers de haut niveau; nous ne représentons que 5% de notre filière! Le reste des cavaliers ne sont pas présents au haut niveau, et à peine la moitié des licenciés sont des compétiteurs. Un cours d’éthologie est aussi valable qu’un cours d’obstacles ou de dressage. Certains dénigrent les disciplines moins connues et reconnues par les médias. Ce que j’entends et vois autour de moi, c’est un mépris pour ces dernières et pour ceux qui ne font pas de compétition. À la fin, que l’on enchaîne 1,60m ou un mètre, cela revient au même: on fait simplement sauter des bouts de bois à des animaux et, dans tous les cas, cela ne changera pas le monde. Il faut un minimum d’humilité et ne pas perdre de vue que nous avons tous débuté parce que nous aimions les chevaux, les animaux et la campagne. D’ailleurs, compétition ou non, le sujet du bien-être animal est central… Et ce bien-être commence avec l’éducation des personnes qui évoluent au contact des chevaux.

Vous avez d’ailleurs eu la chance de rencontrer de grands hommes de chevaux qui ont nourri votre réflexion…

Mon grand-père, maître de manège au Cadre noir sous le colonel Margot (écuyer en chef de 1945 à 1958, ndlr), était très reconnu dans le milieu. Cet homme exceptionnel m’a mise à cheval. À l’adolescence, on préfère généralement aller sauter ou jouer avec les copains plutôt que d’écouter son grand-père. Maintenant je le regrette, mais c’est trop tard. Quelques années après, j’ai eu des séances avec Patrizio Allori, qui est à moitié cheyenne et italien, qui donne des cours d’éthologie et de compréhension animale. La première fois que je l’ai rencontré, nous étions tous les deux avec un cheval dans le manège et il m’a expliqué le comportement, comment il fallait procéder, se positionner, etc. Et là, je me suis sentie tellement bête et idiote, j’avais l’impression d’entendre mon grand-père! Vous avez un Italien cheyenne et un maître de manège du Cadre noir de Saumur, qui vous disent la même chose, avec des mots différents, parce que ce sont des hommes de chevaux. Cela n’a pas de prix. Ce moment-là m’a mis une claque et prouve qu’il faut s’intéresser à tout. Il faut également se rappeler qu’un cheval, à la base, est sauvage. Dans sa tête, c’est une proie, même s’il est domestiqué depuis des générations. ll faut d’abord intégrer cela, puis la compréhension physique de la mécanique du cheval. Que vous fassiez du reining, du dressage ou autre, les vrais hommes de chevaux se retrouvent toujours. Le discours sera le même, seuls les mots changeront ainsi que certaines méthodes parfois, selon la discipline.