“Genève devrait être le dernier concours de Quabri”, Pedro Veniss
Pedro Veniss, présent cette semaine au CSI 4* de Gorla Minore et tout juste vainqueur de l’épreuve majeure du jour avec Balada de Colores, a accepté de revenir pour GRANDPRIX sur les raisons qui l’ont poussé à renoncer aux Jeux olympiques de Tokyo avec son charismatique Quabri de l’Isle. Désapprouvant le nouveau format olympique en place à Tokyo, le Brésilien a favorisé le bien-être de son Selle Français, qui s’est légèrement blessé lors du CSIO 5* de La Baule. Déjà de retour, le fils de Kannan s’est montré en pleine forme la semaine passée sur la piste italienne de Gorla Minore. S’il ne veut faire prendre aucun risque à son cheval de cœur, le cavalier souhaite offrir à l’étalon de dix-sept ans une sortie par la grande porte en fin d’année, avant que le bel alezan brûlé, cinquième par équipes des derniers JO de Rio de Janeiro et lauréat des Grands Prix CSI 5* de Genève et Versailles, ne se consacre à la reproduction.
La sélection brésilienne a été officialisée pour les Jeux de Tokyo et vous n’en faîtes partie avec Quabri de l’Isle (SF, Kannan x Socrate de Chivre). Ce dernier s’est légèrement blessé lors du CSIO 5* de La Baule dans la première manche de la Coupe des nations, comment va-t-il?
Ne pas aller aux Jeux olympiques a été la décision la plus difficile que j’ai eu à prendre dans ma carrière. Quabri va très bien, il a pris part au Grand Prix CSI 3* à Gorla Minore dimanche dernier (conclu avec quatre points au tour initial, ndlr). Je l’ai monté ce matin encore, il était super. Avec Philippe Guerdat, nous avons décidé de ne pas l’emmener courir ce championnat. Cela était trop risqué, il a maintenant dix-sept ans. De plus, le format olympique est nouveau et je ne l’aime pas. Avec seulement trois cavaliers, si l’on rencontre un problème avec son cheval au paddock, ou qu’on le sent moins bien, on est obligé de rentrer en piste, sinon l’équipe est éliminée. Cela a beaucoup pesé dans ma décision. Quabri est mon cheval de cœur, je ne pouvais pas imaginer de pas le sentir au top de sa forme à Tokyo et être quand même obligé de dérouler mon tour. Dans un concours classique, on peut se permettre d’engager un autre cheval dans le Grand Prix si on ne le sent pas, mais là, c’est compliqué de dire que l’on ne rentre pas en piste.
Quelle était sa blessure?
Il s’est fait mal à la réception de la rivière. Je pense que c’était juste un coup, ou quelque chose de bénin. Le lendemain, il allait bien, et nous avons effectué tous les examens ensuite, qui n’ont rien montré. La semaine passée, il a sauté les trois épreuves majeures du CSI 3* de Gorla Minore, et il était bien tous les jours. Cependant, les Jeux olympiques demandent des efforts très intenses, et je n’ai pas eu le temps de le mettre cent pour cent en condition comme je l’aurais souhaité.
Est-ce une déception pour vous de manquer les JO alors que Quabri a été préservé dans l’optique d’une participation?
C’est une très, très grosse déception. Mais d’un autre côté, je suis fier d’avoir pu prendre cette décision en faisant de son bien-être une priorité. Je ne veux pas prendre de risque avec lui, il est celui qui m’a fait vivre les plus beaux moments de ma carrière. Avec un autre cheval, j’aurais pu prendre ce risque, mais avec Quabri, c’est différent.
“Je rêve de gagner à nouveau le Grand Prix de Genève”
Philippe Guerdat est l’entraîneur du Brésil depuis 2019. Quels sont vos liens avec lui et comment vous-a-t-il soutenu dans ce moment difficile?
Je dis toujours que nous avons la chance d’avoir le meilleur entraîneur et chef d’équipe au monde ! J’essaie de profiter au maximum de sa présence. Pendant pas mal de temps, j’étais seul. Je me suis entraîné un peu aussi avec Jean Maurice Bonneau, à l’époque où il était notre chef d’équipe, mais il est parti début 2016. Avec Philippe, je suis ravi de pouvoir compter sur un entraîneur de ce calibre, mais surtout sur un tel homme de cheval. C’est important pour moi, c’est l’une des choses j’admire le plus chez les cavaliers et entraîneurs. Nous avons pris la décision ensemble de ne pas forcer avec ce cheval qui m’a donné énormément.
Vous êtes l’un des couples les plus emblématiques du circuit international, et votre cote de popularité est grande en France. Cette année est-elle la dernière saison à haut niveau de Quabri de l’Isle?
Quabri est un cheval spécial, attachant pour tout le monde et le plus noble que j’ai croisé dans ma vie. Il est gentil et beau, donc il a beaucoup de fans dans le monde! J’ai l’impression qu’il en a conscience et qu’il aime ce statut. À chaque fois que nous arrivons en concours, tout le monde vient vers lui et cela le rend heureux. Nous allons mettre en place un programme léger en vue du CHIO d’Aix-la-Chapelle (reporté du 14 au 19 septembre, ndlr), puis du CHI de Genève, qui seront normalement ses derniers concours. Il se consacrera ensuite à l’élevage, car de nombreux de ses produits sautent très bien en liberté. Je reçois presque tous les jours des vidéos de gens qui sont heureux de la descendance de Quabri. Il leur transmet notamment son mental, et je pense que trouver un étalon qui a le même que lui est difficile. J’ai rarement vu un étalon pareil ; sûr de lui, capable de rester trois mois à la maison et rentrer en piste confiant à La Baule, Aix-la-Chapelle ou Calgary. Il donne tout pour son cavalier et tous ceux qui s’occupent de lui. Je souhaite d’ailleurs remercier toute l’équipe qui m’entoure, car tous ont fait énormément pour que Quabri soit en forme pour Tokyo, ainsi que Philippe Guerdat et mon groom Luca. Malheureusement, nous ne prendrons pas part aux JO, mais j’espère que nous vivrons encore de beaux moments avec Quabri d’ici la fin de l’année.
Quels sont les plus beaux souvenirs que vous conservez-de votre association avec Quabri de l’Isle, qui dure depuis 2014 et qui a été marquée par une participation aux JO de Rio de Janeiro devant votre public?
Il y en a trois. À Rio, quand j’ai réalisé un sans-faute dans la première manche de l’épreuve par équipes, et que tout le monde criait “Brésil ! Brésil”, comme si nous étions dans un stade de foot, c’était vraiment spécial. On ne voit pas souvent ça dans notre sport! Et en plus chez nous, devant notre public, c’est vraiment un sentiment que je garderai en tête toute ma vie. De plus, toute ma famille et mes amis étaient présents! Ensuite, il y a la Coupe des nations de La Baule en 2018, qui se tenait alors le dimanche. J’étais le dernier à m’élancer, et je n’avais pas le droit à l’erreur. Le public du CSIO de France est certainement l’un des plus beaux du circuit, avec de vrais connaisseurs – en tant que cavaliers, on sent très vite quand le public s’y connait, ou un peu moins! - qui savaient qui était Quabri, et étaient contents pour lui, de ce sans-faute et de la victoire du Brésil dans la Coupe des nations. Après cette pression, pouvoir rester encore sur la piste avec le public qui n’arrêtait pas de nous applaudir était magique… C’est un moment dont j’ai beaucoup profité! Le dernier souvenir est le Grand Prix CSI 5* de Genève en 2016, qui est le plus important que j’ai gagné jusqu’à aujourd’hui. Il était difficile à croire que j’étais en tête du tour d’honneur, que nous avions remporté le barrage devant quinze autres cavaliers. Quabri n’est pas rapide naturellement, mais il y avait un virage devant un mur où il a pu démontrer de sa générosité. J’ai tourné une demie foulée devant, ce qui nous a permis de remporter le Grand Prix. Le gagner à nouveau est un rêve, nous allons continuer à travailler et tenter de l’amener à Genève dans un état de forme optimal, mais surtout, en restant à son écoute.
“J’espère que le format olympique changera pour les Jeux de Paris”
Disposez-vous dans vos écuries d’une monture qui puisse prendre le relais de Quabri au plus haut niveau?
Oui, Boeckmanns Lord Pezi Junior (Old, Böckmann’s Lord Pezi x Quattro 7), en qui je place beaucoup d’espoirs. Il a terminé avec seulement une faute dans le Grand Prix CSIO 5* de La Baule, qui était sa première épreuve de ce niveau. Je pense qu’il devrait être ma monture pour les championnats du monde l’année prochaine. Il y a également Nimrod de Muze (Z, Nabab de Rêve x Tinka’s Boy), qui a dix ans et des propriétaires français. Nous commençons à prendre part à des épreuves à 1,45/1,50m. Il semble avoir du talent pour arriver à haut niveau. C’est un cheval qui a évolué précédemment avec Laurent Goffinet, puis je l’ai récupéré et la pandémie de coronavirus a tout mis à l’arrêt. J’ai pris mon temps pour l’habituer à mon système, et je suis content de la façon dont il se comporte maintenant, même si la route est encore longue.
Quid de Balada de Colores (OS, Baloubet du Rouet x Couleur-Rubin), ancienne monture de Simon Delestre et victorieuse de plusieurs épreuves à 1,40m cette saison?
C’est une super jument de vitesse, qui vient d’ailleurs de gagner l’épreuve à 1,45m à Gorla Minore. C’est excellent de pouvoir compter sur des chevaux comme cela, très compétitifs sur 1,50m. C’est important d’avoir d’autres chevaux au rendez-vous le week-end, pour pouvoir définir un bon programme en vue du Grand Prix. Balada correspond exactement à cela et elle est en pleine forme actuellement.
Allez-vous suivre les Jeux olympiques de Tokyo? Pensez-vous que le Brésil puisse faire mieux que la cinquième place par équipes à Rio en 2016?
Bien sûr, je serai derrière la télévision pour supporter mes copains brésiliens! Je pense que nous avons bonne équipe et qu’ils se battront pour obtenir le meilleur résultat possible. Il y a beaucoup d’équipes donc c’est difficile à dire si le résultat sera meilleur, mais il y a de bons cavaliers dans l’équipe et avoir un entraîneur comme Philippe aide à ce que tout aille bien! (Rires)
Vous n’êtes pas pour le format d’équipe à trois cavaliers aux JO. Que pensez-vous de la deuxième nouveauté, celle des épreuves individuelles avant les épreuves par équipes?
Je n’aime pas non plus. Avoir les épreuves individuelles avant casse l’esprit d’équipe, qui est très beau dans un championnat, où tout le monde est ensemble au début, puis la finale individuelle se joue. Cela sera différent en courant l’individuel avant. Le format olympique actuel n’est pas du tout à mon goût. J’aime beaucoup le fait de pouvoir changer de couple pour la deuxième manche, comme c’est le cas à Barcelone (pour la finale des Coupes des nations, ndlr), où j’adore le format. C’est magnifique car cela donne beaucoup plus de place à la stratégie pour les chefs d’équipe, et c’est très juste envers les chevaux. Si l’un ne saute pas bien en première manche, on peut lui épargner un second tour avec l’entrée du cinquième cavalier. Je suis pour tout ce qui permet de préserver l’intégrité d’un cheval. Le format barcelonais est l’idéal, et j’espère que cela changera pour les Jeux de Paris. Peu des cavaliers que je connais apprécient ce nouveau format.