“Tous nos chevaux sont en train de partir un à un, et c’est dramatique”, François-Xavier Boudant
En août, François Xavier Boudant s’est adjugé la plus belle victoire de sa carrière en remportant le Grand Prix du CSI 4* de Valence aux rênes de Brazyl du Mezel (SF, Haloubet de Gorze x Apache D’adriers). Quelques semaines plus tard, le hongre de dix ans s’est également classé onzième d’un Grand Prix CSI 5* à l’Hubside Jumping de Grimaud, assurant ainsi la relève, quelques semaines après la vente de son cheval de tête Cicave du Talus (SF, Untouchable M x Voltaire), exporté aux États-Unis. Pour atteindre ses rêves de haut niveau et d’équipe de France, François-Xavier Boudant “fait tourner la boutique” grâce au commerce, l'un des piliers de son système. Pour GRANDPRIX, le cavalier de quarante-deux ans a volontiers accepté d’évoquer aussi l’état des effectifs français, qui semblent en difficulté ces dernières années.
Vous avez récemment remporté le Grand Prix du CSI 4* de Valence avec Brazyl du Mezel, qui s’est également classé onzième du Grand Prix du CSI 5* de l’Hubside Jumping de Grimaud la semaine dernière. Il semble avoir grandement progressé ces derniers temps. Quel regard portez-vous sur son évolution?
Effectivement, Brazyl du Mezel gravit les échelons les uns après les autres, tout en étant performant à chaque fois, donc je ne peux qu’être heureux. Il n’y a encore pas si longtemps, il sautait surtout des épreuves à 1,45m et quelques-unes à 1,50m et n’avait pas effectué beaucoup de parcours à 1,55m et aucun à 1,60m, donc c’est une réelle satisfaction!
Est-il la relève du fabuleux Cicave du Talus, vendu début d’août aux États-Unis par le biais de l’Irlandais Paul O’Shea?
La vente de Cicave du Talus l’a évidemment poussé sur le devant de la scène. Brazyl n’aurait sans doute pas sauté le Grand Prix du CSI 5* de Grimaud la semaine dernière si Cicave était encore là. Toutefois, tous deux étaient à peu près du même niveau ces derniers mois, donc je pouvais alterner dans les compétitions. Il y a quelques semaines, ils avaient couru chacun un Grand Prix 4* à Grimaud. Brazyl avait terminé quatrième, alors que Cicave était sorti de piste avec quatre points, ce qui montre qu’il n’y avait pas un écart de niveau si grand entre eux.
Qu’a représenté la vente de Cicave du Talus pour vous? Était-elle prévue?
Honnêtement, la vente de Cicave n’était pas dans nos plans. Nous avions prévu, avec le Groupe France Elevage (GFE), son ancien propriétaire, de l’emmener encore un peu plus loin en compétition. Mais après ses dernières performances, il a commencé à attirer des investisseurs, des sommes importantes se sont présentées et il a fallu prendre une décision (lors de ses cinq derniers parcours avec le Normand, Cicave du Talus s’était classé à chaque reprise, ndlr). Mes plans ont forcément été un peu chamboulés puisque tout avait été construit autour de lui et il était mon cheval de tête. J’ai la chance de pouvoir compter sur Brazyl, qui a très vite pris le relais, ce qui est déjà un très bon point puisque je ne me suis pas retrouvé à pied. J’aurais aimé le garder, mais malheureusement, on n'obtient pas toujours ce que l’on veut!
Vous aviez confié n’avoir jamais monté un tel cheval. Qu’avait-il de plus que les autres?
Cicave était très complet et n’avait pas de point faible. Il avait le bon âge, du respect, des moyens et un mental exceptionnel. Il ne lui manquait qu’un peu de maturité pour atteindre des sommets. Il commençait à être vraiment prêt pour ces hauteurs.
Outre Brazyl du Mezel, vous montez également Ciento (KWPN, Viento Uno W x Holland), qui évolue jusqu’à 1,55m. Comment organisez-vous leur programme?
Ce sont mes deux chevaux les plus expérimentés. Ciento est dans mes écuries depuis dix ans, donc je le connais par cœur. Jusqu’à présent, il devait affronter seul les plus grosses épreuves parce que mes autres chevaux n’étaient pas prêts à y prendre part. Désormais, certains ont pris le relais et l’épaulent. Cela me permet de le laisser un peu tranquille et de lui faire sauter des épreuves définies au préalable. Ce n’est plus un cheval qui a besoin de sauter des parcours pour progresser.
Allez-vous pouvoir les conserver?
J’ai toujours gardé Ciento car sa propriétaire ne voulait pas le vendre, donc je pense qu’il restera, même s’il ne faut jamais dire jamais. Concernant Brazyl, son propriétaire souhaite que je continue à la monter pour pouvoir tutoyer les sommets de notre sport. Avec ses récentes bonnes performances, nous sommes assez sollicités par des acheteurs, mais il reste avec moi pour le moment. Bien-sûr, on ne sait jamais ce qui peut se passer - après tout, Cicave était également destiné à rester sous ma selle - mais ce n’est pas dans nos plans pour le moment.
Vous évoluez également avec de plus jeunes chevaux comme Diamant de Riverland (Diamant de Semilly x For Pleasure) et Dream Braker (Action Breaker x Baloubet du Rouet) jusqu’à 1,45m. Comptez-vous sur eux pour l’avenir?
Ce sont des chevaux que nous entraînons. Ils sont encore en formation et n’ont que huit ans. Dream Braket avait un peu de retard puisqu’elle a commencé plus tard. Ils sont tous les deux très compétitifs jusqu’à 1,40m et débutent les épreuves à 1,45m. L’année prochaine, j’espère qu’ils seront réguliers à ce niveau et pourront commencer des parcours à 1,50m.
“Les acteurs de la filière ne parviennent pas à fournir assez de chevaux pour satisfaire les demandes”
Vous semblez faire beaucoup de commerce. Quelle place cette activité a-t-elle dans votre système?
Le commerce est ce qui me fait gagner de l’argent. Les pensions dans mon écurie servent surtout à rembourser nos frais, et les gains rapportent certes un peu d’argent, mais ne nous permettent pas non plus de faire tourner la boutique - même si j’en ai gagné un peu plus cette année. Le commerce est l’activité qui nous permet de gagner notre vie, tout simplement. Je n’ai pas une fourchette de vente très régulière, mais je pense que nous commercialisons entre dix et quinze chevaux chaque année.
Comment expliquez-vous les prix exorbitants auxquels se vendent désormais les poulains? De nouveaux records ont été enregistrés lors des dernières ventes Fences et Zangersheide, et des produits se vendent aujourd’hui régulièrement à plus de 100 000 euros!
Les meilleurs chevaux se vendent très bien, encore plus chers qu’avant. Beaucoup de clients veulent acquérir les meilleurs poulains et se battent pour ça, donc il suffit que deux ou trois personnes soient intéressées par le même produit pour que les enchères montent très vite. Cela devient de plus en plus compliqué de trouver des chevaux de six, sept et huit ans à des prix accessibles, alors les investisseurs se rabattent sur les foals et les jeunes chevaux pour essayer de trouver la perle rare.
Dans le long entretien paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX, Olivier Robert a confié que certains chevaux de six et sept ans se seraient vendus à plus d’un million d’euros lors de la dernière Grande Semaine de Fontainebleau. La flambée des prix, que l’on pourrait facilement qualifier d’excessive, ne concerne donc pas uniquement les foals?
Bien sûr que c’est excessif, mais les meilleurs chevaux se vendent extrêmement cher. De nombreux clients recherchent des chevaux, et cela crée un problème puisqu’il y a davantage de demande que d’offre disponible. Il existe un grand nombre d’intéressés pour très peu de chevaux, c’est ce qui explique la forte hausse des prix depuis quelques années. Les acteurs de la filière ne parviennent pas à fournir assez de chevaux pour satisfaire toutes les demandes.
Vous avez participé à la Grande Semaine de Fontainebleau. Quel bilan en tirez-vous?
C’est un événement que j’aime beaucoup en tant que cavalier, et c’est toujours agréable d’y participer. Je m’y rends depuis quelques années, donc j’y ai moins de résultats que d’autres cavaliers, mais je viens surtout pour former les chevaux, voir où ils en sont et les mettre en valeur. Le bilan de cette édition est plutôt bon; il y avait du monde, peut-être même un peu trop! Il y avait énormément de marchands et d’activité commerciale. Nous avions déjà vendu de nombreux chevaux avant, donc nous n’en avons pas cédé d’autres durant la Grande Semaine. Il fallait que j’en garde aussi quelques-uns pour moi, pour l’avenir!
Comment parvenez-vous à conserver vos chevaux de sport?
J’en ai quelques-uns à moi, et d’autres à des propriétaires. Je les garde et essaie de les vendre au moment le plus opportun. Tant que nous pensons qu’un cheval peut encore s’améliorer, il reste avec nous. Je dois forcément en garder quelques-uns pour moi et pour exercer mon sport. C’est pour cette raison que nous essayons d’en avoir plusieurs, pour en vendre de temps et temps afin de faire tourner la boutique, et aussi pour renouveler mon piquet de chevaux et pouvoir continuer à participer à de beaux concours. La France a vu plusieurs de ses meilleurs chevaux être vendus ces dernières semaines, dont Cicave du Talus, Berlux Z et Urvoso du Roch.
Voyez-vous la vente comme un passage obligé, même à très haut niveau?
En France, nous n’avons plus beaucoup de personnes qui veulent investir dans le sport de très haut niveau. Désormais, celui-ci coûte très cher alors il faut trouver un moyen d’avoir des retombées économiques autres que les gains, qui peuvent être irréguliers. L’argent alimente tout ce processus. Nous sommes un peu démunis en France en ce moment, car les très bons chevaux sont achetés par des étrangers. C’est pour cette raison que nous essayons de former de bons jeunes chevaux, dont nous sommes en partie propriétaires. Dans ce cas, ils peuvent nous rapporter quelque chose et, lorsque le propriétaire souhaite les vendre, nous pouvons influencer la décision, ce qui n’est pas le cas lorsque nous n’avons aucune part.
Quelles solutions pourraient être mises en place afin de pouvoir garder nos chevaux en France?
Il faut que nous trouvions des solutions, c’est certain, surtout avec les Jeux de Paris 2024 qui approchent. Maintenant, je ne sais pas ce qu’il faudrait faire pour réussir à garder nos meilleures montures. Si j’avais trouvé, nous n’en serions pas là! (rires, ndlr) Nous réfléchissons forcément à trouver une solution, que ce soit nous, cavaliers, le staff fédéral ou les propriétaires, car nous aimerions tous pouvoir conserver ces chevaux. C’est une situation compliquée.
Est-ce un sujet qui anime les discussions entre cavaliers?
Oui, d’autant que nous en avons conscience depuis quelques années déjà. Là, plusieurs très bons chevaux ont été vendus coup sur coup, donc le sujet revient de plus en plus sur la table. Je ne sais pas s’il est du ressort de la Fédération (française d’équitation, ndlr) d’acheter des chevaux, et surtout si elle en est capable. Je ne vois pas comment elle pourrait investir dans tant de chevaux. Il est certain qu’il faudrait trouver des solutions assez rapidement parce que tous nos chevaux sont en train de partir un à un, et c’est dramatique. À Fontainebleau, 90% du commerce impliquait des investisseurs étrangers, et le scénario est le même dans le haut niveau.
“Il faut encourager les personnes comme Ludger Beerbaum qui organisent des grands évènements comme les Européens de Riesenbeck”
L’équipe de France connaît une période de creux depuis quelques années. Comment l’expliquez-vous?
Je pense que c’est forcément dû au manque de chevaux. Nos montures sont légèrement moins qualiteuses qu’auparavant, mais surtout beaucoup moins nombreuses à très haut niveau. Nous avons de super cavaliers, d’excellents concours et un bon staff. Ce qui nous manque, c’est des chevaux pour équiper en qualité et en nombre nos cavaliers afin d’accomplir de beaux résultats en championnats et de rapporter des médailles. Si nous faisons le point, très peu de cavaliers ont assez de bons chevaux pour tout faire, d’autant qu’il y a beaucoup de circuits entre le Longines Global Champions Tour, les championnats, les Coupes des nations, donc ce n’est pas évident d’en avoir assez pour tout courir. Nous manquons de réservoir. Nous avons eu la chance d’avoir compté sur des mécènes durant quelques années (comme le haras de Clarbec et le haras des Coudrettes, ndlr), mais il y en a moins en ce moment et cela se ressent.
Rêvez-vous d’intégrer un jour l’équipe de France?
Bien sûr, c’est l'objectif ultime. Mais le chemin est difficile, car il faut pouvoir compter sur plusieurs chevaux. Atteindre le haut niveau avec un seul cheval est déjà une épreuve en soit, donc il en faudrait plutôt trois ou quatre. Nous pouvons accéder à de beaux concours lorsque nous sommes performants avec un cheval (surtout en France, premier pays organisateur de concours, ndlr), mais pour aller plus loin, un maigre piquet de chevaux ne suffit pas. Avoir plusieurs montures sur lesquelles compter permet de prendre les plus en forme, de laisser souffler les autres, et surtout, d’adapter le programme à chacune d’elle et non à nos objectifs. Certains chevaux sont plus adaptés pour certains environnements, certains terrains, comme l’herbe ou le sable, ou certaines pistes, ce qui permet de cibler les évènements en fonction des chevaux. L’équipe de France est mon objectif, et mon rêve! Pour y parvenir, je m’entraîne avec Bertrand de Bellabre, qui vient régulièrement à la maison, et nous participons également aux stages organisés par la FFE. J’essaie de participer à de beaux concours comme ceux de Valence ou de Grimaud et de me confronter aux meilleurs. Dès que je pense avoir un cheval compétitif et adapté, je veux aller me frotter aux autres cavaliers en CSI 4* et 5* pour voir un peu où j’en suis par rapport aux autres.
S’il n’y avait pas le risque de la vente d’un cheval, auriez-vous pris l’initiative d’investir vous-même dans vos montures?
Oui je pense, car c’est quelque chose que j’ai toujours fait. J’ai commencé par acheter des chevaux très jeunes, lorsqu’ils avaient environ trois ans, et nous avons progressivement monté en gamme. Désormais, nous essayons d’acheter des chevaux de sept ans, même si c’est compliqué. J’ai créé un petit fonds d’investissement avec des propriétaires qui me sont fidèles afin de pouvoir acheter quelques chevaux et tenter de les garder le plus longtemps possible, sans être obligé de vendre à la première proposition. Nous avons tout de même une entreprise à faire tourner, mais l'objectif premier reste le sport.
Début septembre ont eu lieu les championnats d’Europe Longines, à Riesenbeck. Les cavaliers ont largement salué l’organisation de Ludger Beerbaum, multimédaillé en saut d’obstacles et business à succès. Avez-vous eu des échos?
De ce que j’ai entendu, l’organisation était vraiment extra et le terrain superbe. Les cavaliers étaient très heureux et le niveau très élevé! Il faut encourager les personnes comme Ludger Beerbaum qui organisent ce genre d’événements, surtout que la décision a été prise assez tard donc ils ont dû le mettre sur pied très rapidement. On ne peut que saluer ces personnes qui se dévouent pour notre sport, comme le fait également Sadri Fegaier en organisant tous ces concours à l’Hubside Jumping de Grimaud. C’est une vraie chance. Les cavaliers français sont tout de même vraiment bien lotis en termes de concours!
Avez-vous été marqué par un couple ou un cavalier au cours de ces championnats?
J’étais très heureux de voir André Thieme (champion d’Europe individuel associé à DSP Chakaria, ndlr) gagner. J’en avais fait un de mes outsiders pour les Jeux olympiques. Il n’a pas eu la réussite escomptée au Japon, donc le fait qu’il gagne aux championnats d’Europe comme je l’espérais était vraiment mérité. C’est rafraichissant de voir de nouveaux couples sortir de l’ombre et s’imposer. Ensuite, nous avons vraiment retrouvé les leaders actuels de notre sport, que ce soit Martin Fuchs (vice-champion d’Europe avec Leon Jei, ndlr) ou Peder Fredricson (médaillé de bronze aux rênes d’H&M Catch Me not S, ndlr). Je pense qu’il faut tout de même saluer la performance d’Olivier Robert, qui a réalisé un superbe championnat (avec Vivaldi des Meneaux, le Bordelais a pris la quinzième place individuelle, ndlr). Il ne rate vraiment pas grand-chose en ce moment et a réalisé une saison incroyable. C’est bien pour notre sport et pour notre pays (Olivier Robert a aussi remporté le Grand Prix 5* de Madrid en mai avec Vivaldi des Meneaux, puis le Grand Prix 5* de Rome il y a deux semaines avec Vangog du Mas Garnier, ndlr). C’était ses premiers grands championnats, donc c’est chouette qu’il ait réalisé la meilleure performance française.
Quels sont les prochains rendez-vous auxquels vous allez prendre part?
Je vais retourner une fois à Grimaud, avant de normalement me rendre au CSIO 3* de Vejer de la Frontera pour sauter une Coupe des nations avec l’équipe de France. J’aimerais y signer une bonne performance, car le rêve d’équipe de France n’est pas si loin! C’était l’objectif, et nous y sommes! Avec Cicave, nous étions déjà dans les “petits papiers”, mais nous attendions que le cheval soit prêt. Finalement, je vais tutoyer ce rêve avec Brazyl. Je ne vais pas laisser passer cette chance!