“L’élan de solidarité a été magnifique et j’aime deux fois plus mon sport après ce que je viens de voir”, Camille Jaguelin

Depuis plusieurs jours, le sud de la France, et particulièrement le Var, sont en proie à de violents incendies. Cette catastrophe a déjà ravagé plus de sept mille hectares de végétation et entraîné la mort de deux personnes. Le feu, désormais “fixé, mais pas maîtrisé”, a bien-sûr touché plusieurs structures équestres. Toute la semaine, les évacuations se sont enchaînées, pour tenter de protéger les équidés. Le Domaine équestre des Grands Pins, situé à Vidauban, et où est installé Camille Jaguelin, cavalier de l’équipe de France de para-dressage, a pris la décision de mettre ses chevaux en sécurité dès mardi soir, afin d’éviter le pire. Pour GRANDPRIX, le jeune homme, également entraîneur, a accepté d’évoquer cette situation stressante et impressionnante. Marqué par l’élan de solidarité qui a émergé de cet événement tragique, Camille Jaguelin doit toutefois continuer d’avancer.



Comment allez-vous et comment vont vos chevaux ? 

Ça va, les chevaux vont très bien. Nous avons réussi à rapatrier tout le monde dans les écuries Guillaume Gombert (situées à Cuers, ndlr), qui se trouvent à trente kilomètres [du Domaine équestre des Grands Pins]. Nous avons été très bien accueillis. Chevaux et cavaliers se portent bien, tout comme l’ensemble des membres du personnel des écuries. Cela a été un grand moment de panique car les images sont très impressionnantes. Je voyais cela pour la première fois et j’ai été assez choqué. C’était vraiment stressant. Mais, finalement, tout le monde s’en sort très bien. Nous n’avons pas eu de pertes de notre côté, et pas une seule colique chez les chevaux. 

On imagine que la décision d’évacuer les chevaux des écuries où vous êtes installé s’imposait… 

Je ne suis pas le directeur des écuries, ce n’est donc pas moi qui prends les décisions. Quand je suis arrivé le soir (mardi 17 août, ndlr) à 17 heures, j’ai vu toute cette fumée qui s’abattait sur les écuries. À respirer, c'était vraiment horrible. On avait la gorge qui grattait, etc. Tout de suite, j’ai pris la décision d’évacuer ma jument. Je ne voulais pas qu’elle ait à respirer ça. Par précaution, je l’ai déplacée et je me suis dit que je reviendrais aider les autres si besoin. À ce moment-là, le directeur a pris la décision de faire partir tout le monde. L’évacuation s’est très bien passée. Je reste grandement bluffé par notre milieu, qui peut parfois être compliqué. Là, l’élan de solidarité qui a émergé est impressionnant. Des gens des Alpes-Maritimes sont venus nous aider. Nous avons eu toutes les écuries du coin, même des gens qui ont des chevaux chez eux et qui ne sont pas forcément cavaliers. Ils sont venus nous aider avec leurs moyens de transport. Ce moment-là était tragique, mais à la fois magique. Vraiment.

Les structures du domaine ont-elles été touchées par les incendies ? 

Dieu merci, non. Nous n’avons pas eu de problème. Le feu a été assez proche à un moment, mais nous avons eu zéro dégât. L’équipe qui s’occupe de l’entretien des écuries a passé toute la nuit à arroser autour du domaine et a tout fait pour que le feu ne s’approche pas. Nous avons eu de la chance. Les flammes étaient relativement loin de nous, mais le risque était présent. Nous sentions la chaleur et la fumée, mais cela ne s’est pas rapproché.  

Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec d’autres équitants qui se trouvent dans des situations similaires à la vôtre ?

Malheureusement, là où nous avons été accueillis, chez Guillaume Gombert, il y a aussi le domaine des Bertrand et les écuries Anaïs Pradel qui ont eu un peu plus de dégâts que nous. C’est un moment tellement compliqué que nous n’avons pas pu échanger des heures là-dessus. Tout le monde a des chevaux éparpillés partout, alors nous nous sommes simplement croisés. Pour l’heure, les personnes avec qui j’ai pu discuter n’ont pas eu de trop gros dégâts matériels, d’écuries brûlées, d’effondrement de structure ou de pertes à cent pour cent. Après, je sais qu’il y a eu des écuries qui ont perdu davantage, mais je ne les connais pas personnellement.



"Nous en sortiront plus forts"

À quoi ressemble le quotidien sur le terrain en ce moment ?

J’ai la chance d’avoir de l’aide. Je compte beaucoup de chevaux et d’élèves à faire travailler la semaine. Je suis malgré tout obligé d’être à cent pour cent là pour eux, même si la période est compliquée. J’ai la chance d’avoir Adrien Scipion qui s’occupe de ma jument (Finest du Hans, ndlr) là-bas, qui lui prodigue les soins, fait les boxes, et s’occupe de dormir sur place pour surveiller les chevaux toute la nuit. N’ayant pas pu prendre tout mon matériel pour monter, il fait également travailler les chevaux à pied.

Malgré le caractère difficile de la situation, arrivez-vous à penser à l’avenir ? 

C’est dur à dire, mais il faut avancer. On ne peut pas s’arrêter là-dessus. Chez nous, il n'y a pas eu de perte, nos écuries n’ont pas brûlé. Je vais de l’avant. Dans quinze jours je suis en compétition, puis j'enchaîne par un stage avec l’équipe de France dans un mois. Il faut continuer à travailler. Comme pour un échec lors d’une grande échéance, c’est un passage un peu dur mais la vie ne s’arrête pas. Il faut rebondir, continuer d’avancer et je pense que nous en sortiront plus forts. Malheureusement, le mal est déjà fait.

Un très bel élan de solidarité a émergé à la suite de cette catastrophe, tant sur les réseaux sociaux que sur place. Que cela vous inspire-t-il ?

Ce milieu reste un monde à part, mais on se rend vraiment compte que l’on forme tous une grande famille. Peu importe qui on est, qu’on soit connu ou non, les gens étaient vraiment tous là. Il n’y avait pas de “toi oui, toi non”. On était là pour tout le monde et on se serrait les coudes. C’était vraiment tragique mais aussi magique pour moi. J’ai fait trois transports en tout car je n’ai pas de poids-lourd. Quand je me suis retrouvé dans la queue avec tous les camions devant moi venus pour évacuer, je me suis dit “wahou”. J’ai encore l’image en tête. Beaucoup sont compétiteurs, nous faisons tous ce métier, avec nos business respectifs. Nous pouvons parfois nous tirer un peu dans les pattes, mais on voit très bien que dans des moments pareils, nous sommes unis. J’ai trouvé cela magnifique et j’aime deux fois plus mon sport après ce que je viens de voir.