“Mon rêve était de créer une relation unique avec un cheval, et j’y suis parvenu”, Lambert Leclezio

En août 2021 à Budapest, Lambert Leclezio a réalisé l’exploit de remporter un troisième titre de champion du monde de voltige, associé à Estado*IFCE. Le voltigeur du Pôle France FFE de voltige à Saumur en dit plus sur ce cheval acquis par l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), dans le cadre de sa mission de soutien aux sport équestres de haut niveau, et le travail de toute une équipe.



Estado*IFCE est arrivé il y a maintenant deux ans à Saumur. Pouvez-vous revenir sur votre rencontre?

J’ai rencontré Estado en février 2019 en Belgique. Après les Jeux équestres mondiaux de 2018 et la retraite de Poivre Vert, il était question pour moi de me trouver un nouveau cheval pour accompagner mon dernier cycle de quatre ans à haut niveau. Cynthia Danvers, une Néerlandaise qui avait longé le cheval sur lequel j’avais disputé les championnats du monde Juniors en 2015, et avec laquelle j’avais gardé un bon contact, m’a aidé à repérer des chevaux. Aux Pays-Bas et en Belgique, il y en avait beaucoup plus à vendre correspondant à nos critères. En fait, elle partait pour essayer un cheval pour moi dans l’écurie d’un de ses amis. Celui-ci craignant le tapis de voltige, elle n’a jamais pu le longer. Par hasard, Arjen Teeuwissen, le propriétaire des écuries, médaillé aux JO de Sydney en 2000 et qui continue le dressage pour son plaisir, lui a présenté Estado. Il pensait qu’il avait le cadre idéal et un mental adapté à la voltige de haut niveau. Elle l’a essayé et ce fut une révélation. Elle n’avait aucun doute sur ses qualités et sa capacité à me mener jusqu’à mes objectifs. Il avait un âge idéal de dix ans, il était prêt physiquement et très bien dressé. Nous avons gagné énormément de temps dans son apprentissage par rapport à notre beau Black Mor*IFCE, par exemple, que nous avons acheté à cinq ans. Généralement, je dirais qu’il est bien de commencer la voltige avec un cheval d’au moins huit ans. Nous sommes venus l’essayer deux fois par la suite, avec Sébastien Langlois puis avec Loïc Devedu (écuyers du Cadre noir, ndlr) et nous avons proposé à l’IFCE de l’acheter pour mon projet. Au départ, il n’était pas à vendre mais Arjen a bien voulu nous le céder car il a cru en notre projet. Voilà comment, en juin 2019, Estado est arrivé à Saumur.

Quelles sont ses qualités, notamment celles qui font de lui un bon cheval pour la voltige?

Estado est un magnifique cheval – objectivement! (rires) Il a une belle qualité de galop, ce qui est très important pour notre discipline car 25% de la note moyenne repose sur le cheval. À très haut niveau, c’est très important. Il s’est initié très facilement à la voltige. Il a entièrement confiance en moi, n’a jamais réagi ni montré de signes de résistance à ma voltige. Jamais! De plus, il est plutôt froid dans sa tête et capable de gérer beaucoup de pression si les choses sont demandées correctement et posément. Nos chevaux doivent être à l’aise avec la musique forte, les basses, les applaudissements, les tribunes qui sont souvent très proches, etc. Avec sa courte expérience, Estado a déjà su gérer certaines situations comme un cheval expérimenté.

Et quels sont ses défauts?

Il en a quelques-uns. Par exemple, il déteste la chambrière, ce qui peut être embêtant pour la voltige. Il nous a fallu quelques mauvaises expériences pour vraiment mettre le doigt sur ce problème. Loïc a dû trouver une façon de le longer en utilisant la chambrière de manière très légère. Il faut arriver à le faire avancer par lui-même avec le moins de contrainte possible car il ne supporte pas ça. Lors des Mondiaux, nous avons été obligés de trouver une zone de confort dans laquelle il était aussi stable et performant que possible afin que je puisse assurer mes programmes. Pour autant, il n’avait disputé que deux concours internationaux avant ces championnats, et nous sommes rentrés avec une médaille d’or. Que demander de plus! Selon moi, Estado a encore une belle marge de progression.

© Łukasz Kowalski/FEI



“Les Matinales du Cadre noir sont notre meilleur outil pour préparer les concours”

Loïc Devedu est aujourd’hui le longeur d’Estado. Comment travaillez-vous avec Estado?

Estado voltige deux fois par semaine. Les séances sont généralement très courtes. Le reste du temps, c’est Loïc qui gère son travail en fonction de son état, des objectifs et des temps forts de la saison. Il oscille entre plat, trotting, balade, travail en liberté sur des barres au sol, etc. L’éventail est assez diversifié. Nous essayons de participer à un maximum de Matinales du Cadre noir, car c’est notre meilleur outil pour préparer les concours. Cette année, nous avons fait huit sur les vingt-deux programmées. Comme Loïc participe aussi aux reprises des Sauteurs et de Manège, ce n’est pas toujours évident pour nous. Je remercie Laurence Sautet, qui a nous bien accompagnés sur ce projet et nous a permis de participer à ces Matinales.

Estado est suivi par Isabelle Burgaud à la clinique vétérinaire du site de Saumur. Elle est incroyable avec lui. Nous lui accordons une confiance aveugle. Sébastien est là lors de nos séances de voltige pour aider Loïc à la longe, lui exposer ses points de vue et échanger. Il le récupère aussi à la monte quand Loïc ne peut pas venir. Éléonore, sa soigneuse, s’occupe parfaitement de lui. Elle le conduit au marcheur tous les matins, lui prodigue ses soins et le laisse au paddock avant de partir le soir. Je me charge de le rentrer après mes entraînements, ce qui lui laisse généralement deux petites heures pour profiter du grand air. C’est toujours un petit stress pour nous quand elle part en vacances ou autres! (rires) Le samedi après-midi et dimanche, je viens m’entraîner et m’occuper d’Estado. Il profite alors autant que possible du paddock. Et je l’emmène beaucoup marcher tous les jours.

De mon côté, je suis là quasiment sept jours sur sept. Je m’entraîne pratiquement tous les jours, à raison de vingt-cinq à trente heures par semaine, essentiellement avec Baba (Bamdad Memarian, ndlr), qui est ici avec nous depuis 2019.

Comment vous êtes-vous adaptés aux contraintes liées à la crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19?

D’un côté, nous avons eu un an supplémentaire pour initier Estado à la voltige. De l’autre, nous n’avons pas pu le préparer à la compétition comme nous le voulions. Ainsi, nous n’avons eu que les CVI de Saumur et Le Mans, en juin et juillet, avant les Mondiaux. Ce n’est pas hyper confortable pour aller chercher une médaille dans un championnat. Nous avons donc pris toutes les présentations publiques du Cadre noir et certaines démonstrations au Pôle européen du cheval comme des étapes essentielles de préparation. J’espère que la saison prochaine sera plus “normale” et que nous pourrons concourir sur davantage de grandes pistes avant les Mondiaux de Herning.

© FEI/Lukasz Kowalski



“Les Mondiaux de Herning seront ma dernière grande échéance individuelle”

Petit retour sur les championnats du monde. Comment s’est comporté Estado en Hongrie? 

À Budapest, il a fait ce qu’il a pu à l’instant T. Il est resté très froid dans sa tête, gérant comme un chef l’immense pression qui était sur nos épaules. En première manche, il était en-dessous de son niveau mais fiable, ce qui m’a permis d’assurer mes Imposés et mon premier Libre. Lors du programme Technique, il a vraiment été super. Ce fut pour moi son meilleur passage car il était très régulier, super agréable et relâché, avec un beau galop sur un grand cercle. Ce passage noté à 9,085 (un record pour un Technique, ndlr) nous a permis de creuser de manière importante les écarts avec les autres concurrents. Ce fut un programme décisif. D’ailleurs, c’était le seul où nous n’avions pas performé en préparation. Au Mans, trois semaines auparavant, nous avions été notés à 7,8… L’enjeu était donc immense pour nous avons réussi un programme quasi-parfait. Nous avons su rebondir après notre échec et accumuler de l’expérience pour les championnats du monde. Le second Libre fut légèrement plus difficile pour nous tous, compte tenu de notre fatigue et de la nécessité de performer, tout en ayant la pression de devoir assurer une manche correcte pour conserver la tête du championnat. Nous avions alors 0,7 point d’avance sur l’ensemble des trois premiers passages. Celle-ci me permettait de prendre des risques et de me faire vraiment plaisir, mais l’instant T en a voulu autrement. Je me suis senti moins en harmonie avec Estado et Loïc que la veille. Il y a donc eu quelques moments d’hésitation et un petit raté en début de programme. Nous avons fini troisièmes de cette épreuve mais avons gardé 0,6 point d’avance au général, ce qui nous a offert le titre mondial.

Nous sommes très heureux de ce qui a été accompli avec le bel Estado. Cela m’enlève un gros poids des épaules car j’ai rempli la mission que je m’étais fixée. Mon rêve était de créer une relation unique avec un cheval. Je l’ai trouvé, initié à la voltige, lancé en concours, accompagné lors de son premier international, puis de son premier championnat du monde, et ce de la plus belle des manières. Maintenant, tout le reste ne sera que du bonus pour moi… Peu importe ce qui arrivera, je suis super fier du travail accompli, je n’oublierai jamais Estado et ce titre si spécial à mes yeux.

Quels sont vos prochains objectifs?

Concrètement, nous visons la finale de la Coupe du monde, organisé en avril 2022 à Leipzig. Puis nous enchaînerons avec quelques CVI, dont celui de Saumur en mai, l’historique d’Aix-la-Chapelle en juin, et sûrement celui d’Ermelo aux Pays-Bas, avant les championnats du monde de Herning. Ce sera ma dernière grande échéance à haut niveau en individuel, l’aboutissement d’une longue et riche carrière, avec énormément de sacrifices. Je pense qu’il sera temps pour moi après de passer à autre chose. Herning sera donc spécial à mes yeux. Les Mondiaux de plusieurs disciplines y seront organisés en même temps (saut d’obstacles, dressage, para-dressage et voltige, ndlr). En para-dressage, il y aura Céline Gerny, par exemple, qui s’entraîne régulièrement avec nous. D’ailleurs, je rêverais qu’Estado puisse se reconvertir et poursuivre sa carrière avec elle. J’espère vraiment que cela pourra être mis en place et que ce projet fonctionnera. Je ne pourrai pas imaginer d’une meilleure suite pour lui.