“Après les JO de Tokyo, tout a basculé”, Thierry Pomel
Au lendemain de l’annonce de son départ du poste de sélectionneur national de l’équipe de France de saut d’obstacles, Thierry Pomel a confié quelques tenants et aboutissants de cette décision. Le technicien de soixante-quatre ans porte un regard lucide et positif sur la décennie qu’il a passée au service de la Fédération française d’équitation, en tant que fonctionnaire du ministère des Sports. Ne s’imaginant pas le moins du monde à la retraite, le double médaillé d’argent des Jeux équestres mondiaux de Rome, en 1998, aspire à renouer avec l’entraînement et le coaching à titre privé.
Comment vous sentez-vous, vingt-quatre heures après l’officialisation de votre décision?
Très bien. Depuis hier, je reçois beaucoup de messages et d’appels très sympathiques, notamment de cavaliers et propriétaires, ce qui est d’autant plus agréable que ce n’est pas toujours le cas pour un sélectionneur! C’est assez touchant. Du reste, même si j’ai eu des désaccords avec tel ou tel interlocuteur, j’ai globalement toujours entretenu de bonnes relations avec tout le monde.
J’ai pris cette décision après mûre réflexion il y a quelque temps déjà, mais j’avais à cœur d’honorer mon engagement jusqu’au bout. Mon contrat s’achève le 31 décembre, et ma dernière mission de terrain consistait à accompagner les cavaliers français engagés au CSI 5*-W de La Corogne, où ils ont d’ailleurs brillé (Julien Épaillard et Simon Delestre remportant les deux premières épreuves majeures, avant que Grégory Cottard ne termine deuxième du Grand Prix Coupe du monde Longines, ndlr).
Pour vous, c’est la fin d’un contrat de trois ans en tant que sélectionneur national, mais aussi la conclusion d’une décennie entière vécue au sein de l’encadrement technique de la Fédération française d’équitation. Ce n’est pas rien…
Bien sûr, j’ai traversé et vécu beaucoup de choses durant ces dix ans. Il y a eu de très belles histoires de cavaliers et de chevaux, aussi bien avec les Jeunes Cavaliers et moins de vingt-cinq ans qu’avec les Seniors, sur lesquels je me suis concentré ces dernières années. Il y a aussi eu les Jeux olympiques de Rio en 2016, que j’ai vécus en tant qu’entraîneur adjoint au saut d’obstacles de l’équipe de France de concours complet. Il y a eu les grands championnats, plus ou moins réussis, les Jeux méditerranéens, etc. J’ai beaucoup de bons souvenirs. De toute façon, je ne retiendrai que ceux-là même si toutes les expériences m’ont nourri. En tout cas, je ne ressens aucune amertume.
Conserverez-vous des regrets au sujet de l’année olympique qui s’achève, et, si oui, dans quel domaine?
Évidemment. Cette année a été violente. Aux Jeux olympiques, quand on se retrouve en tête d’une finale par équipes avant le passage de son dernier couple, on rêve et on entrevoit un tas de choses. Et quand celui-ci connaît une défaillance telle que celle qu’ont vécue Pénélope Leprevost et Vancouver de Lanlore, l’ascenseur émotionnel est extrêmement brutal. Tout s’est effondré. C’est le sport, dans toute sa dramaturgie. J’en prends ma part de responsabilité et n’en tiens absolument pas rigueur à ces deux athlètes.
À partir de ce moment-là, tout a basculé. Bien sûr, le résultat n’a pas été au rendez-vous, mais les Jeux de Tokyo devaient être un point de passage important en vue des Jeux de Paris 2024… Depuis quelques années, la France connaît une période de transition liée à un renouvellement des générations. Toutes les grandes nations connaissent cela un jour ou l’autre, il faut l’accepter. Au retour du Japon, je ne me suis pas senti soutenu, et cela a abouti à la décision que j’ai prise il y a quelque temps. Quoi qu’il en soit, la France ne manque pas de cavaliers, et de nouveaux chevaux émergent. Je leur souhaite le meilleur.
“Je devrais redevenir entraîneur privé”
Regrettez-vous le choix de faire partir Pénélope et Vancouver en derniers dans cette finale olympique par équipes?
Non, pas du tout. Comme je l’ai toujours fait, cet ordre de départ a été le fruit d’un échange avec les cavaliers, qui ont exprimé leur préférence. C’est un choix collectif, que chacun assume. Pénélope était notre cavalière la plus expérimentée, ce qui a motivé la décision de la faire partir en dernière. Malheureusement, cela n’a pas fonctionné. Le sport est ainsi fait, qu’on l’accepte ou non.
La France est une nation difficile pour un sélectionneur, parce que les attentes sont très fortes, que la défaite n’est pas pardonnable, qu’il y a beaucoup de cavaliers, de chevaux et de concours. Outre les sélections pour les CSIO et championnats, il faut sélectionner des cavaliers dans tous les CSI, ce qui prenait environ 70% de mon temps de travail, avec un nombre incalculable de coups de fil…
En dix ans, nombre de cavaliers jeunes ou méconnus ont émergé en équipe de France et au plus haut niveau…
Bien sûr, et c’est très gratifiant. C’était d’ailleurs le sens de mon engagement: permettre aux meilleurs couples de faire briller la France dans les grandes compétitions, tout en préparant sans cesse la relève.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre sport depuis 2011?
Il a beaucoup changé, notamment au gré du développement des circuits privés, et pas forcément pour le meilleur… La Fédération équestre internationale (FEI) s’est fourvoyée en laissant proliférer le principe des entrées payantes. Le seul autre sport où l’on voit cela est la Formule 1 (qui ne figure pas au programme des Jeux olympiques, ndlr), où les pilotes véhiculent avec eux des partenaires financiers. Pour autant, la qualité des pilotes reste excellente. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans notre sport, où les cavaliers qui achètent leur droit de participer ne montrent pas toujours le meilleur spectacle. Hélas, cette dérive concerne désormais tous les types de concours (y compris les CSIO et CSI-W, ndlr)…
Les Coupes des nations, en tout cas celles du circuit FEI Longines, se sont affaiblies et dévalorisées. C’est dommage. J’espère que cela va donner lieu à une réaction juste et appropriée des dirigeants de la FEI. Tous les CSIO 5*, y compris ceux qui ont émergé plus récemment, sont beaux et bien organisés. Ces dernières années, quelques-uns des meilleurs ont pris leur indépendance vis-à-vis de la série FEI (Aix-la-Chapelle et Rome puis La Baule, à partir de 2022, ndlr). Il faut absolument défendre et valoriser ces épreuves par équipes.
À quoi devrait ressembler votre avenir? Pourriez-vous reprendre en main une nouvelle équipe nationale?
Non, je devrais redevenir entraîneur privé, comme je l’étais avant le début de ma collaboration avec la Fédération. J’ai déjà pas mal de contacts en ce sens. Il y a dix ans, j’avais intégré la FFE parce que le challenge proposé m’attirait beaucoup, mais je ne manquais pas de clients. J’adore accompagner la progression de chevaux et cavaliers. Je suis motivé, j’ai envie de travailler et de rester dans le coup, alors je monte à cheval tous les matins et je prépare tranquillement mon futur. Il n’est pas question de lâcher l’affaire!
Contactée par GRANDPRIX à la suite de l’annonce du départ de Thierry Pomel, la Fédération française d’équitation, par la voix de Frédéric Bouix, délégué général, assure avoir fait tout le nécessaire pour permettre au fonctionnaire du ministère des Sports de poursuivre sa carrière au sein de la FFE.