“Nous sommes en train de reconstruire notre équipe colombienne”, René López
Lorsqu’il évoque son métier et ses chevaux, René López ne peut contenir tout l’amour qu’il porte à son sport et à ses compagnons de route. Établi à Saint-Pierremont dans les Vosges, le Colombien installé depuis quarante ans en France amorce une nouvelle étape de sa carrière. Toujours accompagné du Suisse Bertrand Darier, son fidèle ami et propriétaire, il peut compter sur un piquet de chevaux lui permettant plus que jamais de rêver briller aux championnats du monde et surtout de Jeux olympiques, à Paris. Si la Colombie a connu une période difficile, le quinquagénaire espère que le travail de reconstruction actuellement mené par Heinrich-Hermann Engemann portera ses fruits.
Vous avez participé à l’Hubside Fall Tour de Grimaud qui s’est tenu du 16 septembre au 17 octobre. En un mois, vous avez participé à pas moins de quarante-trois épreuves, avec à la clé deux victoires à 1,50m et d’autres classements sur Stalognia (Old, Stakkatol x Chacco-Blue) et deux bons Grands Prix CSI 5* avec Kheros van’t Hoogeinde (BWP, Echo van’t Spieveld x Darco). Quel bilan général en tirez-vous?
Le bilan est vraiment positif. Outre les chevaux plus confirmés, les jeunes ont aussi pu progresser avec ces quatre semaines de compétition. Nous avons vraiment de la chance de pouvoir compter sur ces événements pour faire travailler nos chevaux.
Kheros a réussi un double sans-faute dans le Grand Prix CSI 5* du 19 septembre, se classant troisième, puis a juste écopé d’un point de temps dans celui du 17 octobre (terminant treizième, ndlr). Il sautait tellement bien que je me suis un peu endormi en selle. J’espère que cela va nous être utile pour le CHI-W Longines d’Equita Lyon, cette semaine. J’ai également emmené Stalognia. Je savais déjà qu’elle était très douée, bien qu’un peu sensible par nature. Nous avons attendu qu’elle mûrisse, et elle a énormément progressé. Nous avions parfois envie d’aller plus vite, de la pousser un peu, mais nous l’avons attendue. Dans notre métier, la patience est une qualité essentielle. Nos efforts ont porté leurs fruits.
Cheyenne de la Violle (SF, Nabab de Rêve x Utah van Erpekom) a participé à douze épreuves, et Calourina PS (OS, Carembar de Muze x Baloubet du Rouet) seulement à quatre. Quels étaient vos objectifs et comment utilisez-vous les programmes sportifs de concours comme celui de Grimaud?
Calourina n’a que sept ans, et elle n’a pas beaucoup concouru à six ans, donc nous y allons tout doucement, en accord avec M. Darier. Elle est née chez Paul Schockemöhle, et nous l’avons achetée il y a peu de temps, comme Stalognia, donc nous nous attachons à la former tranquillement. Nous essayons de faire en sorte que nos chevaux assimilent bien le but de la compétition et qu’ils s’amusent. En tout cas, elle a beaucoup progressé et enchaîné les sans-faute lors de nos derniers parcours.
Cheyenne de la Violle est un cheval que j’ai toujours beaucoup aimé et qui a énormément progressé. Je l’ai acheté lorsqu’il avait six ans. Tout le monde parlait beaucoup de lui sans vraiment s’y intéresser. Les gens disaient que ses radios étaient mauvaises et qu’il n’était pas parfait, mais c’est aujourd’hui un cheval très solide, doté d’un très bon mental. Il a beaucoup de moyens, du caractère et beaucoup de respect, et il commence à se classer à 1,45 et 1,50m. Je pense qu’il pourra participer à des Grands Prix CSI 5*. J’ai eu un peu de mal au début parce qu’il était très marqué par l’équitation d’Éric Lelièvre, qui le montait depuis ses quatre ans et avec qui il avait gagné les finales nationales des six ans puis des sept ans. De ce fait, nous avons dû nous adapter l’un à l’autre pour former un couple. C’est pourquoi j’ai décidé de l’engager dans davantage d’épreuves. Pour l’instant, nous continuons à peaufiner son dressage, puis lui laisserons une petite période de repos. Cheyenne est le seul de ces chevaux qui n’appartient pas à Bertrand Darier (il est la copropriété de René et à la jumenterie de la Violle, ndlr).
Quid de Déesse du Château (SF, Calvaro x Diamant de Semilly), issue de la célèbre souche d’Itot du Château?
C’est un peu le même scénario. Selon moi, elle a un grand potentiel. Elle n’a que huit ans et peu d’expérience, mais elle a beaucoup progressé. Elle réussit beaucoup de sans-faute mais nous ne l’avons jamais poussée pour la classer. J’étais même prêt à l’engager dans un Grand Prix CSI 2*. Comme son dressage était perfectible, nous n’avons pas brûlé les étapes, fidèles à notre politique. En revanche, nous avons appuyé un peu plus sur l’accélérateur avec Stalognia, qui a bien mûri et nous semblait prête. Et cela s’est très bien passé. Elle est tellement exceptionnelle! Kheros est également fantastique. J’ai la chance d’avoir un piquet d’une qualité exceptionnelle.
Con Dios III (Holst, Colman x Romino), votre partenaire des Jeux olympiques de Rio, n’est plus apparu en compétition depuis le CSIO 5* de La Baule. L’heure de la retraite a-t-elle sonnée pour lui?
Oui, nous avons effectivement décidé de l’arrêter. Il va très bien et m’a offert tant de belles choses, notamment des participations aux Jeux olympiques et aux Jeux panaméricains de Toronto. Il part chez Adeline Amory, qui a été ma groom durant douze ans. Il ne sera pas loin, donc je pourrai aller le voir. Adeline le connaît par cœur et je sais qu’elle va continuer à le bichonner. Elle lui a déjà prévu un box et il aura un copain de retraite. C’est un départ qui tombait bien dans le sens où Adeline s’en va et qu’elle emmène Con Dios avec elle. C’est une belle histoire.
Quelles sont vos prochaines échéances?
Je me rends à Lyon cette semaine. En fonction des résultats obtenus, j’irai peut-être à Vérone, Madrid ou La Corogne, mais je ne veux pas trop en demander à Kheros et Stalognia, ni à Cheyenne, qui les épaules. À un moment, je leur donnerai sûrement du repos. Je suis passionné par les concours mais il faut protéger nos chevaux… et j’aurai moi aussi besoin de vacances! Je pense déjà fortement aux championnats du monde de 2022, alors je ne veux pas trop les solliciter. C’est une grande échéance, que nous commençons déjà à préparer. J’ai de la chance d’avoir deux très bons chevaux, donc mon choix se portera sur celui qui sera le plus en forme et correspondra le mieux aux conditions du championnat.
“La fédération colombienne connaît un renouveau”
Comment s’est réorganisée l’équipe colombienne après sa non-qualification pour les Jeux olympiques de Tokyo?
Ce fut un échec. Et cette année, nous ne sommes vraiment pas passé loin d’obtenir une qualification pour la finale mondiale des Coupes des nations Longines à Barcelone. Concernant les JO, nous aurions pu espérer nous qualifier lors des Jeux panaméricains de Lima, en 2019. Je devais y aller, mais je suis malheureusement tombé chez moi et me suis cassé quatre côtes huit jours avant le départ. Mon frère Carlos n’a pas eu de chance non plus: son cheval prévu pour cette échéance n’était pas en forme à ce moment-là. Notre équipe était donc moins forte que prévu. Réduits à trois, nos coéquipiers se sont battus comme des lions, mais n’ont pas réussi à se qualifier (terminant à un peu plus de onze points de l’Argentine, ndlr). Finalement, nous n’avons obtenu qu’une place individuelle aux JO (octroyée à Roberto Terán Tafur, ndlr), ce qui a représenté un petit échec. Avec notre nouvel entraîneur, Heinrich-Hermann Engemann, nous sommes en train de reconstruire le sport dans notre pays. Nous nous organisons pour essayer d’avoir la meilleure équipe possible.
Quelles relations entretenez-vous avec votre Fédération?
Ce n’est pas toujours simple pour les cavaliers des nations émergentes installés en Europe. On l’a encore vu récemment avec l’Égypte, que deux cavaliers majeurs, Sameh el Dahan et Abdel Saïd, ont choisi de quitter après les JO… Tout est affaire d’organisation. Au cours des derniers mois, tout n’était pas très clair. Nous étions en léger désaccord. Je pense que tout cela est dû à un manque de communication entre la fédération, l’entraîneur et les cavaliers. J’espère que nous allons pouvoir remettre tout cela en route avec Engemann. Nous n’avons pas encore énormément échangé. C’est un sujet délicat. Nous avons besoin d’avoir une réelle discussion tous ensemble, cavaliers et instances, pour repartir du bon pied et reconstruire un collectif. En tout cas, la fédération colombienne connaît une période de renouveau.
Bertrand Darier vous accompagne en tant que propriétaire depuis de nombreuses années. Comment cette relation est-elle née? Et comment expliquez-vous cette longévité ? Ce n’est pas si courant…
C’est vrai. Parfois, les gens utilisent le mot mécène pour qualifier Bertrand, mais je n’apprécie pas vraiment ce terme. Je le connais depuis très longtemps. Lui-même montait à cheval (ses derniers concours remontent à juin 2018, ndlr). C’est un amateur éclairé qui s’est donné beaucoup de mal avec ses chevaux. Un jour, je lui ai parlé lors d’un concours, nous avons bu un café ensemble. Je m’en rappelle très bien, c’était à Bois-le-Roi chez les Rozier. Je lui ai donné mon numéro de téléphone et il m’a appelé quelque temps plus tard. Je ne m’y attendais vraiment pas. Il est venu chez moi, a acheté deux chevaux le même jour: une jument grise qu’il a gardée pour lui ainsi qu’Ornella, propre sœur de Quincy (rebaptisé Quaprice Bois Margot, ndlr) que j’ai également monté. Il m’a laissé Ornella et, à partir de là, nous ne nous sommes plus jamais quittés. Il a sûrement été démarché de nombreuses fois mais il est si fidèle qu’il ne m’a jamais quitté. Nous avons vraiment une relation de confiance, qui va durer encore longtemps, je l’espère.
Aujourd’hui, je considère son épouse Martine et lui davantage comme des membres de ma famille que de simples propriétaires. Ce sont des amis, il y a une confiance totale entre nous. Nous avons acheté beaucoup de chevaux ensemble. Nous travaillons avec des gens de confiance et regardons beaucoup de vidéos. À plusieurs reprises, nous avons investi sans même essayer le cheval, comme ce fut le cas avec Stalognia. Nous avons eu la chance de voir passer de nombreux excellents chevaux comme Noblesse des Tess (médaillée de bronze par équipes aux Jeux olympiques avec le Saoudien Kamal Bahamdan après avoir gagné les Grands Prix CSI 4* de Fontainebleau et CSI 3* de Saint-Lô avec René, ndlr), que nous avions décidé de vendre. Aujourd’hui, nous donnons la priorité au sport. Nos chevaux sont toujours demandés du fait de leur qualité. Nous essayons toujours de les garder, mais nous sommes malheureusement parfois obligés d’en vendre. Dans ce cas, nous veillons à ce qu’ils partent dans de bonnes maisons.
Dans quelle mesure vos activités ont-elles subi les effets de la pandémie?
Tout le monde a été touché. Sportivement, déjà, car nous avons moins pu concourir. Par ailleurs, j’adore former et valoriser les jeunes chevaux. Cela fait partie de mon système, et cette activité a été grandement touchée. Vendre un jeune cheval de temps en temps nous permet de vivre, alors cette période était assez difficile. Nous nous sommes serré un peu la ceinture, avons mangé moins de viande et plus de pâtes pendant une petite saison! Grâce à Dieu, je suis toujours très optimiste, ce qui nous a permis de tenir le coup. Notre filière commence à retrouver sa vie d’avant. De nombreux acteurs ont été touchés, notamment les centres équestres, pour lesquels cela a été très compliqué. Nous ne sommes pas encore tirés d’affaire, mais le commerce est bien reparti. Les gens avaient envie d’acheter et de concourir à nouveau, ce qui a relancé le système. D’un côté, cette pandémie a mis un coup d’arrêt à notre filière. De l’autre, le déconfinement l’a fait repartir subitement avec un grand nombre de nouveaux licenciés qui ont voulu profiter d’activités au grand air.
“Je veux me donner les moyens de briller à Paris 2024”
Vous qui êtes arrivé en France à dix-sept ans, quel regard portez-vous sur l’évolution de notre sport depuis toutes ces années?
Il a énormément évolué. Avant, il fallait sauter des barres très hautes et des obstacles massifs, donc nous utilisions des chevaux avec de gros moyens mais sans forcément beaucoup de sang.
Aujourd’hui, ils doivent avoir de l’influx, combiné à une intelligence et un respect de la barre. Les moyens sont nécessaires, mais plus de façon si prioritaire. Le mental et la sang sont plus importants, car les parcours sont beaucoup plus techniques, et les temps accordés plus courts. D’ailleurs, ce n’est pas toujours une bonne chose. On voit quelques Grands Prix où le chef de piste se trouve obligé de serrer le temps de façon exagérée, alors qu’il pourrait simplement surélever quelques barres, ou autres. Dans notre sport, il y a d’autres problèmes qu’il faudrait aborder, mais je ne pense pas que le moment soit opportun. Je pense évidemment au système des guêtres postérieure, par exemple. Il y a eu beaucoup d’améliorations. Et aujourd’hui plus que jamais, il est important de rappeler que nos chevaux sont vraiment bichonnés et protégés. Ils sont suivis, voient le dentiste tout le temps, parfois plus que certains humains. Leur alimentation est étudiée: nous recherchons les meilleurs aliments, le meilleur foin, pour chaque cheval, etc. C’est important de parler de tout cela.
Nous sommes parfois attaqués par des personnes qui ne connaissent certainement pas assez notre filière et qui ne peuvent pas imaginer l’amour que nous portons à ces animaux. Nous leur accordons plus d’attention qu’à nous-mêmes. Nous dormons presque avec eux et les surveillons en permanence. Parfois, j’aimerais inviter ces personnes à venir voir nos chevaux. Je n’ai rien contre elles et je comprends qu’elles ne veulent que le bien des animaux, mais j’aimerais qu’elles voient le temps que nous passons avec eux et la manière dont nous nous en occupons. C’est un monde qui mérite d’être regardé de plus près. Il faut le dire haut et fort.
D’un point de vue professionnel, quelles sont vos relations avec Carlos, votre frère?
Carlos est le cavalier du haras des Grillons, fondé par Sadri Fegaier, qui organise l’Hubside Jumping de Valence et Grimaud. Grâce à Carlos, j’ai la chance de pouvoir participer à tous ces concours. De plus, grâce à Sadri Fegaier, nous sommes réunis au sein d’une même équipe de la Global Champions League, donc nous passons plus de temps ensemble qu’auparavant. Pour autant, nous avons toujours été en contact.
Carlos est très doué à cheval. Il paraît parfois un peu dur avec ses chevaux, mais s’il y a une personne qui les aime et les respecte, c’est bien lui. Nous sommes très heureux l’un pour l’autre. Lorsqu’il gagne, je vibre pour lui, peut-être même plus que pour moi! Nous nous prodiguons des conseils. Il monte vraiment très bien, alors j’accepte volontiers les siens. Nous nous disons toujours la vérité, même lorsque nous pensons que l’autre a tort. Et nous nous aimons comme deux frères, tout simplement.
Vous aurez soixante ans en 2024. Les Jeux de Paris sont-ils un objectif? Et si oui, avec quel cheval?
Je vais être un peu prétentieux: je ne pense pas avoir un cheval mais plutôt des chevaux pour cet objectif. Bien gérés, Stalognia ou Kheros peuvent prétendre à une sélection en fonction de leur état de forme. À moi de bien gérer mes dernières années à haut niveau. Je veux me donner les moyens de participer et de briller à ces Jeux de Paris. Je reste colombien mais la France m’a soutenu et beaucoup apporté depuis toutes ces années. C’est un peu mon pays d’adoption alors j’y tiens fortement, en espérant que tout se passe bien. C’est une échéance assez proche et très lointaine en même temps.
Pour l’instant, je garderai secret le nom des chevaux auxquels je pense le plus! J’ai eu la chance de voir passer sous ma selle des cracks olympiques comme Noblesse des Tess, Napoli du Ry ou encore Rufus, le cheval de Rodrigo Pessoa. C’est cela qui me permet de dire, par expérience et comparaison, que j’ai dans mes écuries plusieurs atouts pour les Jeux de Paris. J’espère que je les garderai, que M. Darier sera toujours à mes côtés et que tout se passera bien. Si l’on ne rêve pas, on arrête de vivre.