“Certaines stratégies, comme celle de Philippe Guerdat, qui a laissé Rodrigo Pessoa et Pedro Veniss au repos, peuvent être payantes”, Patrick Caron
Après la finale individuelle des Jeux olympiques qui s’est tenue hier, à Tokyo, Patrick Caron, ancien grand sélectionneur de l’équipe de France, est revenu sur cette épreuve et analyse les performances étrangères. L’ancien cavalier évoque avec le podium olympique, la supériorité suédoise et les différentes surprises qui ont ponctué cette journée de sport.
Qu’avez-vous pensé de cette finale?
C’était une belle finale, avec de bons cavaliers. Cependant, pardonnez-moi d'y revenir, mais décerner des médailles au terme d'un simple barrage au chronomètre est tout de même très éloigné de la formule mise en place depuis 1972, qui instaurait une répétition de plusieurs manches dans l’esprit de la devise “plus vite, plus haut, plus fort” de Pierre de Coubertin. La différence entre la médaille d’or et la médaille d’argent se résume à 0’’17 secondes... De plus, des cavaliers ont aussi préféré abandonner après plusieurs fautes pour ne pas fatiguer leur cheval, et parce qu'il y a l’épreuve par équipes derrière, et ce n’est vraiment pas l’idéal en termes de promotion de notre sport. Malgré tout, cela n’enlève évidemment rien au mérite des cavaliers qui ont réussi à signer des sans-faute et à celui des médaillés. Encore une fois, le chef de piste Santiago Varela a effectué un super travail parfaitement dosé, même si certains cavaliers méritaient de monter sur le podium! Le tour initial regorgeait d’astuces et il n'y a eu aucun accident ou gros score, il n’y a rien à dire. Le double avec une spa en entrée et un oxer en sortie est extrêmement rare. Le travail derrière la rivière (suivie d'un vertical, ndlr) était délicat, tout comme l’avant dernier oxer, composé de quatre barres roses. Au début, pendant un moment, j'ai cru que Santiago Varela était tellement fort qu’il n’allait sortir que trois sans-faute pour trois médailles, puis ils sont arrivés après.
Qu’est-ce que vous inspirent les trois médaillés?
Il n’y a pas eu trop de surprise, à part Maikel van der Vleuten, que l’on n'attendait pas si haut dans le classement. Je n’avais pas misé sur lui au début mais il a été formidable! Je n’avais pas non plus mis Malin (Baryard-Johnsson, ndlr) dans mes pronostics, je lui avais préféré Luciana Diniz, mais c’était une super performance. Le Japonais Daisuke Fukushima a réalisé un formidable exploit et a fait preuve de beaucoup de sang-froid et de maîtrise, associé à un cheval très puissant (Chanyon, ndlr); c’était magnifique! Henrik von Eckermann monte très bien et est toujours là dans les grands rendez-vous. En somme, pour moi, le top de cette épreuve revient à Daisuke Fukushima. Pour le flop, je mettrais cette faute si bête de Nicolas Delmotte, alors que le cheval (Urvoso du Roch, ndlr) sautait très bien. Le cheval a prouvé qu'il était techniquement capable de signer un double sans-faute dans l’épreuve par équipes et c'est de bon augure. Il y a eu quelques surprises, notamment avec Jérôme Guéry (victime d'un refus de Quel Homme de Hus sur le tout dernier obstacle, ndlr). Je crois que les membres de son équipe ont sifflé dans les tribunes pour le prévenir qu’il ne rentrerait pas dans le temps imparti; cela l'a peut-être déconcentré et poussé à demander quelque chose d’impossible à son cheval.
Qu’avez-vous justement pensé de la performance des Belges, champions d'Europe en titre?
Ils ont cruellement manqué de chance... Ils étaient très attendus en individuel et le sont toujours par équipes. Honnêtement, je ne sais pas pourquoi le cheval de Niels Bruynseels n’a pas voulu franchir l’obstacle, ni pourquoi il est resté collé dans le coin comme ça (Delux van't & L a refusé à deux reprises de sauter l’oxer numéro 4, signant l’élimination du couple, ndlr). Pour ce cas précis, je prends un joker car je ne comprends vraiment pas. Concernant Grégory Wathelet, c’est un cavalier remarquable et il n'a fait tomber qu'une barre, donc cela reste correct.
“Pénélope Leprevost a une rage incroyable et va s’appliquer à 200%”
La pression si intense des Jeux olympiques a peut-être pu influer sur les résultats?
Pour Martin Fuchs et Clooney 51 par exemple, qui formaient probablement l'autre couple ultra-favori avec Ben Maher et Explosion W. Oui, quelle cruauté... Le moindre élément perturbateur peut tout faire s’écrouler. Martin et Clooney semblaient un poil moins sereins que la veille. Cela rend la performance du Japonais, qui a dû atteindre plus que son rêve, encore plus merveilleuse! Cette finale individuelle était une très belle épreuve, mais cruelle. Souvent, certains de mes élèves peuvent être un peu euphoriques lorsqu'ils gagnent une épreuve, avant de faire quatre points au tour d’après. En ce moment j’aime reprendre, en toute humilité, le poème de Rudyard Kipling:
“Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les rois, les dieux, la chance et la victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un champion de cavalier” (initialement, “tu seras un homme, mon fils.” ndlr)
Je trouve ce passage très vrai. Ben Maher devait préparer ce jour depuis vingt ans, tout comme ceux qui ont vu leurs espoirs être anéantis dès le premier ou le deuxième obstacle de l’épreuve qualificative.
Est-ce que les performances d’hier vous donnent des idées pour la compétition par équipes?
La Suède semble être complètement au-dessus du lot! La Suède est très forte. Certains chevaux seront peut-être moins frais (les trois couples suédois s'étaient qualifiés pour le barrage de la finale individuelle, ndlr) et les cartes peuvent être rebattues. Certaines stratégies, comme celle de Philippe Guerdat (sélectionneur du Brésil, ndlr), qui a laissé Rodrigo Pessoa et Pedro Veniss au repos pour la compétition individuelle, peuvent être payantes. Il en va de même pour la France, qui va prendre Berlux Z (le cheval de Simon Delestre, ndlr) pour l’épreuve par équipes (il remplacera Mathieu Billot et Quel Filou 13, ndlr). Toutes les nations vont opter pour des stratégies différentes afin de disposer de chevaux plus ou moins frais. Le parcours olympique d'hier a nécessité de réels efforts. Les chevaux sont en super condition, mais ceux qui ont disputé la finale individuelle pourront être un ton en dessous des autres. Je pense que le niveau de l'épreuve par équipes sera similaire à celui de la toute première épreuve, avec une ou deux difficultés supplémentaires seulement.
Sur quelles équipes mettez-vous une pièce?
Je crois en l’équipe de France. Nicolas (Delmotte, ndlr) a vraiment concédé une toute petite faute hier, à un endroit auquel on ne s’attendait pas du tout (le couple s’est retrouvé avec une distance un peu longue sur l’oxer placé en numéro cinq, ndlr). Urvoso a survolé les principales difficultés donc il reste le leader de l’équipe de France. Derrière, Pénélope Leprevost a une rage incroyable et va s’appliquer à 200%. Simon Delestre, lui, arrivera bien frais avec Berlux Z. Rappelons-nous qu'à Rio, les Français avaient gagné après des rebondissements, avec une bonne technique et une bonne motivation. Ça sera serré et intense, comme toujours. Il y aura des moments de joie, des bras en l’air après la ligne d’arrivée, et des pleurs. Par équipes, un barrage n’est d’ailleurs pas à exclure. Cela va être intéressant et j'ai hâte de voir ça!