“Revenons aux anciens formats olympiques de quatre cavaliers avec un drop score, pour le bien de nos chevaux”, Steve Guerdat
Hier, dans le cadre du congrès de la Fédération équestre internationale, dont l’assemblée générale à proprement parler se tiendra demain, Steve Guerdat a prononcé un discours en faveur du retour aux anciens formats des compétitions olympiques. Avec force arguments et non sans lyrisme et passion, le champion olympique de Londres a détaillé point par point en quoi, selon le Club des cavaliers internationaux de saut d’obstacles (IJRC), soutenu en cela par le Club des propriétaires (JOC) et la plupart des grandes fédérations nationales, les formats en vigueur depuis les Jeux de Tokyo dévalorisent l’image du saut d’obstacles et desservent pas la cause du bien-être animal. Son discours est ici traduit et synthétisé.
“Au nom du Club des cavaliers internationaux de saut d’obstacles (IJRC), je souhaite apporter le point de vue d’un athlète qui, s’il n’est pas le seul valable, doit être pris en compte. L’idée des nouveaux formats olympiques a été présentée pour la première fois il y a quelques années lors d’un Forum des sports où je me suis moi-même rendu (à Lausanne, ndlr) en tant que représentant de l’IJRC. Déjà à l’époque, nous y avions vu de nombreux inconvénients et ne comprenions pas ce que ces nouveaux formats pouvaient apporter de bénéfique à notre sport. Nous avons alors tenté de nous y opposer, mais je dois dire que malgré la possibilité qui nous a été donnée de nous exprimer sur le sujet, nous n’avons pas été entendus. Ces formats ont donc été adopté et nous, cavaliers, avons accepté de leur laisser une chance, notre objectif commun étant de voir notre sport évoluer vers le meilleur. Nous espérions que les Jeux olympiques de Tokyo seraient le théâtre de grands moments de sport et ils le furent, mais uniquement parce que nous avons pu compter sur un excellent chef de piste, de talentueux athlètes, cavaliers comme chevaux, et les plus méritants l’ont finalement emporté. Cela n’était aucunement dû aux nouveaux formats mis en place – au contraire.
Le fait de débuter la compétition par le championnat individuel a été frustrant pour beaucoup d’entre nous. Le format des championnats auquel nous sommes habitués permet aux couples de s’affirmer progressivement au fil des épreuves, pour espérer être au sommet de leur forme le dernier jour. Malheureusement, à Tokyo, nombre d’entre nous avons eu le sentiment que tout était terminé dès le début de la compétition, alors même qu’il nous restait à disputer les épreuves par équipes (ce fut fini tout court dès le premier jour pour une grande partie de ceux qui ne concouraient qu’en individuel, ndlr).
Vécue de l’intérieur, la qualificative par équipes (troisième épreuve au programme, ndlr), a été un désastre. Tout ce que nous avions craint lorsque l’idée de ces formats avait été introduite s’est effectivement produit, parfois même au-delà de ce à quoi nous redoutions. J’aimerais notamment souligner deux préoccupations majeures, la première étant relative au bien-être du cheval. Tout d’abord, nous avons vu trop d’images regrettables de couples qui n’étaient pas à la hauteur du niveau attendu dans un tel événement. De plus, je crois qu’un cavalier ne devrait en aucun cas se retrouver dans une position qui le contraint à terminer son parcours si son cheval ne le peut pas. Le meilleur exemple pour illustrer cette problématique est celui de Daniel Deusser, troisième à s’élancer pour l’Allemagne dans la finale par équipes (avec Killer Queen VDM, ndlr). À la suite d’une incompréhension, il a agi en homme de cheval en décidant de ne pas terminer son tour (l’Allemagne comptait déjà douze points et ne pouvait plus rien espérer après cet incident, ndlr). S’il avait dû partir en premier dans son équipe, il aurait été obligé de forcer sa jument à sauter pour ne pas décevoir toute une nation. Ce n’est pas ce que nous voulons voir.
D’un point de vue purement sportif, nous avons également été très déçus. Lors de la qualificative, plusieurs équipes se sont vues éliminées après le passage d’un ou deux couples. Les troisièmes équipiers des nations restantes pouvaient, dans certains cas, commettre jusqu’à six fautes sans compromette la qualification de leur équipe pour la finale, lors de laquelle les scores ont été remis à zéro. Et là encore, certaines équipes ont vu leurs espoirs s’envoler dès le passage d’un ou deux couples, si bien que plusieurs nations n’ont même pas fait partir leur dernier équipier vu l’absence d’enjeu. Selon moi, le fait de compter quatre cavaliers par équipe permet à davantage de nations de rester dans la course et rend la compétition bien plus excitante.
Certains arguments que je peux comprendre ont été avancés en faveur de ces formats. Plus courtes, il est en effet probable que nos épreuves aient été plus agréables à suivre. Néanmoins, on pourrait ne garder en finale que huit équipes de quatre couples au lieu de dix équipes de trois. Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec l’argument selon lequel ce format favoriserait les nations les plus faibles, étant donné que les meilleures équipes peuvent choisir trois couples redoutables et ainsi ne laisser aucune chance aux autres de rivaliser, ce que ne peuvent pas faire les nations plus modestes. Par ailleurs, je ne crois pas qu’il soit particulièrement difficile pour le grand public de comprendre le système de drop scores (le fait de ne pas compter le moins bon résultat de chaque équipe dans le calcul de son total, ndlr), qui existe d’ailleurs dans de nombreux autres sports.
De retour du Japon, l’immense majorité des avis qui me sont parvenus quant à ces nouveaux formats y étaient défavorables. Dans une volonté de ne pas entrer en conflit avec la FEI à travers des déclarations dans la presse, nous avons sollicité un échange avec Ingmar de Vos (président de la FEI, ndlr), afin de tenter de trouver un terrain d’entente. Cependant, nous avons été surpris de voir la FEI se féliciter publiquement des événements qui se sont déroulés à Tokyo et du succès de ces nouveaux formats. Nous avons également entendu parler de chiffres et de l’importance des réseaux sociaux qui ne sont, certes, pas à négliger, mais le mot “cheval” manque dans ces rapports.
Plutôt que de chercher comment modifier les formats olympiques pour y introduire davantage de d’équipes, ne serait-il pas plus judicieux de réfléchir à la meilleure manière d’aider ces nations à émerger dans les sports équestres? Cela passerait peut-être par le fait d’autoriser plus de cavaliers à concourir en individuel pour, à terme, leur permettre de se qualifier pour les Jeux en équipe.
Vu le manque d’écoute auquel nous avons encore été confrontés, pour la première fois de ma vie, j’ai voulu laisser tomber, considérant que c’était peine perdue. Mais de nombreux cavaliers sont venus me voir pour me demander de ne pas abandonner et d’essayer de sauver notre sport en l’honneur de son histoire et des générations passées qui ont fait de notre discipline ce qu’elle est aujourd’hui. Personnellement, je vaudrais pouvoir regarder ma fille dans les yeux dans quelques années, et au moins lui dire que j’ai tout essayé jusqu’à la dernière bataille pour sauver ce sport que j’aime par-dessus tout. En m’adressant à la FEI, ainsi qu’à vous, fédérations nationales, je demande à chacun de prendre ses responsabilités, sans laisser de place à l’égo. J’espère qu’ensemble, nous pourrons réaliser ce que nous pensons être impossible: revenir aux anciens formats de quatre cavaliers avec un drop score, pour le bien de nos chevaux.”
Vous pouvez ici revoir son discours en intégralité