“Ma vie, c’est bouger, pas regarder les autres à la télé”, Philippe Rozier

Cavalier, coach et désormais organisateur de concours. L’année 2022 commence fort pour Philippe Rozier, qui a programmé une série de concours hivernaux à Bois-le-Roi, comprenant une nouvelle épreuve ayant pour finalité de faciliter le commerce de chevaux. Le Seine-et-Marnais entend ainsi redynamiser sa région en renouant avec une tradition événementielle initiée par son père, Marcel, toujours à pied d’œuvre, lui aussi. À bientôt cinquante-neuf ans, le champion olympique de Rio, porté par d’ambitieux objectifs, cumule ainsi les casquettes et fourmille de projets.



Du 21 au 23 puis du 28 au 30 janvier, le haras des Grands-Champs va accueillir deux week-ends de compétitions nationales, comportant des épreuves Pro, Amateurs et Préparatoires ouvertes à tous. Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans l’événementiel?  

Deux choses. La première est que notre haras, situé à Bois-le-Roi, a été créé pour cela au départ. Il a reçu beaucoup de compétitions, dont des CSI 1 et 2*. Depuis une quinzaine d’années, ne restait plus que les ventes Fences. Nous avons cessé d’organiser des concours parce que mon père prenait de l’âge (il a quatre-vingt-cinq ans, ndlr) et que continuer aurait été beaucoup lui demander. Pour moi, l’idée était de reprendre ce que mon père avait créé à l’époque. On m’a souvent demandé quand les concours allaient reprendre à Bois-le-Roi, ce à quoi j’ai toujours répondu qu’il fallait d’abord rénover les pistes car elles n’étaient pas adaptées pour accueillir deux ou trois cents chevaux par jour. Je ne voulais surtout pas que les cavaliers soient mécontents de la qualité du sol car c’est pour moi l’élément le plus important dans un concours. Sur la piste extérieure et dans le grand manège, le sol est en Equiplus, ce qui convient très bien dans tous les concours.

Nous avons donc refait les pistes ainsi que l’éclairage, ce qui relève du détail car nous avions les fondations sur place. En décembre, nous avons organisé un concours test avec My Good Event, où sept cents poneys sont passés en deux jours. Ce fut un succès et cela m’a permis de voir ce qui plaisait ou pas et ce que je souhaitais améliorer pour les chevaux. Il y avait un monde fou et une super ambiance, ce à quoi j’aspire pour la suite. Dans la région, et même plus largement en France, nous sommes sinistrés en termes de concours indoor. En tout cas, nous en avons peu en comparaison avec la Belgique ou les Pays-Bas, où il y en a plusieurs tous les week-ends. Dans la région de Fontainebleau, nous ne sommes que trois à en proposer, avec la famille Longis à Liverdy-en-Brie chez et la famille Bost à Barbizon. Nous concernant, avoir un tel manège et ne s’en servir que pour les ventes Fences me paraissait dommage, d’autant qu’il y a de la demande et peu d’offre. Je remets donc simplement la machine en route. Je n’ai rien inventé, il fallait simplement l’adapter aux nouvelles demandes des cavaliers. Étant des deux côtés de la barrière, j’essaie d’y répondre au mieux. Avec ces deux week-ends consécutifs, les cavaliers vont pouvoir bien remettre leurs chevaux en route. 

Lors de ces concours, vous proposez un nouveau format d’épreuves, dites “à réclamer”, réservé aux chevaux à vendre. Pouvez-vous nous en dire plus?  

C’est une idée qui me trottait dans la tête depuis longtemps et qui se fait beaucoup dans le monde des courses. Dans le cadre d’une réunion, on trouve souvent une course réservée aux chevaux à vendre, dont le prix est plafonné. Je me suis alors demandé pourquoi ne pas en faire autant dans le jumping. La seule différence est que, dans les courses, on achète le cheval en l’état. Pour le jumping, il faut toujours une visite vétérinaire et un essai avant d’acheter. L’idée est de le faire sans bouleverser le programme de compétition. Je n’organise pas une vente, mais un concours national dans lequel je dédouble les épreuves préparatoires avec une partie consacrée aux chevaux à la vente. Actuellement, pour savoir si un cheval est à vendre, en concours, il faut faire la démarche d’aller se renseigner, ce qui est difficile. Une fois sur deux, le cheval ne l’est pas ou alors personne ne sait. Mon objectif est d’offrir plus de visibilité aux vendeurs et plus de clarté aux acheteurs. C’est aussi pourquoi je mélange amateurs et professionnels, car les amateurs ont souvent des chevaux à vendre, et ne savent pas à qui s’adresser; et vice-versa, certains pros ont des chevaux à vendre qui peuvent devenir de très bons chevaux d’amateurs. Les groupes constitués par gamme permettent, sans afficher le prix, de mettre en lien vendeurs et acheteurs par une prestation de service. Tout sera filmé et en diffusé en direct sur GRANDPRIX.tv.

Avez-vous consulté votre père pour ce nouveau projet? 

Je lui en ai évidemment parlé et il me laisse faire. J’ai désormais l’âge de me débrouiller tout seul (rires). Surtout, je prends mes responsabilités, il le sait. J’ai des idées et je prends le risque qu’elles aboutissent ou non. Si je me plante, tant pis pour moi, mais qui ne tente rien n’a rien. Notre filière a besoin de nouvelles idées intéressantes pour se développer. J’essaie d’être le plus simple possible, que cela soit facile à comprendre, que l’ambiance soit conviviale et sympathique, avec des exposants et un restaurant permanent. Si cela fonctionne, je le ferai davantage. 




“Le jour où je ne serai plus au niveau , je passerai à autre chose”

Dans quelle mesure organiser ces concours est-il un moyen pour vous de défendre votre pays bellifontain, fortement concurrencé par la Normandie et notamment la région deauvillaise?

Ce n’est pas l’idée de départ, mais c’est forcément lié. Aujourd’hui, tout se délocalise effectivement en Normandie, alors que Fontainebleau était la capitale du cheval. Il faut remettre des choses en route car il y a de quoi faire avec les nombreux chevaux et clubs présents en Île-de-France. De fait, je pense qu’il y a plus d’amateurs ici que du côté de Deauville. La création du Pôle international du cheval Longines a fortement profité à cette partie de la Normandie, qui en plus est jolie et située à mi-chemin entre Paris et Saint-Lô, autre grande ville de chevaux. Le développement de l’élevage de chevaux de jumping y est aussi sûrement pour beaucoup. Pour autant, notre région ne manque pas d’atouts non plus.

Les collectivités franciliennes s’impliquent pleinement en faveur du développement de la filière, notamment à travers le plan de rénovation du stade équestre du Grand Parquet. Les professionnels, dont vous êtes, ont évidemment un rôle central à jouer.

Je me suis beaucoup investi dans la modernisation du Grand Parquet de Fontainebleau car ce stade équestre, que nous avons la chance d’avoir depuis si longtemps, était en train de perdre complètement son identité. Fontainebleau doit redevenir un lieu connu et apprécié dans toute l’Europe. Comme il était en train de perdre cette notoriété, j’ai tout fait pour que soient engagés de nouveaux travaux, qui vont dans le même sens que ce que nous avons entrepris à Bois-le-Roi. Je m’investis beaucoup pour ma région. Pour favoriser la croissance de la filière, il faut se bouger les fesses, aller à la rencontre des gens et défendre des dossiers bien ficelés.

À Chaintré, près de Mâcon, où je viens d’animer un stage de deux jours, un investissement de 4,5 millions d’euros vient d’être engagé avec les collectivités locales, dans la perspective de faire du site une base arrière des Jeux olympiques de Paris 2024. Toutes les pistes vont être refaites et deux cent cinquante boxes en dur supplémentaires vont être construits. C’est une excellente nouvelle. La région lyonnaise se bouge beaucoup aussi car il y a de la demande. Il faut faire la même chose ici. Des fonds ont été débloqués pour faire du Grand Parquet une superbe base arrière des Jeux. C’était l’une des raisons de ma motivation, même si pour l’instant tout est bloqué à Versailles concernant les épreuves en elles-mêmes. À Fontainebleau, le stade équestre, la forêt et le terrain militaire de la Salamandre permettent d’accueillir les trois disciplines, ce qu’il est important de mettre en avant.

Votre année passée fut riche en émotions avec le dernier tour de piste de votre fidèle champion olympique Rahotep de Toscane au Longines Paris Eiffel Jumping et vos nombreux classements et victoires, notamment avec Le Coultre de Muze et Night Light van’t Ruytershof. Quel bilan tirez-vous de 202?

Pour moi, ce fut une année de transition. Après la Covid, l’épizootie de rhinopneumonie (HVE-1, ndlr) nous est tombée dessus… Pour moi, tout cela est arrivé à un moment où mes chevaux de tête, comme Rahotep, Vinci du Gué et Unpulsion de la Hart commençaient à vieillir. Maintenant, une nouvelle génération arrive pour prendre la relève avec Le Coutre de Muze, Night Light van’t Ruytershof et d’autres.



“En France, nous sommes pauvres en chevaux pour les prochaines échéances”

Philippe et Prestigio LS La Silla en juillet dernier au Longines Paris Eiffel Jumping.

Philippe et Prestigio LS La Silla en juillet dernier au Longines Paris Eiffel Jumping.

© Sportfot

Quels sont vos objectifs pour 2022?

À mon âge bien avancé, l’objectif est d’avoir de bons chevaux. Je ne vais pas faire de la résistance en tentant de battre Julien Épaillard dans toutes les épreuves. Je préfère attendre qu’il vieillisse pour aller plus vite que lui (rires). Je ne me lève pas tous les matins avec l’objectif de battre Steve Guerdat, Kevin Staut ou Pénélope Leprevost. Je veux avoir de bons chevaux, me faire plaisir et essayer de tirer mon épingle du jeu pour intégrer l’équipe de France si c’est possible. C’est ce à quoi j’aspire aujourd’hui. Le jour où je m’apercevrai que je ne suis plus au niveau et que, même avec un bon cheval, je ne suis plus assez bon, alors j’arrêterai et passerai à autre chose. C’est aussi pourquoi je commence à préparer la suite en m’intéressant à l’événementiel, en proposant beaucoup de stages et en entraînant des équipes nationales comme celle du Maroc ou de Monaco. Pour un cavalier de haut niveau, mettre son expérience au profit de la filière, pour organiser ou entraîner, est une suite logique. Et ma vie, c’est bouger, pas regarder les autres à la télé!

Votre étalon gris Le Coultre de Muze est monté en puissance tout au long de 2021, se classant jusqu’en Grands Prix CSI 5*. Ambitionnez-vous de participer aux championnats du monde de Herning avec lui?

Non, je pense que ce sera trop tôt. Ce sont les chevaux qui me disent s’ils sont prêts ou non, la décision ne vient jamais de moi. Ces chevaux-là ont besoin de commencer à faire leurs armes dans des championnats d’Europe plutôt que des Mondiaux. J’ai beaucoup d’expérience, ce qui peut compense par rapport à d’autres couples, dont les cavaliers sont moins expérimentés. Aujourd’hui, nous manquons de très bons chevaux en France, ce qui m’inquiète un petit peu vu les échéances qui arrivent. Heureusement, il reste encore de très bons cavaliers qui détectent les chevaux et les forment. Pour l’instant, nous avons la chance d’être qualifiés d’office pour les Jeux de Paris, ce qui nous enlèvera un poids aux Mondiaux de Herning et aux Européens de Milan. Nous avions eu du mal à nous qualifier pour les Jeux de Tokyo… Il faut vraiment trouver des chevaux et prendre le temps de les préparer. Nous ne manquons pas de pilotes, personne ne dira le contraire, mais il faut anticiper les prochaines échéances et rattraper notre retard. Il faut y remédier pour le moral des troupes, propriétaires et cavaliers, ce qui est primordial car c’est dans l’euphorie qu’on avance et qu’on investit. Nous avons la chance et l’avantage d’être un pays d’élevage, alors il faut en profiter: détecter les chevaux, les acheter, les former et les garder.

Comment va Prestigio LS La Silla, arrêté depuis août 2021? 

Il va bien et se remet de sa tendinite depuis le Longines Deauville Classic. Il commence à trotter et galoper gentiment. Guérir une tendinite demande du temps. Dès qu’il sera prêt, je le remettrai en route. En attendant, je partirai en tournée en février avec une dizaine de chevaux. 

À plus long terme, les Jeux olympiques de Paris sont-ils dans un coin de votre tête? Si oui, comment vous y préparez-vous, vos chevaux et vous-même?  

Oui, les Jeux sont dans un coin de ma tête, et cela s’arrête là. Je ne veux pas me faire de film car cela peut se transformer en film d’horreur (rires). J’ai eu la chance de toucher le plafond une fois, ce qui est énorme, alors si je peux y participer à nouveau, tant mieux. Le nouveau règlement est très compliqué avec seulement trois couples par nation. Je pense que les cavaliers d’expérience, pourvu qu’ils aient de bons chevaux, seront prioritaires comme ce fut le cas à Tokyo. Tout peut arriver, regardez Kevin Staut. Le meilleur cavalier français n’a pas pu aller aux Jeux car il n’avait pas de cheval alors qu’il était évident pour tout le monde qu’il y participerait. Cela montre bien que rien n’est écrit.



“Je me suis rendu compte à La Corogne que je n’étais pas prêt”

À quoi va ressembler votre début de saison 2022? 

Au départ, je devais reprendre au CSI 5-W de Bâle, pour lequel j’avais une invitation, mais il a été annulé. Le Coultre avait bien sauté à La Corogne. J’attends de voir pour Bordeaux car je dois m’y rendre mais sans courir la Coupe du monde. Je n’ai pas d’objectif de finale, l’idée est de faire prendre de l’expérience à mon cheval au niveau 5*. À La Corogne, je me suis rendu compte que je n’étais pas prêt. J’ai beau sauter pas mal de concours, il m’a fallu deux jours pour me mettre au niveau. Dans la qualificative du premier jour, j’étais largué: moi, pas mon cheval. Je n’étais pas assez dans le coup car je n’avais pas disputé suffisamment de gros concours indoor. On parle souvent des chevaux, mais, malgré mon expérience, j’ai également besoin de sauter de gros parcours régulièrement pour rester au niveau. J’ai opté pour ces concours car je pouvais y participer. Par exemple, à Lyon, je n’ai pas pu disputer les épreuves majeures, parce qu’il n’y avait plus de place et que je n’étais pas sélectionné. Grégory Cottard et Marc Dilasser se sont retrouvés dans le même cas de figure. Au dernier moment, Marc a pu prendre la place de Pénélope, qui n’est pas venue (et Grégory Cottard a préféré ne pas venir, ndlr). Il faut donc que je me mette à niveau, que je trouve des concours. Si j’obtiens des invitations et que mon cheval est prêt, alors j’y vais.

Outre vos chevaux plus aguerris, sur quels jeunes pouvez-vous compter en 2022?

Avec Night Light, Diego de Toscane, qui est le trois quart frère de Rahotep, et Dessenger, j’ai trois chevaux de neuf ans avec du potentiel et sur lesquels je peux compter. Ensuite, j’en ai deux âgés de sept ans qui vont être pas mal: Corsini van de Keihill, qui ressemble beaucoup à Le Coultre, et Flag, qui va beaucoup apprendre. Par ailleurs, Danielle Lambert (l’élève canadienne de Philippe, ndlr) a acheté pas mal de chevaux, que je monte de temps en temps, comme Erenbee du Chafalet, avec laquelle j’ai disputé le championnat des sept ans, et Elfira des Salines. Ce sont deux super juments destinées à sauter 1,50m.

En avril dernier, vous avez été nommé au poste d’entraîneur national de l’équipe monégasque. Comment conciliez-vous vos activités de coaching avec celles de cavalier? Le coaching prend-il une part plus importante au fil du temps?  

Le coaching augment au fil du temps car j’y suis destiné, d’une manière ou d’une autre. Il ne faut pas oublier que j’ai entraîné le Maroc pendant quatre ans et que nous avons emmené cette équipe jusqu’aux Jeux équestres mondiaux de Normandie, en 2014. Ce fut une belle expérience personnelle et professionnelle. À Monaco, l’objectif est de détecter de bons jeunes pour les faire évoluer dans les championnats Enfants, Juniors et Jeunes Cavaliers. Cette année, l’idée est de monter trois équipes pour les championnats d’Europe d’Oliva. J’organise un stage à peu près tous les mois, ce qui me libère du temps pour le reste de mes activités. Pour faire coïncider les différents plannings, les Monégasques m’accompagneront normalement à Oliva en février, ce qui leur permettra de se mettre en situation à mes côtés.




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