“Je tiens à tirer mon chapeau à Peder Fredricson”, Patrick Caron
À l'issue du sacre olympique de la Suède, qui n'était plus arrivé depuis les Jeux olympiques de Paris en 1924, Patrick Caron livre ses impressions et son analyse sur cette finale par équipes pleine de surprises. Revenant évidemment sur les prestations tricolores, l'ancien sélectionneur des Bleus, qui n'hésite jamais à partir au charbon pour défendre sa vision du sport, évoque à nouveau le nouveau format olympique, qu'il espère voir à nouveau débattu ces prochaines semaines.
Qu’avez-vous pensé de la prestation de l’équipe dans cette finale par équipes des Jeux olympiques?
C’est un sport cruel. Il est difficile de tirer des conclusions aussi tôt pour l’équipe de France, et j’aurais évidemment aimé que nos cavaliers imitent nos complétistes. Vancouver (le cheval de Pénélope Leprevost, qui a refusé par deux fois en début de parcours, entraînant l’élimination de l’équipe de France, en passe de conserver son titre olympique, ndlr) est un cheval sensible ; plus sensible que beaucoup d’autres. Dans certaines circonstances, il peut hélas avoir ce genre de réactions. Pénélope doit encore peaufiner certains réglages et parvenir à rendre le cheval plus fiable. Elle disposait d’un autre cheval, Excalibur de la Tour Vidal, qui n’était pas prêt pour un tel rendez-vous. C’était son choix et celui de l’équipe de sélection.
Je veux dire bravo à Thierry Pomel, qui a eu le nez fin en sélectionnant Berlux Z (la monture de Simon Delestre, ndlr), car le cheval a été impressionnant. Il n’avait pas fait grand-chose avant ces Jeux (le gris n’avait couru “que” onze Grands Prix 5* et n’avait jamais disputé de Coupe des nations, ndlr). Je suis heureux pour Nicholas Hochstadter, le propriétaire de Berlux, que j’ai entraîné quelque temps. J’ai de l’admiration pour ce cavalier (il a notamment participé aux championnats d’Europe de Madrid en 2011 avec Elton, ndlr), dont ce n’est pas le métier en plus, qui a une vraie passion du sport. Je lui ai envoyé un texto tout à l’heure pour lui dire que le cheval va sûrement avoir Paris 2024 comme objectif vu ce qu’il a montré! C’est un cheval avec de grandes capacités et il a montré de belles choses.
Quant à Mathieu Billot, je lui tire mon chapeau. Il s’agissait de ses premiers Jeux olympiques et il a très bien rectifié le tir depuis les tracasseries du premier jour (Quel Filou avait refusé un obstacle lors de la première épreuve individuelle mardi, ndlr)! Il n’avait jamais couru de grand championnat et s’est montré très au point, que ce soit sur le plan psychique ou technique. Aujourd’hui, il a monté sa finale avec une vraie intelligence technique, notamment dans les combinaisons, qui peuvent être délicates pour un cheval avec une telle amplitude. Peut-être que cela lui permettra de courir à nouveau des grands rendez-vous! Ces Jeux olympiques ont permis à la France, qui a en charge l’organisation de l’édition prochaine en 2024, de voir où elle en est.
“Tous les changements de règlements et de formats doivent aller dans le sens du bien-être du cheval”
Si l’on connaissait le talent intrinsèque et exceptionnel de H&M All In de Vinck, le crack de Peder Fredricson, King Edward, la monture d’Henrik von Eckermann, a montré l’étendue de son talent cette semaine. Que conseillerez-vous à Janika Sprunger, compagne du Suédois et propriétaire du cheval, qui va probablement être assaillie de propositions d’achat? Vendre ou ne pas vendre?
Telle est la question... Elle m’a été posée il y a longtemps par une amie passionnée, qui avait formé deux jeunes chevaux et avait reçu des offres mirobolantes sur un terrain de concours. Elle m’avait appelé car elle ne savait pas quelle décision prendre. Je lui ai répondu « Est-ce que vendre ces chevaux changera quelque chose à ta vie, et en as-tu besoin ? » Elle les a finalement gardés et a vécu des années formidables avec ses deux chevaux, certainement les plus belles de sa vie, ils sont décédés tous les deux sept ans plus tard. Dans la vie, il faut savoir vivre ces passions et ses joies. Aussi, je tiens à tirer mon chapeau à Peder Fredricson, un excellent cavalier qui a été phénoménal avec H&M All In de Vinck, après tout ce que le cheval a vécu (l’incroyable petit bai a survécu à de graves coliques et une opération de l’intestin, ndlr).
Les Jeux olympiques sont terminés pour ce qui est des épreuves équestres. Si l’heure n’est pas déjà au bilan général et que vous avez déjà largement évoqué les conséquences négatives du nouveau format olympique, cette finale par équipes a-t-elle conforté vos positions?
Depuis le début de ces Jeux olympiques, j’essaie d’élever le débat intellectuellement. La seule chose que je sais, c’est que tous les changements de règlements et de formats doivent aller dans le sens du bien-être du cheval. Le fait que les équipes ne soient composées que de trois cavaliers et que l’individuel se dispute avant la compétition par équipes n’est pas bénéfique. Je préfèrerais que la Fédération équestre internationale (FEI) et le Comité international olympique (CIO) imaginent des nouveautés comme décerner des médailles aux chevaux par exemple. Et j’aurais dit la même chose si les Bleus étaient montés sur le podium, ce que j’aurais évidemment aimé parce que je supporte l’équipe de mon pays! Le fait est que quatre équipes sur dix-neuf ont été éliminées hier, et trois sur dix aujourd’hui, et que certains cavaliers ont été obligés d’aller au-delà des limites de leurs chevaux pour ne pas éliminer leur équipe. Sans parler du fait que le Japon, pays organisateur de ces Jeux, a fait les frais de cette nouvelle formule. La FEI devrait aussi décerner une médaille aussi au chef de piste Santiago Varela, qui a construit de super parcours cette semaine. L’idéal est tout de même qu’il n’y ait pas de barrage pour les médailles à la fin, car cela ne correspond pas aux principes fondamentaux du sport, mais c’était tout de même du grand sport!
Hier soir, j’ai discuté avec un expert du pentathlon, qui est une discipline extrêmement difficile. Le cheval n’est pas une moto, et leur épreuve est aussi délicate et aléatoire. C’est une épreuve tellement difficile et tellement aléatoire (le choix des chevaux se fait par tirage au sort, ndlr), sans parler du fait que l'équitation est normalement un sport de couple et ne devrait pas se disputer après un tirage au sort... La pauvre Allemande (Annika Schleu, qui était en tête de la compétition avant l'épreuve équestre, où elle a été éliminée après de nombreux refus de sa monture, ndlr) est malheureusement tombée sur un cheval qui n’avait pas les capacités d’enchaîner un tel parcours et ne voulait pas sauter. C’est comme si on me demandait à moi, qui ai des petites jambes, d’aller courir un marathon! Bref, le bien-être animal devrait passer avant tout.