Une copie olympique insatisfaisante

Voici l'édito du dernier numéro du magazine GRANDPRIX, disponible en kiosques.



En dressage, on savait que la réduction des équipes de quatre à trois couples aux Jeux olympiques ne poserait aucun problème majeur, d’autant que cette formule était en vigueur jusqu’en 2012 à Londres. En concours complet, on craignait le pire, mais force est de constater qu’il ne s’est pas produit à Tokyo, grâce à l’intelligence du chef de piste, à la prudence des sélectionneurs et au talent des cavaliers et chevaux. “En tant que cavalière, je n’approuve pas ces équipes de trois couples, dont tous les scores comptent. Pour bien des raisons, je préfère les équipes de quatre. En revanche, en tant que spectatrice, je dois admettre que cela rajoute beaucoup de suspense et que j’ai trouvé cela très chouette à suivre”, a déclaré Gwendolen Fer en toute sincérité à l’occasion du Grand Complet, mi-août au Pin-auHaras. “En revanche, je trouve dur d’imposer aux chevaux deux manches de saut d’obstacles. Je suis consciente que cette finale individuelle existe depuis les Jeux de 2004 à Athènes, mais je trouve qu’elle pénalise les chevaux après tous les efforts qu’ils ont déjà déployés.”

Ce bémol mis à part, jusqu’au 6 août, tout se passait si bien dans ces JO nouvelle formule que la Fédération équestre internationale (FEI) semblait en passe de remporter son pari ô combien osé et contesté par les cavaliers, sélectionneurs, propriétaires et fédérations nationales, surtout en Europe. Hélas, cela n’a pas fonctionné en saut d’obstacles, où le spectacle offert par la troisième épreuve, qualificative pour la finale par équipes, s’est avéré plutôt insipide... Le fait que tous les scores comptent peut rendre la compétition plus excitante et lisible, à condition qu’il faille viser la perfection, ce qui n’était pas vraiment demandé dans cette épreuve. En effet, vu que les compteurs ont été remis à zéro le lendemain, il s’agissait “seulement” de terminer parmi les dix meilleures nations. Sur un parcours tout à fait à la hauteur d’une telle compétition, comme tous ceux proposés au Japon par l’Espagnol Santiago Varela, assisté du Français Grégory Bodo, on a vu bon nombre de cavaliers chercher à assurer un sans-faute aux obstacles quitte à dépasser à dessein le temps imparti, ce que l’on peut tout à fait comprendre.



Certes, l’inversion des concours individuel et collectif répond à une logique louable de ne pas faire sauter aux couples engagés uniquement pour eux-mêmes des parcours qui ne les concernent pas au premier chef et de ne pas non plus les avantager en finale par rapport aux équipiers. Cependant, elle présente deux inconvénients majeurs. D’une part, pas moins de treize binômes ont vu leur aventure olympique s’achever dès la qualificative individuelle, le premier jour, malgré des tours parfois pénalisés seulement d’une ou deux fautes. Est-ce la meilleure manière d’ouvrir la porte des Jeux aux nations émergentes? De nourrir les rêves des fédérations, cavaliers et propriétaires? D’autre part, cela a clairement fait retomber le soufflé après une finale individuelle spectaculaire. 

La possibilité de faire entrer en jeu un couple remplaçant pour l’épreuve collective, utilisée par de nombreuses nations, y compris entre la qualificative et la finale sous prétexte vétérinaire, n’a pas toujours eu l’effet escompté non plus. D’un côté, certains chevaux découvrant la piste et le parc d’obstacles de Baji Koen ont semblé mal à l’aise. De l’autre, comme ces substitutions ne peuvent pas intervenir en cours d’épreuve, on a vu quelques concurrents poursuivre des parcours coûte que coûte. Cela peut aussi arriver dans une Coupe des nations classique, mais bien moins souvent grâce au fameux drop score.



Bref, même si l’épreuve individuelle a sacré l’un des meilleurs couples au monde, formé par le Britannique Ben Maher et Explosion W, et si l’issue de la finale par équipes, remportée au barrage par la Suède, a été conforme à la réalité sportive de ces Jeux, ce nouveau format a donné à voir trop de choses qu’on ne voudrait pas dans ce rendez-vous suprême, le seul où l’équitation bénéficie d’une véritable exposition dans les médias généralistes. “Cela nous inquiète, principalement parce que bon nombre de nations ont été éliminées, terminant à deux équipiers seulement (sept au total des deux épreuves, ndlr), sans compter que cette formule est loin de privilégier le bien-être animal. De plus, je ne vois pas comment des nations émergentes peuvent imaginer tirer leur épingle du jeu dans une compétition davantage imaginée pour les médias que pour le sport. J’espère que de vrais bilans seront tirés après tout ce qui s’est passé à Tokyo”, a déclaré Sophie Dubourg, directrice technique nationale de la Fédération française d’équitation. “Ce format a été catastrophique. Nous nous en doutions et avions prévenu la FEI. Heureusement pour le sport, le chef de piste a accompli un travail exceptionnel qui a placé les meilleurs sur les podiums. Il y a quelques petites choses à retenir, comme le fait de faire repartir les derniers équipiers dans l’ordre inverse du classement provisoire en finale, mais il faut absolument revoir tout cela. Nous, cavaliers, avons déjà commencé à discuter avec la FEI”, a ajouté le Brésilien Rodrigo Pessoa, champion olympique en 2004.



La FEI aura beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, la meilleure formule reste celle des championnats d’Europe, avec des équipes de quatre où les trois meilleurs résultats comptent, et où l’on garde son score individuel de bout en bout. Si celle-ci ne convient pas au Comité international olympique (CIO), on pourrait au moins revenir à celle en vigueur jusqu’aux Jeux de Rio 2016, avec remise des compteurs à zéro avant une finale individuelle disputée en deux manches avec barrage le dernier jour. Si, pour des besoins d’universalité, il s’avère impossible de retrouver des escouades de quatre, pourquoi ne pas autoriser les remplaçants à entrer en jeu en fin d’épreuve en cas d’abandon ou d’élimination d’un de leurs équipiers, moyennant une pénalité collective? Avec le jeu des substitutions, deux cent dix-sept couples ont finalement concouru à Tokyo, toutes disciplines confondues, soit dix-sept de plus que le quota imposé par le CIO jusqu’en 2016. Pourquoi ne pas tirer le meilleur parti de cette belle opportunité? “Rien n’est jamais gravé dans le marbre!”, avait assuré le président Ingmar de Vos fin 2017. “Nous restons une fédération dynamique qui se doit d’évaluer son action, de discuter et d’évoluer dans l’intérêt de son sport et de sa communauté.” Gageons que ses comités techniques, en particulier celui de jumping, se sont déjà remis au travail en vue de Paris 2024.

Cet édito est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX.