“L’équipe de France a les capacités d’atteindre le Spécial à Tokyo”, Isabelle Pinto
Alors que de nombreuses nations ont choisi le bouillonnant et mythique site d’Aix-la-Chapelle, en Allemagne, pour vivre leur quarantaine avant de s’envoler pour les Jeux de Tokyo, le quatuor tricolore profite tranquillement des installations du haras de la Forge, à Deauville. Isabelle Pinto, nommée remplaçante avec son fidèle hongre de quatorze ans La Gesse Hot Chocolat vd Kwaplas, est revenue avec bonne humeur sur sa première sélection olympique, l’ambiance au sein du clan français, la forme des chevaux et le soutien apporté par la Fédération française d’équitation. L’amazone, qui s’entraîne à Cabriès, entre Aix-en-Provence et Marseille, a également évoqué les championnats d’Europe Jeunes à Oliva, où sa fille Mado Pinto est en lice avec Hot Bit de la Gesse.
Comment avez-vous vécu l’annonce de votre sélection aux Jeux olympiques de Tokyo avec La Gesse Hot Chocolat vd Kwaplas?
C’est un rêve qui se réalise, une euphorie totale! C’est top, surtout que nous avons eu la chance qu’Emmanuelle (Schramm-Rossi, directrice technique nationale adjointe en charge du dressage, ndlr) nous appelle en compagnie de Sophie Dubourg et Jan (Bemelmans, entraîneur de l’équipe de France, ndlr). Sur le coup, j’étais en ville, j’ai vu un premier, un deuxième puis un troisième appel d’Emmanuelle, je me suis dit qu’il y avait une catastrophe! (Rires) C’était pour officialiser la sélection, quelque chose d’émouvant pour moi, j’ai eu les larmes aux yeux.
Vous attendiez-vous à être sélectionnée ? Vous êtes l’une des surprises de la saison, et les mésaventures rencontrées par Anne-Sophie et Arnaud Serre vous ont probablement bénéficié…
Si la saison dernière a été un peu compliquée pour nous, nos moyennes sont stabilisées depuis décembre entre 69% et 70%. La Coupe des nations de Compiègne s’est bien passée et il s’agissait de ma première sélection en équipe de France. Je me suis alors dit que je pouvais avoir une chance, qu’une sélection serait envisageable, ce qui n'était absolument pas le cas avant. Je savais aussi que le CDI 4* du Mans permettrait de faire le choix de l’équipe pour Tokyo. Là-bas, j’ai présenté une bonne reprise, même si mon cheval était moins disponible que les fois précédentes. Cela m’a cependant prouvé que même dans ces conditions, j’arrive à obtenir presque 69% (68,848%, ndlr), et m’a conforté dans mon idée. Bien évidemment, je savais que si d’autres couples étaient meilleurs que nous, ils nous passeraient logiquement devant. Rien qu’en étant inscrit sur la liste FFE/JOP 2021, on commence à prévoir ses concours et à travailler d’une autre façon, sans forcément rien changer, mais avec plus de concentration et en étant plus attentif à beaucoup de choses. Cela m’a été bénéfique pour progresser.
En conséquence, avez-vous adapté votre préparation et votre programme au cours de la saison?
Le CDI 4* du Le Mans est arrivé très vite après le CDIO 5* de Compiègne, donc nous avons essayé de garder de la fraîcheur. Nous sommes un peu dans le même cas qu’Alexandre Ayache, nous avons beaucoup de kilomètres à parcourir à chaque fois (tous deux s’entraînent dans le Sud de la France, Isabelle Pinto dans les Bouches-du-Rhône et Alexandre Ayache dans les Alpes-Maritimes, ndlr). Le CDI d’Ornago, en Italie, était à six cents kilomètres, c’était presque un concours de proximité! (Rires) Il nous faut treize heures pour aller à Compiègne, onze pour aller au Mans. Il faut donc faire attention à cela. Ensuite, le CDI du Mans était un concours de sélection pour moi, mais également pour ma fille (Mado Pinto, ndlr) pour les Européens Jeunes Cavaliers, pour notre nouvel élève Arthur Barthel, ainsi qu’une cavalière chez les Enfants et une autre en Poneys… Il y avait de la de tension pour tout le monde, et je voulais que mon cheval soit frais, ce qu’il était les deux premiers jours. Je l’ai senti super bien avant le Grand Prix, alors qu’il était plus fatigué finalement le lendemain au moment de présenter la reprise. J’ai essayé de gérer cette fraîcheur malgré les transports, mais ce n’est pas simple. Je ne sais pas si cette performance un peu en deçà de nos standards était entièrement liée à cela, ou alors s’il a senti qu’il y avait plus de stress. Il y avait vraiment des enjeux pour tout le monde, et forcément je m’inquiétais pour les cavaliers! (Rires) Je n’ai pas réussi à rester focalisée uniquement sur moi, car que ce soit ma fille ou des élèves, nous avons envie que tous réussissent.
“Je me prépare comme si j’allais prendre part aux épreuves”
Tous les chevaux de l’équipe de France sont en quarantaine au haras de la Forge, à Deauville. Quelle est l’ambiance sur place et à quoi ressemble votre quotidien?
L’ambiance est super et nous nous entendons très bien. Les chevaux sont très en forme, nous sommes contents d’avoir quatre chevaux qui sont techniquement au point et frais. En étant à Deauville, dans des installations magnifiques et où les chevaux sont au calme, nous sommes sereins. Mon époux devrait être en quarantaine avec l’équipe portugaise à Aix-la-Chapelle (Carlos Pinto est le premier réserviste avec Sultao Menezes, ndlr), mais comme il est mon entraîneur, il l’effectue ici avec son cheval. Nous avons des retours sur la situation là-bas, qui est un peu plus compliquée car il y a toujours sept ou huit chevaux ensemble sur la piste, dû aux nombres d’équipes qui ont choisi ce site pour leur quarantaine. Nous sommes, au contraire, préservés en étant ici. Nous pouvons nous occuper tranquillement de nos montures, Emmanuelle est là, ainsi que Stéphane (Fresnel, vétérinaire de l'équipe de France de dressage, ndlr), et un préparateur mental est arrivé il y a quarante-huit heures (interview réalisée vendredi 9 juillet, ndlr). Nous sommes très bien épaulés. Nous sommes notamment allés nous balader à la plage, et cette après-midi des jeux sont programmés avec Jean-Pascal (Cabrera, préparateur mental des équipes de France, ndlr), pour travailler la cohésion d’équipe. Tous les cavaliers remercient d’ailleurs la Fédération française d’équitation (FFE) et Emmanuelle. Je vois un peu ce qu’il se passe du côté de la fédération portugaise en termes d’organisation pour mon mari, il y a une aide qui n’a rien à voir avec ce qui a été mis en place pour nous. Notre fédération est là pour nous, et cela nous soulage de bien des formalités. Cela nous permet de nous concentrer uniquement sur notre cheval et ce que nous avons à faire dans les prochains temps.
Sur quoi mettez-vous l’accent pour vos derniers entraînements?
Nous sommes tous dans la même philosophie de travail ici. Nous faisons attention à ne pas trop travailler nos chevaux, en choisissant un ou deux exercices par jour, sans faire de grosses séances. L’objectif est de garder leur moral au beau fixe. Jan est arrivé hier et nous a observés ce matin. Nous échangeons tous ensemble, c’est top. Il nous laisse suivre le programme qu’ont nos chevaux habituellement avant de partir en concours.
Comment vous préparez-vous à votre rôle, essentiel, de remplaçante, qui peut vous faire entrer en jeu au dernier moment?
Je me prépare comme si j’allais prendre part aux épreuves. Nous devrons passer la visite vétérinaire comme les autres couples. Dans ma tête, je sais que je n’entrerai certainement pas en lice. D’un côté, j’aimerais courir, et de l’autre, je ne le souhaite pas pour les autres. Tout le monde mérite sa place. Malgré tout, je suis prête et je me concentre. Je ne serai pas frustrée si je ne participe pas, car je suis pleinement intégrée à l’équipe, il n’y a aucune différence ici.
Appréhendez-vous le voyage et le climat nippon?
Pour le climat, des températures très hautes nous ont été annoncées. Pour l’instant, nous suivons la météo comme tout le monde, et les températures tournent autour des 28/29 degrés. Il y a pas mal de pluie apparemment, même si nous ne savons pas s’il pleut toute la journée ou si ce sont des averses. J’avais vécu les Jeux à Hong-Kong en 2008 avec mon époux, et si les chevaux sont bien préparés, c’est comme pour les athlètes, tout se passe bien. Concernant le vol, l’équipe logistique a l’habitude de faire voyager des chevaux en avion. Stéphane sera là, si certains ont besoin d’être perfusés – peut-être qu’ils le seront tous – et pendant les dix-neuf heures dans l’avion, ils auront de l’eau, du foin, et seront sous surveillance. Beaucoup voyagent en avion ; quand on n’a pas trop cette expérience, on s’inquiète, mais on sait qu’il n’y a pas de raison et que tout est fait pour que cela se passe au mieux.
“Notre force est d’être un groupe où les notes sont homogènes”
Quelle est votre position au sujet du passage des équipes de quatre à trois cavaliers?
L’explication qui a été donnée est que cela est lié aux plages horaires pour les diffusions télévisées. Plus de chevaux ne peuvent pas participer, et cela permet d’ouvrir les épreuves à plus de nations. Avoir le maximum de pays représentés est l'idée même des Jeux olympiques et de ce point de vue, c’est super. Même si cela empêche certains cavaliers de très haut niveau d’y aller, l’esprit des JOP est cette ouverture et de donner sa place à tout le monde. Après, nous avons des championnats d’Europe et du monde pour que les meilleurs se confrontent également. Les Jeux sont le Graal pour tous les athlètes. C’est très émouvant. La première fois que mon mari a été sélectionné, à Hong-Kong, et en plus en compagnie de son frère, je pleurais quand je les voyais entrer! Du coup, mon mari n’arrête pas de me demander comment je vais faire quand j’arriverai à Tokyo, alors je lui réponds que pour l’instant, je n’y pense pas! (Rires) Depuis que nous sommes en quarantaine, nous commençons à nous rendre compte que, ça y est, nous allons aux Jeux. C’est incroyable.
On vient d’apprendre qu’en raison de l’état d’urgence sanitaire à nouveau en vigueur, les épreuves olympiques dans la capitale nipponne, dont celles des sports équestres, se dérouleront sans spectateurs. Cela n’enlèvera-t-il pas une certaine saveur aux Jeux ?
Certainement, mais nous avons l’habitude en dressage de ne pas forcément faire trop attention au public. Bien évidemment, les applaudissements à la fin de la reprise sont toujours appréciés! Avec nous, tout le staff sera présent, nous serons quand même entourés. C’est une décision politique et si elle a été prise, c’est que cela est plus sage pour tout le monde. Au moins, nous avons la chance que les Jeux aient lieu, ce qui n’était pas gagné d’avance.
Comment évaluez-vous les chances de l’équipe de France, composée de Morgan Barbançon Mestre avec Sir Donnerhall II, Maxime Collard avec Cupido PB et Alexandre Ayache avec Zo What?
L’objectif est d’atteindre le Grand Prix Spécial, donc d’être parmi les huit meilleures équipes. Je pense que l’équipe de France en a les capacités. Morgan fait un peu la course en tête, et au Mans Maxime était juste derrière. Si nous réitérons ces moyennes, c’est possible. Alexandre a remis Zo What en route, et nous savons qu’il est capable d’atteindre les 72%. Je sais aussi que, si je dois intégrer l’équipe, je suis capable d’obtenir entre 70 et 71%. Comme le dit Jan, mon cheval a la capacité de faire mieux, même s’il manque encore un peu d’expérience, et il continue de progresser. Encore ce matin, il allait vraiment bien. Notre force est d’être un groupe où les notes sont homogènes, alors que précédemment, un couple pouvait être plus de 4% devant les autres. Même si l’un fait une petite contre-performance, les autres feront leur travail. Il y a actuellement un très bon mental, tout le monde est concentré et y croit. C’est la première fois que je vis cela, mais je le vis bien! Je ne sais pas si je suis tombée la bonne année, mais c’est super! (Rires)
Votre fille Mado Pinto est actuellement avec Hot Bit de la Gesse à Oliva, en Espagne, pour les championnats d’Europe Jeunes Cavaliers. Comment cela se passe-t-il pour elle?
Concernant l’épreuve par équipes, nous avons vu la reprise en vidéo. C’était un tout petit peu moins bien que d’habitude, et elle a été pénalisée par la moyenne d’un juge qui la place quarante-neuvième (avec 63,235%, alors que deux juges l’ont évalué à plus de 69%, ndlr). Ce sont des choses qui arrivent et il faut l’accepter, c’est la discipline. C'est compliqué pour elle d’être seule là-bas, bien que Muriel Leonardi soit là pour l’épauler. Ce n’est pas la même chose que si nous étions avec elle et nos élèves. Nous aurions aimé pouvoir y aller ; il était prévu au départ que je reste avec les chevaux et que Carlos aille en Espagne. Avec la Covid, nous ne pouvons pas prendre ce risque. En effet, si nous sommes cas contact, cela met en péril toute l’équipe. Nous les avons donc un peu sacrifiés, mais cela les fera aussi grandir, il n’y a pas d’échec. Nous remercions d’ailleurs le haras de la Gesse, car grâce à eux je peux aller aux Jeux, tout comme mon mari, et ma fille aux championnats d’Europe. C’est important d’avoir des propriétaires et sponsors comme eux