“Je n’ai qu’une envie, c’est de retrouver le haut niveau”, Patrice Delaveau
Triple vice-champion du monde, en 2010 par équipes à Lexington avec Katchina Mail puis en individuel et par équipes en 2014, à Caen, avec Orient Express*HDC, Patrice Delaveau a engagé un nouveau tournant dans sa carrière. Absent des 5* depuis le CSIO 5* de La Baule, en 2019, le champion français ne cache pas son envie de retrouver le haut niveau. Rencontré à l’occasion du Longines Deauville Classic, le Normand de cinquante-six ans est revenu sur l’accident qui l'a écarté des terrains de concours durant quelques mois, sur l'évolution de sa collaboration avec le haras des Coudrettes ainsi que sur sa nouvelle activité. Il évoque également son rôle au sein de l’Académie Delaveau ainsi que sa vision des derniers Jeux olympiques. Avec motivation, il évoque aussi son envie de réintégrer les hautes sphères du jumping mondial. Pour GRANDPRIX, Patrice Delaveau fait le point.
Vous avez été écarté des compétitions pendant quelques mois à cause d’une blessure. Comment allez-vous aujourd’hui?
J’ai été opéré d’une épaule donc j’ai dû m’arrêter pendant trois mois. Désormais, je remonte et j’ai fait mon premier concours il y a une quinzaine de jours à Deauville Saint-Gatien lors d’un national. J’ai encore de petites douleurs mais qui ne m’empêchent pas de monter à cheval. Elles se ressentent plutôt au quotidien mais c’est normal, cela peut mettre un peu de temps à disparaître.
Pendant cette période de pause, vous avez annoncé faire évoluer votre collaboration avec le haras des Coudrettes. Qu’en est-il désormais?
Nous sommes en très bon terme, j’ai simplement changé mon organisation et nous devrions continuer à collaborer.
Y a-t-il un souvenir qui est le symbole de votre collaboration?
Nous avons gagné ensemble de nombreuses épreuves, j’ai énormément de très bons souvenirs. Je pense que le plus beau a été les Jeux équestres mondiaux de Caen, en 2014. C’était un championnat du monde et nous en sommes sortis avec deux médailles d’argent. Nous sommes passés tout près de l’or, mais cela reste deux très belles médailles. C’est le plus beau souvenir, mais il y en a tellement d’autres.
Orient Express*HDC reste-t-il votre cheval de cœur?
Quand on revient médaillé d’un championnat avec un cheval, il a une place particulière. J’ai eu la chance de monter beaucoup de très bons chevaux donc je pense aussi à Katchina Mail bien avant l’ère HDC, Lacrimoso 3*HDC qui a gagné des épreuves fantastiques, Ornella Mail*HDC, Carinjo 9*HDC... Il y a beaucoup de chevaux qui resteront dans mon cœur. Bien sûr, Orient a une place particulière avec ces deux médailles aux Mondiaux, ce que les autres n’ont pas fait, mais j’ai tout de même eu la chance de monter de nombreux cracks.
Vous n’avez plus concouru en CSI 5* depuis 2019. Avec tous ces changements et votre blessure, avez-vous pensé à arrêter?
Lorsque la période est un peu moins bonne, on y pense forcément. Il ne faut pas s’en cacher. Il y a toujours un jour ou deux où on se dit “j’ai envie d’arrêter”. Cependant, je vis pour la compétition depuis que j’ai quinze ans, je ne vais pas m’arrêter de cette manière. Même si j’arrête le haut niveau, je continuerai de toute façon à monter à cheval et à coacher de jeunes cavaliers, je ne vais pas tout quitter du jour au lendemain.
J’ai cinquante-six ans, ce n’est plus tout jeune mais ce n’est pas non plus très vieux, j’ai encore de belles années à venir. Je dois être patient, ce n’est pas facile de se refaire un piquet, cela va prendre du temps. Aujourd’hui, je continue à monter, à travailler chaque jour aux côtés des chevaux, à donner beaucoup de cours. Mon objectif n’est pas juste d’enseigner : ce qui me passionne, c’est la pratique de notre sport. On ne me voit pas en ce moment, mais je suis toujours là, et je sais que la roue va tourner.
Aimeriez-vous retrouver le haut niveau et les CSI 5*?
Bien sûr, je vis pour ça. Mais avant de retrouver tous ces beaux concours, il faut passer par des concours nationaux, des échéances plus modestes. Je peux me permettre de monter pendant six mois ou un an sur des concours nationaux uniquement. J’aime encore cela, alors concourir lors d’un CSI 5* ou bien d’un CSI 2* m’importe peu. Si je sais que je monte de bons chevaux, que je peux travailler dans de bonnes conditions, que ces chevaux-là vont évoluer dans le bon sens, ça ne me dérange pas de concourir au niveau national ou en CSI 2*. Bien sûr, un concours national avec des chevaux moins talentueux qui ont une perspective d’avenir moins bonne va moins m’intéresser. C’est mon métier, je fais ça depuis toujours, et même s’il y a des jours plus difficiles, j’aime ce que je fais.
“j’ai envie de reconstruire un piquet de chevaux intéressant et motivant pour l’avenir ”
Sur quoi se base votre nouvelle activité?
La nouveauté, c’est que je vais prendre des élèves avec moi, comme je l’avais fait avec Edward Levy à l’époque (le jeune cavalier a notamment fait ses gammes chez le vice-champion du monde avant de s’installer à son compte ndlr). Je ne sais pas si je vais avoir la chance de reformer quelqu’un comme lui mais je vais développer à nouveau cette activité afin d’avoir des jeunes qui veulent progresser et travailler avec moi pour atteindre le plus haut niveau possible.
En ce moment, je recherche des chevaux. Je n’ai déménagé que depuis un mois seulement, les choses évoluent tranquillement, notamment avec l’arrivée de propriétaires belges, Monsieur et Madame De Coninck, qui m’ont confié deux chevaux. Un que monte Valentine, Artiste vh Marienshof, qui a onze ans, et un sept ans que je monte moi-même, Funky Fred vh Marienshof. Ils proviennent tous deux de l’élevage de Marienshof.
J’ai également un autre cheval, Caschmir du Pomiez, que monte Valentine et que je vais monter de temps en temps maintenant qu’elle peut compter sur Artiste vh marienshof. C’est un bon cheval de neuf ans dont nous sommes co-propriétaires.
j’ai envie de reconstruire un piquet de chevaux intéressant et motivant pour l’avenir. Depuis dix ans, les propriétaires et le public ne me voyaient que sur des chevaux du haras des Coudrettes donc ils ont un peu de mal à se dire qu’ils peuvent désormais me confier des chevaux. C’est toujours compliqué quand nous avons été rattachés à un propriétaire durant longtemps. Aujourd’hui, j’élargis mon panel.
Vous avez l’air de beaucoup travailler avec votre fille Valentine. Comment vous répartissez-vous les tâches?
Je la fais monter sur des jeunes chevaux, en plus du onze ans dont elle dispose et qui est expérimenté (Artiste vh marienshof ndlr). Elle veut en faire son métier donc c’est bien qu’elle se forme sur des jeunes chevaux également et qu’elle n’apprenne pas uniquement sur de vieux chevaux expérimentés. C’est ce qui est le plus formateur.
Pourquoi avoir choisi de vous installer dans vos écuries actuelles, chez Clara Darty?
D’abord, parce que les installations sont magnifiques, Clara, Françoise et toute son équipe m’ont merveilleusement bien accueilli. Les écuries sont aux portes de Deauville et ne me rallongent que de deux kilomètres de chez moi. Je ne voulais pas en plus avoir à déménager. Il y a également l’académie Delaveau au Pôle international du cheval Longines de Deauville, dans laquelle nous avons beaucoup d’élèves. Mes écuries actuelles sont juste à côté donc s’il y a besoin, je peux être sur place en dix minutes. Cela me permet également de rester dans la région. Le haras de la Forge était à deux kilomètres donc je ne suis pas dépaysé. C’est important de ne pas être trop loin de chez moi et de tout avoir aux alentours.
Quel rôle avez-vous au sein de l’Académie Delaveau, fondée par votre épouse Sabrine Delaveau? Pensez-vous être plus investi que lorsque vous aviez une activité plus dense?
Oui bien sûr, j’ai un peu plus de temps. Je suis notamment allé aider Claude (Castex, entraîneur de l’académie ndlr) aux championnats de France à Canteleu, lors desquels une de nos cavalières a d’ailleurs été sacrée chez les Juniors (Zoé Aernout, en selle sur Boumbalis ndlr). J’étais aux championnats avec lui mais je suis là dès que nécessaire. Tony Haquinquant (lui aussi entraîneur de l’Académie ndlr) s’en occupe également beaucoup.
En pleine saison, ce n’est pas toujours facile d’avoir tout le monde, donc s’il y a besoin, je suis là pour donner un coup de main. Souvent, si Claude accompagne son équipe Poneys sur les terrains et que Tony ne peut pas s’occuper des jeunes parce qu’il est en concours, je prends le relais.
Les élèves ne sont-ils pas impressionnés de travailler avec un vice-champion du monde?
Ils ne me l’ont jamais dit (rires) ! Lors des premiers cours que je donne, ils peuvent peut-être être un peu impressionnés, mais ils s’y font rapidement puisque je suis régulièrement présent. Il y a également ma cadette, Capucine, qui étudie à l’Académie. Je joue mon rôle de père, je viens la chercher lorsqu’elle a fini ses cours, donc cela rend ma présence un peu plus normale pour les cavaliers.
“Je savais les Suédois forts, mais je ne pensais pas qu’ils allaient être si redoutables”
Vous qui avez vécu de nombreux championnats et ramené des médailles à la France, qu’avez-vous pensé des derniers Jeux olympiques?
Nous avons pu voir des moments de sport extraordinaires. Même si je n’aime pas cette formule, nous avons vu de formidables cavaliers gagner, accompagnés de cracks. La formule n’a, heureusement, rien changé à la performance, les meilleurs étaient là le jour J.
Je pense, comme quatre-vingt-dix pourcents des passionnés, que la formule n’est pas bonne. Je n’ai pas trouvé cela agréable, ni pour les chevaux ni pour les cavaliers. Nous avons assisté à un barrage à six pour une médaille olympique individuelle. Il y a trois malheureux cavaliers et chevaux qui ont sauté un barrage pour se retrouver sans médaille. Pour des Jeux olympiques, ce n’est pas normal.
Le sport était fantastique, mais c’était un Grand Prix digne d’un CSI 5*, ce n’était pas les Jeux olympiques. Pour les avoir faits deux fois, c’est une expérience extraordinaire, tout le monde va jusqu’au bout. Ici, certains cavaliers ont sauté un unique parcours, n’ont pas réussi à se qualifier et sont rentrés chez eux. Ce n’est vraiment pas le but de notre sport.
Rien n’est à garder de cette formule selon vous?
Non, rien. J’espère surtout qu’elle ne va pas rester en place pour les Jeux de Paris 2024. Je pense que quatre-vingt-dix pourcent des gens sont d’accord avec ça, ce n’était pas bien. Heureusement, cela n’a rien changé aux lauréats qui étaient tout simplement les meilleurs. Il n’y a pas eu de surprises, les médailles ont été distribuées à des cavaliers, que ce soit en individuel ou par équipes, qui le méritaient. Ce sont d’excellents cavaliers et des équipes formidables.
Cependant, certains chevaux ont beaucoup trop sauté, et d’autres pas assez. Lorsque nous voyons le nombre de parcours effectués par les chevaux suédois, nous pouvons être soulagés de leur victoire. Cela aurait été dramatique pour eux s’il leur était arrivé quelque chose comme à Pénélope et qu’ils étaient rentrés sans médaille par équipes.
Aviez-vous fait un pronostic avant les Jeux olympiques?
Comme tous les ans, je mettais en avant les Allemands, les Néerlandais, les Français, les Belges. Je savais les Suédois forts, mais je ne pensais pas qu’ils allaient être si redoutables. Je les voyais bien sur le podium mais là, ils ont dominé du début à la fin, ça a été vraiment fantastique.
À l’inverse, nous n’avons pas vu les Allemands (Daniel Deusser a préféré abandonner après un refus de Killer Queen VDM lors de la finale, éliminant donc l’Allemagne qui n’avait plus rien à gagner ndlr). Les Hollandais n’ont pas non plus été bons en équipe. Maikel (van der Vleuten ndlr) a tiré son épingle du jeu en individuel, ce qui était fantastique. Il a réalisé un exploit extraordinaire (le cavalier a décroché la médaille de bronze associé à Beauville Z au terme d’un superbe barrage ndlr). Il l’a d'ailleurs un peu payé dans l’épreuve par équipes. Son cheval avait tout donné en individuel.
Quand on donne tout de cette manière pour une médaille individuelle, peut-on le regretter lorsque cela pénalise l’équipe derrière?
On ne peut pas se dire “je ne vais pas tout donner pour en garder un peu pour l’équipe”. Quand nous sommes sur la piste pour une médaille, nous ne pensons pas à ce qui arrive après. Nous avons la possibilité d’obtenir une médaille, donc il n’y a pas de question à se poser.
Même avec un esprit d’équipe comme celui de Kevin Staut, lorsque nous sommes en piste pour une médaille individuelle, on ne se prive pas sous prétexte que l’épreuve par équipes va suivre. De toute façon, dans un championnat, chacun donne tout chaque jour, en sachant que nous allons devoir recommencer le lendemain, alors autant y aller à fond.
Avez-vous envie de revivre ces moments et de refaire partie de l’équipe de France?
Bien sûr, je n’ai qu’une envie, c’est de retrouver le haut niveau. C’est facile de dire que j’ai envie de refaire des championnats, mais il faut d’abord passer par les bonnes étapes, retrouver des bons chevaux pour participer à des CSI 3*, 4*, 5*. Une fois que je serai de retour à ce niveau, les championnats se présenteront ou non mais il ne faut pas se dire que nous voulons directement y retourner. Je suis toujours motivé, et le jour où je n’aurais plus cette envie, j’arrêterai.
Pensez-vous à Paris 2024?
Pas forcément Paris 2024, mais retrouver le haut niveau. Une fois que nous sommes dedans, la machine est lancée. Bien sûr, j’y pense, mais il y a d’autres étapes avant ça. J’y penserai réellement lorsque j’aurai franchi les étapes qui m’en séparent.