“J’ai la chance d’avoir déjà connu l’ambiance des Jeux olympiques et je n’y vais pas pour cela, mais bien pour la médaille”, Nicolas Touzaint

À la fin du mois, Nicolas Touzaint s’envolera pour Tokyo avec ses coéquipiers pour tenter d’aller défendre la médaille d’or décrochée par l’équipe de France de concours complet aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro il y a cinq ans. Cette année, c’est avec le Selle Français de onze ans, Absolut Gold*HDC, que le cavalier angevin honorera sa sixième sélection olympique. Depuis Saint-Martin-de-Bréhal, où les meilleurs complétistes tricolores ont pour habitude de peaufiner leur préparation à l'approche des grandes échéances, il livre son ressenti et parle notamment des conditions inédites avec lesquelles les athlètes devront composer au Japon.



Quelle a été votre réaction à l’annonce de votre sélection pour les Jeux olympiques de Tokyo ? 

Un sentiment de satisfaction. Nous connaissions le potentiel du cheval depuis un bon moment et son évolution a été constante pendant les deux ans au cours desquels nous avons travaillé ensemble. Je m’attendais à une sélection, mais je ne savais pas s’il serait concerné par les Jeux olympiques ou les championnats d’Europe. Les deux me convenaient pour Absolut, que je sens prêt à participer à de belles épreuves. Il a été très régulier cette année et il n’a fait que progresser. Je savais toutefois que le choix du staff fédéral dépendrait aussi des performances des autres, mais l'endurance de mon cheval sur le cross est réellement son point fort et comme nous nous attendons à une journée de cross fatigante pour les chevaux au vu de la chaleur, il sera sûrement bon de pouvoir compter sur lui dans ce test.

Le fait d’avoir manqué d’opportunités pour concourir à l’étranger a-t-il lourdement impacté votre préparation ? 

Pas du tout, car nous avons la chance de bénéficier d’un excellent circuit en France. Concourir à l’étranger nous aurait simplement permis de se mesurer aux autres, mais le contexte est si particulier depuis deux ans et nous avons eu tellement peu de concours que nous étions déjà contents de pouvoir en faire. Heureusement, le circuit du Grand National nous a permis de faire progresser nos chevaux et de nous préparer correctement malgré tout.

La riche concurrence tricolore vous a-t-elle poussé à redoubler d’efforts pour vous démarquer ? 

Si, bien sûr. Je suis avant tout un défenseur de ma discipline. Plus il y a de cavaliers —et notamment des jeunes—, plus il y a de concurrence et mieux c’est pour le concours complet français. Il est vrai que cette année, la concurrence est particulièrement forte, mais je trouve cela très positif. Même pour moi qui commence doucement à faire partie des plus âgés, cela permet de rester motivé et dans le coup. 

Qu’avez-vous pensé de l’évolution Absolut Gold*HDC (SF, Birkhof's Grafenstolz TSF x Verglas xx) tout au long de la saison ? 

C’est un cheval de plus en plus sûr dans les tests de cross et de concours hippique. Je pense qu’il est capable d'être rapide sur n’importe quel cross et de bien sauter le lendemain, mais il peut parfois avoir quelques difficultés en dressage. C’est un très beau cheval, mais disons qu’il a le défaut de sa qualité : il est grand, un peu raide et a parfois du mal à se plier sur le plat. Nous avons mis en place tout un programme depuis deux ans avec Serge Cornut et Jean-Pierre Blanco (les entraîneurs de l'équipe de France de concours complet pour le dressage, ndlr), et une cavalière nommée Amélie Billard vient aussi régulièrement m’aider en dressage depuis le début de l’année. Absolut est passé au-dessus des 70%, ce qui n’était pas le cas l’année dernière et je sens qu’il y a encore de la marge au niveau de la précision et de la présentation de mon côté. 



“Le format imposé des trois couples par équipes va fragiliser les nations fortes”

© Sportfot

Vous êtes propriétaire et éleveur de quelques chevaux de course. La connaissance de cette discipline nourrit-elle vos méthodes d'entraînement et influe-t-elle sur votre rapport à votre sport ? 

Oui, tout à fait. Cependant, toute la difficulté du concours complet réside dans le fait que les trois tests fassent appel à des qualités très différentes, ce qui n'est pas le cas en courses. Mais il est vrai que pour le cross et la préparation physique, mon expérience auprès des chevaux de course m'aide et m'apporte des repères.

La France fait partie des nations favorites pour les JO de Tokyo. Que pensez-vous de cette position ? 

Je n’aime pas forcément ce terme, je trouve que cela ne veut rien dire. J’estime que nous avons nos chances parce que nous faisons partie des bonnes nations dans cette discipline, mais nous ne sommes pas les seuls. La victoire tient à tellement peu de choses dans ce sport, qu’il est selon moi difficile de raisonnablement désigner un favori. Nous travaillons avec des animaux et il peut se passer tout un tas de choses, à la différence des sports uniquement individuels où tout repose sur un seul athlète. De plus, le format imposé cette année de trois couples par équipes, qui nous prive de joker, va fragiliser les nations fortes. Tout ce à quoi nous devons penser, c’est à être bons le jour-J et faire en sorte que nos chevaux soient au meilleur de leur forme.

Quels seront vos objectifs dans ce championnat ? 

Bien évidemment, une médaille par équipes. C’est notre priorité et celle de notre entraîneur. Ensuite, tout dépendra de l’évolution de l’épreuve. S’il faut assurer pour l’équipe, je le ferai et mon résultat personnel passera après. Si pour une raison ou une autre, nous n’avons plus d’équipe et que nous pouvons jouer la carte individuelle, nous aviserons en fonction de la stratégie de Thierry Touzaint.

Comment se passe votre quarantaine à Saint-Martin-de-Bréhal et à quoi ressemblent vos journées ? 

Nous connaissons les lieux par cœur et notre programme est bien rodé. Nous avons nos repères ici, entre les galops sur la plage et le saut d’obstacles et le dressage au milieu de l’hippodrome. Tout se déroule comme d’habitude, à la seule différence que nous sommes cette année en isolement et donc plus tranquilles que d’habitude. Personne n’a le droit de venir, il n’y a pas de promeneurs, ni de journalistes et de conférences de presse (rires). Nous n’allons pas nous promener en ville, ni manger au restaurant le soir, ce qui est un peu triste, mais cela a au moins l’avantage de nous permettre de nous concentrer à cent pour cent sur notre travail. 

Comment est l’ambiance au sein du clan français ? 

Elle est très bonne. Je pense que le stress et la pression viendront un peu plus tard, pour le moment nous sommes encore tous assez détendus.

Après six sélections olympiques, avez-vous le sentiment d’occuper une place particulière au sein de l’équipe ? 

Je ne suis pas encore le plus vieux, alors ça va (rires). Tant que Karim Laghouag et Thibault Valette sont là, je suis protégé (depuis, Thibault Valette a malheureusement dû renoncer aux JO, son exceptionnel Qing du Briot*IFCE s'étant blessé, ndlr). J’ai commencé particulièrement tôt, alors même si j’en suis à six sélections olympiques, je compte bien en avoir d’autres après celle-ci. C’est la particularité de notre sport qui nous permet de pouvoir nous imaginer au meilleur niveau jusqu’à cinquante ans ou plus. J’ai aussi la chance d’avoir des propriétaires qui me suivent depuis un certain temps. Je suis d'ailleurs déjà en train de préparer des chevaux de quatre et cinq ans qui pourront peut-être participer aux Jeux de Los Angeles dans sept ans et j’en ai deux ou trois concernés par ceux de Paris en 2024. Pour ce qui est de ma place au sein de l’équipe, si mon expérience peut servir, tant mieux, puisque l’objectif premier de chaque événement est de ramener un médaille collective. Chacun apporte ce qu’il peut apporter et il est vrai que je connais maintenant assez bien le déroulement de ce type d’épreuves, donc si je peux répondre à des questions, c’est mon rôle de le faire. Je ne suis toutefois pas un donneur de leçon et je n’aurais pas la prétention d’aller dire à qui que ce soit ce qu’il doit faire, mais si on a besoin de moi, je suis bien évidemment présent.



“Mon envie est toujours restée intacte”

En 2012, Nicolas Touzaint a participé aux Jeux olympiques de Londres avec Hidalgo de l'Ile.

En 2012, Nicolas Touzaint a participé aux Jeux olympiques de Londres avec Hidalgo de l'Ile.

© Sportfot

Aborde-t-on une telle échéance différemment lorsqu'il s'agit de la sixième fois ? 

Au début, on peut se dire qu’on y va pour découvrir et vivre une expérience, mais cette fois-ci j’y vais uniquement pour le résultat. 

Vos derniers Jeux olympiques remontent à 2012, entre temps, vous avez vécu une période de creux durant laquelle vous n’avez pas pris part à de grands championnats. Comment l’expliquez-vous et comment avez-vous organisé votre retour au plus haut niveau ? 

J’ai surtout été très performant pendant un certain temps, ce qui fait que l’on peut penser que j’ai lâché le cap à un certain moment, alors que je n’ai rien changé. Mon envie est toujours restée intacte et on peut avoir l’impression que je m’y suis remis en quête du haut niveau aujourd’hui, mais je ne me suis jamais arrêté. J’ai simplement croisé Absolut et le haras des Coudrettes, ce qui m’a permis de repartir de plus belle. La période de 2000 à 2012, lorsque j’avais à la fois Hidalgo de l’Ile, Galan de Sauvagère et Tatchou, n’était pas classique de par le nombre de succès que j’ai pu avoir. Par la suite, on a eu l’impression que j’avais disparu parce que je n’avais pas autant de chevaux au meilleur niveau. Dans une carrière de cavalier, on a forcément des moments de creux, puisque tout ne dépend pas que de nous. C'est aussi une conséquence de la longévité permise par ce sport. 

Avez-vous modifié vos habitudes d'entraînement en prévision de la chaleur au Japon ? Comment appréhendez-vous ce facteur ?

Je pars du principe que les conditions seront les mêmes pour tout le monde. Trouver des conditions similaires chez nous pour s’y préparer est impossible, alors le mieux à faire est d'arriver sur place avec des chevaux qui soient le plus en forme possible physiquement. C’est ainsi qu’il pourront supporter ces conditions particulières. On s’adaptera. 

Appréhendez-vous de ne pas retrouver la même ambiance et la même effervescence cette année en raison des restrictions sanitaires au Japon ? 

Il est certain que ce ne sera pas pareil. Nous avons bien compris que nous n’aurons le droit que de faire le trajet entre nos chambres et les écuries, mais comme nous le savons à l’avance, nous ne risquons pas d’être surpris. Personnellement, j’ai la chance d’avoir déjà connu l’ambiance des Jeux olympiques et je n’y vais pas du tout pour cela, mais bien pour la médaille.

Comment se porte le reste de votre écurie ? 

Très bien. Nous partons tous de chez nous pendant un mois et cela fait partie des particularités de cet événement. Ne serait-ce que pour moi, cette édition est très différente de celles auxquelles j’ai participé auparavant, car j’ai aujourd’hui une épouse et deux enfants. Cela demande beaucoup d’organisation et de sacrifices de ma part, de la part de ma famille, mais aussi de mon personnel, car j’ai une structure à faire fonctionner. Il y a également les propriétaires d’autres chevaux qui me soutiennent, mais dont le cheval ne concourra pas pendant un mois et demi ou deux mois. Nous sommes une équipe et je peux compter sur mon entourage pendant cette absence, notamment pour que tout soit opérationnel et que je puisse concourir à nouveau avec tous mes chevaux dès mon retour.