Le testage des jeunes étalons, entre nécessité collective et opportunité individuelle

Ces cinquante dernières années, la discipline du saut d’obstacles a beaucoup évolué. Il semblerait ainsi improbable que les cavaliers actuels risquent leurs précieuses montures sur les ‘fromages” d’Aix-la-Chapelle et des Jeux olympiques de Munich de 1972, célèbres pour leurs lourdes barres naturelles reposant sur des taquets arrondis et des haies ornant le centre des oxers de deux mètres de large. Il est tout aussi improbable que les chevaux d’alors soient à l’aise sur les pistes en sable d’aujourd’hui, jonchées d’obstacles clairs, aux barres légères posées sur des taquets presque plats, à franchir dans des temps impartis de plus en plus courts... Pour s’adapter à ces nouvelles contraintes environnementales, cette évolution sportive s’est doublée d’une évolution génétique des chevaux ou “progrès génétique”. Décryptage.



L’évolution génétique des chevaux de saut d’obstacles repose sur le choix des reproducteurs et des accouplements. En France, jusqu’à la fin des années 1970, ce choix incombait aux Haras nationaux pour les étalons, et était basé sur des critères de conformation, de locomotion et de saut en liberté. Sous la pression des étalonniers privés, le testage de tous les reproducteurs sur les performances en compétition est peu à peu devenu la règle. Désormais, pour séduire les éleveurs, les étalons doivent démontrer leurs talents sur la scène sportive. Une évolution décisive dans l’accélération du progrès génétique.



DE L’IMPORTANCE DU TESTAGE...

Pour vertueux qu’il soit, le testage sur performances n’est pas sans risques: il ne doit ni s’accompagner de pertes dans d’autres domaines utiles à la pratique sportive, comme la rusticité et la longévité, ni laisser s’installer de confusions dans l’esprit des éleveurs entre l’inné et l’acquis des mâles. En effet, l’ADN du cavalier ne se transmet pas aux produits de ses montures! Si le palmarès sportif influe à juste titre sur la notoriété d’un étalon, et donc sur la valeur marchande de ses saillies et de ses produits, les qualités et les défauts qu’il est susceptible de transmettre sont ceux dont il faisait preuve à ses débuts. “Prince d’Incoville (SF, Heros de Cavron x Espoir du Scion) et I Love You (SF, Almé x Nykio), pour ne citer que des étalons dont j’ai vendu les saillies, ont eu des palmarès sportifs extrêmement riches, mais n’ont pas transmis à leurs descendants leurs qualités, qui leur sont venues par le travail. À l’inverse, Contendro I (Holst, Contender x Reichsgraf), Diarado (Holst, Diamant de Semilly x Corrado) ou Balou du Rouet (Old, Baloubet du Rouet x Continue) occupent le devant de la scène mondiale des étalons améliorateurs malgré des palmarès sportifs très modestes”, rappelle ainsi Arnaud Évain, président du Groupe France Élevage.

Et les exemples ne manquent pas! Ainsi, l’équilibre, la souplesse et l’explosivité transmis par Candy de Nantuel (SF, Luidam x Diamant de Semilly) font partie de ses qualités naturelles observées sur le circuit Jeunes Chevaux. De son côté, Baloubet du Rouet (SF, Galoubet A x Starter) possédait dès son plus jeune âge une force, un sang et un respect admirables, parfois au détriment de son style et du contrôle de sa trajectoire. Son palmarès sportif a permis son succès à l’élevage où il a prouvé qu’il transmettait non seulement ses qualités, mais également les facteurs limitants qui le caractérisaient dès ses débuts... “On pourrait multiplier les exemples... Tous concourent à démontrer l’intérêt du testage précoce sur performances et sur descendance des jeunes reproducteurs les plus talentueux”, affirme ainsi Arnaud Évain. 

Le testage a donc pour objet de caractériser ce qui fait l’intérêt sportif des mâles et de mesurer s’ils transmettent leurs qualités afin de s’assurer qu’ils puissent participer au progrès génétique de la population. Si ce n’est pas le cas, les mâles seront alors sans intérêt pour l’élevage, quel que soit leur palmarès. À l’inverse, s’ils transmettent bien leurs qualités, ils seront intéressants du point de vue de l’élevage, indépendamment de leurs résultats… Pour cette raison, il est collectivement toujours plus intéressant de privilégier l’utilisation d’un jeune étalon aux qualités intrinsèques bien identifiées et très supérieures à la moyenne à celle de performers en fin de carrière, aux palmarès bien fournis sous les selles de cavaliers très expérimentés, mais dont on ne se souvient pas des qualités naturelles. De plus, il est important de prendre en compte que dans tous les cas, le testage sur descendance prend six ou sept ans pour délivrer son verdict. De fait, les étalons mis à la reproduction en fin de carrière sportive sont alors souvent morts ou retraités lorsque leurs apports qualitatifs sont mesurés, tandis que les jeunes sont encore dans la force de l’âge et ont devant eux une belle carrière à l’élevage s’ils contribuent réellement au progrès génétique. 

L’intérêt collectif du testage précoce sur descendance des jeunes talents étant établi, reste à en faire partager le goût au plus grand nombre, car il comporte aussi sa part de risque. La solution de ce problème reste la préoccupation première des étalonniers et des stud-books. Ces derniers, garants de l’intérêt général de leurs sociétaires, ont vocation à encourager au testage de la jeune génétique, qui est l’outil de progrès le plus puissant dont ils disposent. De leur côté et comme vu plus haut, les étalonniers ont intérêt à favoriser ce testage pour identifier les caractéristiques transmises par leurs champions en herbe et approvisionner ainsi leurs catalogues en reproducteurs connus et reconnus! “Les actions entreprises en ce sens relèvent du double domaine de la sensibilisation et de l’incitation”, rappelle Arnaud Évain.



... À SON APPLICATION EFFECTIVE

Pour sensibiliser les différents acteurs à la nécessité du testage, plusieurs arguments sont possibles, d’après Arnaud Évain. D’abord en montrant aux différents studbooks que le testage permet de défendre leur race et de l’améliorer au moins aussi vite que leurs concurrentes, tout en conservant l’estime de leurs utilisateurs. “Le désamour, probablement excessif, qui s’est installé depuis vingt ans vis-à-vis de l’AngloArabe est édifiant et devrait être présent dans tous les esprits comme il l’est aujourd’hui dans ceux des défenseurs de la race qui essaient de rattraper le temps perdu”, argue le président du GFE à titre d’exemple. Ensuite, en mettant en avant les avantages de ce testage pour ceux qui ont été les premiers à essayer les stars que sont devenues Jalisco B (SF, Almé x Furioso xx), Quidam de Revel (SF, Jalisco B x Nankin), Diamant de Semilly (SF, Le Tot de Semilly x Elf III) ou Kannan (KWPN, Voltaire, Hann x Nimmerdor, KWPN)... Ils ont été les naisseurs de chevaux plus modernes que leurs homologues, progressant ainsi plus vite et bénéficiant des retombées commerciales de leur perspicacité. “Pour autant, il faut admettre que le testage n’est pas sans risques”, admet Arnaud Évain. “Il arrive parfois qu’un jeune très talentueux ne transmette pas les qualités qui faisaient de lui un étalon prometteur, ou qu’il déçoive dans le sport et sombre dans l’oubli faute d’avoir été suffisamment utilisé pour que ses produits fassent parler de lui.” Dans de tels cas, la commercialisation des produits de l’étalon en question sera donc plus difficile. “Il ne faut alors pas céder à la tentation de mettre à l’élevage les produits invendus... Mais c’est la raison pour laquelle la sensibilisation seule ne suffit pas, et il est important de communiquer sur les incitations financières mises en place”, affirme l’homme à la tête du GFE. 

Concernant les stud-books, cette incitation d’ordre pécuniaire peut prendre plusieurs formes, comme elle le fait au sein même du Stud-book Selle Français, “en augmentant la prime PACE des utilisateurs de jeune génétique (étalons dans les trois premières saisons de monte) et primes aux meilleurs produits de ces croisements sous forme de chèques aux participants aux finales des concours de foals et des finales des circuits jeunes chevaux”. De son côté, l’incitation financière des étalonniers s’applique par le biais de politiques tarifaires très incitatives. Par exemple, avec son offre de solidarité, le GFE propose à tous ses clients la gratuité des soldes de saillie de ses jeunes talents et récompense les meilleurs avec un système de primes aux naisseurs pouvant aller jusqu’à 2000 euros par produit. “Nombre d’autres étalonniers professionnels se sont inspirés de cette politique pour construire des offres également très généreuses visant à encourager l’utilisation de leurs jeunes étalons”, confie Arnaud Évain. Ainsi, des saillies (presque) gratuites et des récompenses financières conséquentes sont autant d’incitations fortes venant pallier les risques du testage pour les éleveurs. 

Aujourd’hui, force est de constater que les stud-books européens figurant parmi les meilleurs des classements mondiaux sont également ceux qui enregistrent le plus haut pourcentage de membres faisant appel à la jeune génétique. Au-delà de la vision à court terme poussant à l’utilisation d’étalons connus pour en commercialiser les produits sous la mère, le testage des jeunes n’est pas seulement une nécessité collective, mais également une opportunité individuelle pour demeurer leader dans son activité de naisseur de champions et s’adapter aux contraintes sportives de demain et d’aprèsdemain. En utilisant de jeunes étalons pour la moitié de ses saillies, un éleveur diminue d’autant son budget. Et si ses choix sont pertinents, il progressera plus vite que ses homologues...

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX.