“Nous avons toujours cru en Britney du Banney et elle ne fait que confirmer son potentiel pour le haut niveau”, Paul Delforge
Le week-end dernier, à l’Hubside Jumping Winter Tour de Valence, Paul Delforge a réalisé de belles performances et remporté la dotation la plus importante de sa carrière en terminant deuxième du temps fort dominical. Comptant sur un solide piquet de chevaux, qui se développe et se révèle un peu plus à chaque concours, le jeune homme construit savamment son avenir. Élu meilleur cavalier des moins de vingt-et-un an en 2018, le Franc-comtois, installé à Luxeuil-les-Bains, à une petite centaine de kilomètres à l’ouest de Mulhouse, ambitionne de s’affirmer à haut niveau et de porter toujours plus haut la bannière de l’élevage familial du Banney avec, pourquoi pas, les Jeux olympiques de Paris 2024 en ligne de mire. Entretien.
Ce week-end, vous avez réalisé de belles performances en terminant deuxième du Grand Prix CSI 3* d’Hubside Jumping Valence avec Britney du Banney (SF, Marius Claudius x Elcosto du Banney) et en remportant deux épreuves du CSI 2* avec Uschka du Tassier (SF, Air Jordan x Quartz du Vallon). Quel est votre sentiment après ce bon concours?
Je suis très heureux car le concours s’est très bien déroulé. Britney a été formidable! Elle réalise un sans-faute le premier jour. Vendredi, dans l’épreuve majeure à 1,50m elle signe un nouveau sans-faute et aurait pu terminer deuxième sans quatre petits points au barrage. Enfin, elle m’offre un double sans-faute dans le Grand Prix où nous terminons deuxièmes. Uschka, elle, a gagné deux épreuves. J’avais également mon ancienne jument, Terre du Banney (SF, Crown Z x Olisco), qui est quatrième et deuxième dans deux épreuves à 1,45m puis classée en 1,50m. Tous les chevaux étaient en forme, c’est un vrai plaisir de performer avec eux. De tels résultats en fin de saison sont autant de signes d’une bonne gestion : même au mois de décembre, mes chevaux répondent toujours présents et ce sur des épreuves relevées.
Vous avez participé à de nombreuses tournées cette saison, à Valence, Vejer de la Frontera ou encore Grimaud. Quel bilan tirez-vous de votre saison de concours?
Ce fut vraiment une très belle saison. J’ai eu un tout petit peu de malchance au début car Britney a été arrêté quelques mois en raison d’un effort au jarret. Nous préparions la saison à Vichy (lors de l’épreuve inaugurale du Grand National, ndlr) et elle a trébuché à la réception d’un obstacle. Rien de grave mais il a fallu s’armer de patience le temps de la laisser récupérer dans les meilleures conditions. En attendant, mes autres chevaux ont bien pris le relais comme Allblack de Gressoux (SF, Pacific des Essarts x Queiros du Riou) avec lequel j’ai participé au CSIO 3* de Peelbergen au mois de mai, ce qui m’a laissé dans le coup pour l’équipe de France et les Coupes des nations. Quand Britney est revenue au mois d’août, la fin de saison a vraiment été bonne car elle reste ma jument de tête avec laquelle je participe aux plus grosses échéances. Depuis Ascona début septembre, jusqu’au 3* de Valence, nous avons obtenu de nombreux classements, des qualifications et des barrages. Les chevaux ont vraiment passé un cap, à l’instar de Britney en 4*. Uschka et Terre restent performantes à haut niveau malgré leur âge (treize et quatorze ans en 2021, ndlr) et de nouveaux chevaux démontrent qu’ils sont prêts à prendre la relève. Tout cela est très satisfaisant.
Vous évoluez avec Britney du Banney à haut niveau depuis plus de trois ans. Pouvez-vous nous en dire plus sur son histoire, son évolution et vos aspirations?
Avec Britney, il s’agit d’une belle histoire car elle est née à la maison. Je tiens l’écurie du Banney avec mes parents. L’élevage a été fondé par mon grand-père (Michel Gabillot, ndlr) en 1966. J’ai donc pu la former et participer à de nombreux concours comme la finale des cinq puis des sept ans. Lors de son année de huit ans, nous avons pris le temps de l’emmener tranquillement, avec les chevaux de tête de l’époque, sauter des beaux concours 2 et 3*. Nous avons toujours cru en elle et à dix ans, elle ne fait que confirmer son potentiel pour le haut niveau. J’ai eu la chance de rencontrer Christophe et Julie Martin, qui, en devenant propriétaire de Britney, m’ont permis de continuer à concourir avec elle. Malgré ses qualités indéniables il a fallu gérer son tempérament précieux et nous avons pris le temps de répéter des parcours faciles pour lui faire prendre confiance en elle. Nous avons franchi chacun des caps au bon moment et ce sont autant de petites victoires très importantes. L’année dernière a été une période de transition et elle nous a montré que nous avions eu raison de croire en elle. Depuis qu’elle est revenue de blessure, la jument nous prouve tous les week-ends qu’elle mérite sa place. Après un bon hiver de travail, j’espère pouvoir continuer en équipe de France en seconde ligue et débuter les Grands Prix 5* car elle est prête et ira loin.
"Notre élevage est un vrai réservoir de chevaux pour mon évolution vers le haut niveau"
Votre piquet de chevaux semble solide pour évoluer à un bon niveau. Pouvez-vous nous le présenter? Quels sont vos objectifs pour cette fin d’année, et plus largement pour 2022 ?
Terre du Banney est née à la maison et, là encore, c’est une belle histoire. Quand mes parents ont pris la suite de mon grand-père, c’était la dernière jument qu’il avait gardée et il me l’a toujours laissée. C’est la jument que j’associe à mes premières fois: premières finales des cinq, six et sept ans, première 1,45 et 1,50m, premiers 3* et 4*, premier classement en 5* à Lyon en 2018 et premières Coupes de nations Senior. Aujourd’hui, elle a quatorze ans alors je la sors moins en concours et, quand c’est le cas, ce n’est plus que pour du plaisir. C’est vraiment un bonheur de la voir en forme à cet âge-là ; elle m’a tant apporté. Uschka a un peu le même historique que Terre. C’est une jument que je monte depuis qu’elle a cinq ans et elle a épaulé Terre toute sa vie. Ce sont des juments qui m’ont tout donné. C’est toujours très plaisant de sortir en concours avec elles. Le but est qu’elles restent en bonne santé pour un jour nous donner des poulains et finir leur vie à la maison. Allblack est un cheval que j’ai récupéré à ses sept ans, qui sortait du cycle libre et qui n’avait jamais rien fait. Il m’a permis, quand Terre et Uschka ont eu besoin de souffler un peu après les années Jeunes Cavaliers et que Britney était encore trop jeune pour faire du haut niveau, de faire la transition. Allblack a eu une place très importante dans mon évolution et quand Britney a été arrêtée, il a été ce super cheval sur lequel j’ai pu compter, une fois de plus. J’ai eu tous mes chevaux très jeunes car nous sommes dans l’optique de les former pour les emmener au plus haut niveau, à notre manière. Britney, Allblack, Terre si elle est bien gérée et Dior (du Banney, SF, Kannan x Olicso) devraient m’aider à passer le cap du 5*. D’autres commencent à suivre comme Dior, une jument de huit ans classée plusieurs fois sur 1,45m cette année et qui passera le cap des 1,50m l’année prochaine. J’ai également récupéré Quirimo D (SCSL, Quidam de Revel x Clarimo) qui s’est classé dans le Grand Prix 2* de Valence ce week-end et Energika des Neyes (SF, Quick Star x Totoche du Banney). L’objectif est que tous mes chevaux continuent de progresser.
Vous êtes également présent sur le circuit du Grand National FFE/AC-Print aux côtés de Benoît Cernin et Charlotte Slosse. Que vous apporte ce circuit national, qui propose des Grands Prix jusqu’à 1,50m ? Est-ce une bonne étape avant de se lancer en internationaux ?
Il y a la Finale du Grand National au Mans la semaine prochaine et j’y ferai équipe avec Benoit Cernin, comme depuis deux ans maintenant. C’est un beau circuit qui nous permet de former les chevaux et qui, surtout, nous ouvre des portes. Le Mans est une belle finale, bien dotée et c’est une chance d’avoir ce circuit. Les pistes sont bonnes, le chef de piste toujours compétent et nous avons l’opportunité d’emmener plusieurs chevaux. Energika et Dior sont d’ailleurs des juments formées sur le circuit du Grand National. Nous avons ici l’avantage non négligeable de pouvoir faire évoluer quatre ou cinq chevaux à la fois sur le week-end, ce qui n’est pas possible en CSI. Le Grand National est également un bon indicateur car si les victoires s’enchaînent dans le Grand Prix du dimanche après-midi, nous savons que nous pouvons arriver en 3* en ayant largement notre place. La Fédération accorde beaucoup d’importance à ce circuit. Un sélectionneur est toujours présent le dimanche après-midi, ce qui leur permet de nous voir, d’observer nos chevaux. Cela nous ouvre parfois plus de portes que le fait de participer à un 2 ou 3* à l’étranger.
Le bien-être des chevaux, qui est un sujet de plus en plus important au sein de la société, semble occuper une place importante dans votre quotidien. Quelle est votre routine et comment s’organisent vos séances d’entraînement ?
J’ai la chance d’habiter près d’une immense forêt, à Luxueil-les-Bains, nous permettant de travailler énormément en extérieur. Nous avons également de nombreux prés, ce qui donnent lieu à des balades régulières. J’adapte le travail de mes chevaux en fonction des objectifs de chacun. Mis à part un peu de gymnastique, les chevaux sautent très peu à la maison, surtout en période de concours. Nous entretenons énormément leur physique et leur moral pour avoir des chevaux bien dans leurs pattes. La période hivernale nous donne l’occasion de bien régler la technique et de mettre toutes les choses au point pour continuer d’améliorer nos performances. Les chevaux vont tous les matins au paddock et sortent au moins deux fois par jour. Nous leur demandons tellement de choses qu’il est important d’être au plus proche de leurs besoins.
En parallèle de votre statut de cavalier professionnel vous menez à bien votre activité d’élevage au sein de l’écurie familiale de l’élevage du Banney. Quelle part de votre vie occupe cette activité? Vous préparez-vous à prendre les rênes de l’élevage, à la suite de votre père, Frédéric, et de votre grand-père, Michel Gabillot?
J’ai repris la structure avec mes parents et j’ai la chance de pouvoir compter sur eux pour tout ce qui concerne l’élevage et le débourrage, soit jusqu’à ce que les chevaux atteignent trois ou quatre ans. Le but étant de les former, nous participons régulièrement à des circuits jeunes chevaux. Pour mener à bien cela, je peux compter sur mon équipe. Nous sommes sept salariés sur la structure. Nous sommes obligés de vendre certains chevaux pour que la structure reste pérenne et que nous puissions en vivre. Du point de vue de ma carrière, c’est un vrai réservoir de chevaux pour le haut niveau, en plus des propriétaires qui peuvent nous suivre. Il n’y a qu’à voir ce weekend avec Britney et Terre. On dit souvent que l’on fait naître plein de chevaux que l’on n’achèterait pas forcément, et que, parfois, on fait naître des chevaux qu’on ne pourrait pas se permettre d’acheter. C’est un bon résumé de l’activité d’éleveur. Je suis complètement installé avec mes parents et même si nous avons chacun notre partie, nous travaillons ensemble. Cela se passe très bien. Je continuerai forcément à m’investir mais plus tard, je ne sais pas. L’activité perdurera forcément, car mon arrière-grand-père a fondé l’élevage. Le côté familial est très important. De plus, il y a une vraie utilité à cette deuxième activité. Beaucoup de chevaux de haut niveau sont issus de la maison, ce qui devient très intéressant pour le cavalier professionnel que je suis en parallèle.
"Nous demandons aux chevaux d’être à 100% tout le temps, alors, nous ne pouvons pas nous permettre d’être moyen"
Quels avantages présente le fait de monter des chevaux issus de son propre élevage ? Notez-vous une différence dans votre relation avec les chevaux ‘’du Banney’’ et les autres ?
Monter des chevaux issus de son propre élevage est un plus car nous les connaissons par cœur, nous les avons formés selon notre méthode et nous avons la gestion entière de leur carrière. C’est un avantage car nous n’avons pas de surprise. La façon de les élever, la première approche avec l’homme et le débourrage sont très importants et ce sont mes parents qui s’en occupent donc je sais comment cela a été fait et dans quelles conditions. Tout est toujours fait de la même façon, dans le même environnement et peut-être que grâce à cela ils se donneront un peu plus pour nous en piste. Cela peut aussi nous aider à mieux nous adapter à eux. La relation est forcément plus forte car nous avons plus de temps auprès d’eux et nous pouvons crée plus de liens. La complicité est là, c’est indéniable. Je ressens la même chose avec Uschka, que j’ai récupérée très jeune.
Pour vous soutenir dans votre ascension vers le haut niveau vous êtes épaulé par un préparateur physique et mental, vos parents et Michel Robert. Quels bénéfices en tirez-vous ?
Il n’y a pas de hasard : pour faire du haut niveau, il faut un système et un entourage solide. C’est le cas avec mes parents. À côté, j’ai la chance d’avoir une équipe formidable à l’écurie. Mes grooms et mes cavaliers sont dévoués au fait que la structure poursuive son ascension vers le haut niveau et nous y veillons tous ensemble.
J’ai également besoin d’avancer personnellement sur ma technique, alors j’ai travaillé tout jeune avec Jacques Bonnet puis avec François Franzoni. Ce dernier m’a énormément apporté sur l’éducation des jeunes chevaux et c’est grâce à lui que je suis, depuis trois ans maintenant, en contact avec Michel Robert. Nous échangeons beaucoup car il peut m’aider sur la gestion de ma carrière, au-delà de l’apport technique, car il a une vision plus large. Mon préparateur physique et mental s’appelle Grégory Monin. Il n’était pas forcément dans les chevaux mais son approche s’inspire d’athlètes de haut niveau issus d’autres sport, ce qui est très enrichissant. Notre vie est dédiée aux chevaux, à leur état physique, leur santé, leur moral et nous oublions parfois que nous devons, nous aussi, travailler de notre côté. J’ai vraiment pris conscience de cela récemment, surtout si notre carrière est longue. Plus tôt nous apprendrons à nous gérer, plus notre carrière devrait être agréable. Nous demandons aux chevaux d’être à 100% tout le temps, alors, nous ne pouvons pas nous permettre d’être moyen.
Britney a intégré la liste des chevaux espoirs pour les Jeux olympiques de Paris 2024. Ressentez-vous une certaine pression ? Comment vous préparez-vous pour cette échéance ?
C’était dans la continuité de tout ce que nous avons fait avec cette jument. L’année dernière, elle a montré qu’elle avait un potentiel certain et là, elle le confirme. L’échéance est encore lointaine mais c’est un signe que nous sommes sur le bon chemin. Cela montre que la Fédération croit en elle, en nous. Il faut continuer d’avancer et voir où cela nous mènera. C’est rassurant, mais cela n’est pas une fin en soi. Paris est encore loin et nous ne savons pas qui sera sélectionné ou non. Je ne suis pas encore ancré dans le très haut niveau alors mon but premier est déjà de m’y installer et d’y rester. Nous verrons où cela nous mène et, en attendant, je ne change pas ma façon de fonctionner et d’avancer. C’est beaucoup de travail et d’investissement et nous espérons que que cela sera assez bien pour le haut niveau. Participer aux Jeux de Paris est le rêve ultime, car ils auront lieu en France. Maintenant, j’aurais seulement vingt-sept ans. Alors, si ce ne se sont pas ceux-là, il y en aura plein d’autres derrière. Cela ne m’enlèvera pas l’envie et l’espoir de participer aux prochaines échéances. Après, si cela pouvait se concrétiser à Paris, ce serait formidable…