“Mon but est que chaque voltigeur puisse acquérir un vocabulaire gestuel singulier”, Romain Bernard

En octobre puis décembre 2021, douze voltigeurs Juniors ont été invités par le staff de la Fédération française d’équitation pour deux rassemblements au Pôle France de Saumur. Le fil rouge a été la création artistique des programmes Libres, qui prendront plus d’importance cette année. L’occasion d’aborder ce savoir-faire tricolore avec Romain Bernard, danseur, professeur d’éducation physique et sportive, et chorégraphe des équipes de France depuis 1999.



Comment avez-vous travaillé avec les voltigeurs lors des deux derniers stages?

Nous avons travaillé à la conception des programmes Libres. Au premier stage, nous avons mis l’accent sur l’aspect chorégraphique, afin que les athlètes acquièrent une gestuelle qu’ils pourront ensuite réinvestir. Pour cela, je leur ai proposé des ateliers de recherche, des sessions de danse avec des mouvements imposés et une part d’improvisation. Nous avons aussi organisé des rendez-vous personnalisés avec François Athimon (sélectionneur national des Juniors, ndlr) et Bamdad Memarian, chargé de préparation physique et technique au Pôle France FFE. Lors du deuxième stage, deux rendez-vous individuels d’une heure ont été proposés aux voltigeurs, afin de les aiguiller pour étayer et compléter leur propos chorégraphique. Mon objectif est que chacun d’entre eux puisse acquérir un vocabulaire gestuel singulier. 

Quel est votre regard sur leur propositions artistiques? 

Depuis le premier confinement, nous avons mis en place un réel travail de suivi chorégraphique, avec des fiches de correction. Leur progression globale est très satisfaisante, ils se sont accaparé ce côté artistique et savent que c’est incontournable. Les corps se délient vraiment et les recherches qu’ils proposent sont intéressantes pour un chorégraphe.

Vous accompagnez également les Seniors. Votre travail diffère-t-il avec les Juniors?

Il n’y a pas de différence dans l’axe de création que je leur propose. Même si les Juniors ont un vécu moins important, ils apportent néanmoins des gestuelles riches. Il arrive qu’ils soient mélangés aux Seniors lors des stages, avec des ateliers communs. Même s’il y a une différence de génération, on voit que les Juniors ont progressé. Ma façon de faire n’a pas changé avec le temps et ce fil conducteur est intéressant; je connais et suis certains voltigeurs depuis plusieurs années. La cohérence est importante. J’ai la conviction que ce que je fais est juste, et je ne déroge pas à ce que j’estime être le meilleur pour amener chacun au plus haut, ce qui n’empêche pas une remise en question. Cette nouvelle génération est en train de prendre la relève et de perpétuer l’orientation donnée à la voltige, en étant pleinement intégrée à un système mis en place depuis plusieurs années par le staff fédéral. 



“Être copié plutôt que copier les autres”

Quels sont les paramètres à prendre en compte pour proposer un programme Libre efficace auprès des juges?

Il faut comprendre le code de pointage et les attentes. Je les ai formalisés à travers une grille d’évaluation artistique, en adéquation avec les règlements nationaux et internationaux, ce qui permet de donner une ligne de conduite. Pour cela, l’échange avec les juges a été essentiel. Ensuite, il faut rester droit dans ses bottes sur ce qu’on estime juste. À vouloir toujours faire plaisir, on peut finir par se restreindre, ce qui ne permet pas de progresser. Il faut se sentir libre de travailler comme on le souhaite. En France, nous sommes en avance sur les autres nations d’un point de vue artistique, en prenant le parti d’être copiés plutôt que de copier les autres.

Cet aspect artistique est justement l’une des marques de fabrique de la France… 

Un système composé de personnes compétentes dans leur domaine, avec des rôles précis, a été mis en place, incluant notamment Sébastien Langlois au sujet du travail des chevaux ou Bamdad Memarian pour la préparation physique. Le travail avec un chorégraphe a permis à la France de sortir du lot, tandis que le travail commun entre les Seniors et les Juniors permet un maillage générationnel. En vingt ans, ma vision de la chorégraphie a changé. Avec les Juniors, il y a deux façons de procéder aujourd’hui. Soit on choisit un propos chorégraphique issu d’une thématique précise, d’un film, d’une musique ou autre, ce qui est parfois plus simple car imagé. Soit on choisit d’avoir en objet la danse elle-même. Cette proposition est possible grâce à l’évolution de la discipline, en fonction des singularités de chacun. L’objectif est de faire passer des émotions au public et aux juges, qui doivent réfléchir par eux-mêmes où cela les mène personnellement.

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