“La France peut viser la médaille d’argent”, Donatien Schauly
La nuit dernière, le cross du concours complet olympique de Tokyo a largement remanié la hiérarchie issue du dressage. Seulement neuvième après ce premier test, la France s’est hissée sur la troisième marche du podium provisoire d’une épreuve qui s’annonce indécise jusqu’au bout, grâce au parcours parfait de Karim Laghouag et Triton Fontaine et aux prestations très convaincantes de Christopher Six et Nicolas Touzaint, en selle sur Totem de Brécey et Absolut Gold*HDC. En lice pour les médailles, par équipes comme individuelles, les Bleus n’en auront pas moins fort à faire demain, toujours sans droit à l’erreur. Après ce cross inédit, l’adjudant-chef Donatien Schauly, qui avait vécu les JO de Londres en 2012, et notamment glané le bronze par équipes aux Jeux équestres mondiaux de Tryon, en 2018, livre son analyse.
Une très belle épreuve, mais...
Ce cross a été intense et riche en rebondissements, ce qui est logique puisque les équipes n’ont plus droit à l’erreur étant donné que tous les scores comptent. La moindre faute se paie cash. C’est la vraie nouveauté de cette formule. Par ailleurs, comme je le pressentais, les obstacles frangibles ont joué un rôle important, puisque le dispositif du 14c s’est déclenché pas moins de sept fois, pénalisant des cavaliers parmi les meilleurs, dont l’Allemand Michael Jung, qui a non seulement alourdi le score de l’Allemagne, mais peut-être aussi dit au revoir à une troisième médaille d’or consécutive qui lui tendait les bras, tant il a facilement dominé ce parcours avec Chipmunk. Je pense aussi à l’Irlandais Sam Watson et au Suisse Felix Vogg, qui ont rencontré la même mésaventure. Ce n’est pas rien. Après, n’ayant pas vu tous les passages sur ce 14c, on peut difficilement en tirer des conclusions. Certains cavaliers ont peut-être péché par excès de vitesse. Il faudra analyser cela plus tard.
Ces obstacles ont pour but de renforcer la sécurité de nos épreuves en réduisant le nombre d’accidents, surtout les plus graves. Je n’en rejette pas le principe, car cela peut éviter de potentiels drames, mais je pense aussi qu’on pourrait parfois attirer l’attention des chevaux sans cela, juste en habillant davantage les obstacles, par exemple. La sécurité est un enjeu fondamental, mais il faut parvenir à trouver le juste équilibre pour ne pas dénaturer notre sport, où les chevaux sont habitués à aller au feu, à galoper et frôler les obstacles fixes de cross. Et je trouve dommage de pénaliser des cavaliers n’ayant pas commis de faute technique. À nous aussi, cavaliers, d’adapter notre équitation pour évoluer avec notre sport.
Pour le reste, c’était un parcours exigeant, mais pas infaisable pour les meilleurs couples. Certains ont même réussi à rentrer dans le temps imparti en prenant une option longue. C’était un parcours bien adapté aux disparités de niveau technique liées à la nature du plateau de couples en lice. On a vu certains cavaliers de nations émergentes souffrir par fébrilité face à la pression de l’enjeu et aux difficultés techniques, mais pas tous non plus. Certes, il y a eu des dérobades çà et là, mais pas tant que cela, et peu d’accidents, ce qui est essentiel. Notre sport progresse. Dans l’ensemble, j’ai trouvé que c’était une très belle épreuve.
Les Britanniques en démonstration
Pour les grandes nations de notre discipline, ce cross a donné lieu à du très beau sport. Il faut évidemment saluer les performances impeccables des couples britanniques, qui pointent désormais tous les trois dans le top six individuel. Il n’y a rien à dire sinon qu’ils nous ont offert une belle leçon de ce qu’il fallait faire. On pouvait se poser la question de comment des chevaux à grande action allaient se sortir de ce parcours où les obstacles étaient très rapprochés. La réponse a été évidente. On a vu des chevaux beaux, bien montés, en équilibre et sauter toutes les difficultés proposées par Derek di Grazia dans la fluidité. À son arrivée, Toledo de Kerser, le cheval de Tom McEwen, semblait particulièrement frais, l’encolure vers le haut et les oreilles vers l’avant. Du reste, sauf exception, les chevaux semblent s’être plutôt bien adaptés à ces conditions climatiques extrêmes (le thermomètre a atteint 40°C un peu plus tard dans la journée, avec un taux d’humidité de 60%, ndlr).
L’Allemagne guère à la fête
L’Allemagne a peut-être craqué sous la pression. Au-delà du coup du sort subi par Michael Jung, Sandra Auffarth, qui avait déjà un peu peiné au dressage, a essuyé une dérobade de Viamant du Matz dès le deuxième gué. Elle est toujours très énergique, mais là, j’ai senti chez elle une envie peut-être trop accentuée de rentrer vite à bon port. Elle est partie fort alors qu’elle monte un cheval rapide et qui saute très bien. Peut-être aurait-elle dû prendre le temps d’installer davantage Viamant dans son parcours, et n’ouvrir les vannes qu’une fois le cheval relâché et en confiance. Je pense que c’est une erreur stratégique dans l’abord de l’épreuve. Cet obstacle n’avait rien d’insurmontable pour eux; il suffit de voir à quelle vitesse Sandra est revenue le sauter. Pour briller dans ce sport, il faut avoir confiance en soi, mais aussi rester vigilant à tout moment. C’est ce que les Français, mais aussi Julia Krajewski, pour rester en Allemagne, ont bien fait à mon goût.
Coup de chapeau aux Français
Nos trois couples se sont super bien comportés du début à la fin de ce parcours, sans prendre de risques démesurés, notamment vis-à-vis des obstacles frangibles. J’ai trouvé les cavaliers très concentrés, sachant ce qu’ils avaient à faire. Nicolas et Christopher ont concédé une et quatre secondes sur le temps imparti, mais ils ont bien abordé chaque obstacle. Quant à Karim, il a tout bien assuré. En dehors des frangibles, ils n’avaient grand-chose à craindre. Ce n’est pas une surprise, dans le sens où l’on connaît leur talent de crosseurs. Christopher a dû rassurer tout le monde après son parcours très sérieux. C’est une belle remontée, à poursuivre évidemment.
Demain, il y aura d’abord une seconde visite vétérinaire à passer, mais je ne suis pas trop inquiet, car nos chevaux avaient l’air bien à leur arrivée. On peut compter sur les grooms et tout le staff de l’équipe de France pour s’occuper d’eux au mieux. Tous les soigneurs présents là-bas sont de vrais professionnels. Nul doute qu’ils sauront gérer le retour des chevaux sur le site principal des épreuves équestres, et leur permettre de récupérer au mieux de leurs efforts. La visite peut tout de même réserver quelques surprises, mais espérons que les médailles se joueront en piste.
Concernant le saut d’obstacles, je suis assez confiant dans le sens où nos trois couples brillent généralement, voire toujours, dans cet exercice. Nous avons trois cavaliers expérimentés et parfaitement entourés et armés techniquement. Karim a parfois rencontré des difficultés avec Triton sur ce test, mais il sait exactement ce qui n’allait pas et pourquoi. Je ne m’inquiète pas à ce sujet. Une faute peut toujours arriver, qui plus est avec la pression, mais je les sens bien, y compris face à la perspective de sauter deux manches, en vue du classement individuel. Pour l’équipe, je pense que la France peut viser la médaille d’argent. Ça va être chaud, car l’Australie est juste devant, mais la Nouvelle-Zélande juste derrière!