“Pour les Américains, le fait d'avoir concouru toujours au même endroit cet hiver a pu être handicapant”, Patrick Caron

Après la première épreuve qualificative de saut d'obstacles des Jeux olympiques, qui a vu les espoirs de médaille individuelle s’envoler pour quelques grands noms de la discipline, Patrick Caron est revenu sur les surprises de cette manche, n'oubliant pas de mettre en exergue les effets du nouveau format olympique. L’ancien cavalier de haut niveau et sélectionneur de l’équipe de France livre ses favoris pour la finale individuelle de demain.



Qu’avez-vous pensé du parcours, des différentes performances et des quelques surprises auxquelles nous avons assisté cet après-midi? 

Je vais d'abord revenir sur le fond et non sur la forme, et sur cette formule mise en place par la Fédération équestre internationale (en effet, la finale individuelle se joue désormais avant la compétition par équipes, un cavalier ne courant pas en individuel peut rentrer en lice pour la compétition par équipes, et ces dernières ne sont désormais composées que de trois cavaliers, ndlr). Certains cavaliers viennent de l'autre bout de la planète avec leurs chevaux pour arriver à Tokyo, font tomber l'obstacle numéro 1 par malchance, et doivent déjà repartir... C’est le cas par exemple d’Edwina Tops-Alexander, qui n’a plus d’équipe et en a donc terminé avec la compétition après un tour à quatre points seulement. Avant, il y avait la première épreuve, les deux tours de la Coupe des nations puis la finale individuelle; c'était suffisant et les chevaux restaient frais. En plus, cette formule a été créée pour intégrer de nouvelles nations dans notre sport, soit, mais si l'on veut que des nations émergentes progressent en saut d'obstacles, un seul parcours ne suffira jamais à les faire évoluer, donc cela ne sert strictement à rien. Ils sont en train de tuer la plus belle épreuve de notre sport, l’épreuve par équipes. C’est vraiment dommage. Cette formule est incompréhensible... 

Une fois que j'ai dit ça, je dois dire bravo au chef de piste (l'Espagnol Santiago Varela, ndlr). Avec soixante-treize cavaliers au départ, trente d'entre eux sont sortis sans faute, dont quatre avec des points de temps dépassé, pour trente places. Ce parcours était digne de l'épreuve majeure du premier jour d’un CSI 5*, donc très bien dosé! Demain, à moins d’un parcours initial qui va engendrer de lourds scores, il va falloir départager les cavaliers sur la base d’un Grand Prix classique comme on en voit tous les week-ends. Tout va se jouer sur la taille, la largeur des obstacles et la délicatesse du parcours. 

Selon-vous, quels cavaliers se sont détachés du lot et ont leurs chances demain pour la finale individuelle? 

J’ai pu relever une douzaine de cavaliers qui dominent leur sujet et qui peuvent, selon moi, monter sur le podium demain. J’ai tellement défendu la France pendant des années que je vais être un peu chauvin, mais pour moi Nicolas Delmotte a vraiment ses chances. Urvoso du Roch est en grande forme. J'ai trouvé que le cheval de Ben Maher (Explosion W, ndlr) sautait très bien. Le cheval de Martin Fuchs (Clooney 51, ndlr) a énormément de respect. Niels Bruynseels était très bien également (avec Delux van't & L, ndlr), tout comme Luciana Diniz (avec Vertigo du Désert, ndlr), Daniel Deusser (avec Killer Queen, ndlr), Grégory Wathelet qui monte extrêmement bien (Nevados, ndlr), et Jérôme Guery a été formidable avec Quel Homme de Hus. Pour moi, Darragh Kenny est un candidat sérieux, un très bon cavalier et fait preuve d’un grand sang-froid, tout comme Scott Brash, qui gagne énormément depuis très longtemps. Peder Fredricson est une valeur sûre (avec H&M All In de Vinck, ndlr), Henrik von Eckermann (et King Edward, ndlr) également. Cian O’Connor (avec Kilkenny, ndlr) a la rage aux dents depuis sa médaille retirée aux Jeux olympiques d’Athènes en 2004. Pour finir, je vais également mettre une pièce sur Beat Mandli (et Dsarie, ndlr). Je suis tout de même triste de ne pas voir des cavaliers comme Steve Guerdat, Kent Farrington ou encore Laura Kraut aller en finale, c’est vraiment dommage.

Il n'y a eu en effet que deux cavaliers brésiliens à s'élancer aujourd'hui (si Pedro Veniss avait dores et déjà prévenu qu'il disputerait uniquement la compétition par équipes pour préserver Quabri de l'Isle, Rodrigo Pessoa, sur place avec Carlito's Way, aurait pu tenter sa chance, ndlr). Cela doit être un choix technique et tactique de la part de Philippe Guerdat et du staff fédéral. Peut-être que cette épreuve, additionnée à la finale individuelle, pouvait porter atteinte à une éventuelle performance dans l’épreuve par équipes. Phiippe Guerdat a dû préférer garder ses deux meilleurs atouts pour cette épreuve. Il faut parfois faire des choix!

Il n’y aura aucun Américain en finale individuelle, ce qui a dû arriver très peu de fois dans l’histoire des Jeux olympiques. Comment l'expliquez-vous? Épargnés de l'épidémie de rhinopneumonie, ils ont été les seuls à avoir pu disputer des concours de haut niveau cet hiver aux États-Unis. Auraient-ils sauté un poil trop de concours? Ou est-ce un simple coup du sort?

Honnêtement, je ne pense pas qu’ils aient trop sauté en début d’année. Je pense que le fait d'avoir une épreuve nocturne, avec des obstacles aussi imposants et une rivière, a perturbé certains chevaux qui ont peut-être été plus regardants. Certains chevaux ne devaient tout simplement pas être habitués à ces conditions, même si nous avons eu connaissance de ces éléments bien avant l’épreuve. Les installations sont formidables et les chevaux ont l’habitude de voyager. Je pense que, pour les Américains, le fait d'avoir concouru toujours au même endroit (à Wellington la plupart du temps, ndlr) a pu être handicapant. Les chevaux s’habituent aux terrain et peuvent être davantage surpris quand ils découvrent de nouvelles pistes. C’est un avantage d’être en Europe car les chevaux changent d’endroit chaque semaine et s’adaptent ainsi plus vite. Même le coronavirus ne les a pas empêchés de voyager! Dans cette formule particulière, nous pouvons nous attendre à voir un cavalier assez peu régulier en temps normal se glisser sur le podium. 

Comment avez-vous jugé, globalement, le niveau des chevaux et des cavaliers? 

À part un cavalier qui a mal abordé la spa (le Syrien Ahmad Saber Hamcho, qui a chuté de son cheval Deville sur cet obstacle, ndlr) et quelques chevaux qui ont fort regardé la rivière, dont une chute (de l'Israélien Alberto Michan après un refus de son cheval Cosa Nostra, ndlr), les autres étaient plutôt à l’aise. Il n'y a pas eu de gros score, donc il faut encore dire bravo au chef de piste, qui a remarquablement dosé les efforts!