Que 2022 ramène la concorde!

Est-il notion plus louable que celle de concorde, synonyme de “bonne entente” ou “d’union des cœurs et des volontés, qui produit la paix”, selon les auteurs du vénérable dictionnaire Larousse? Est- il vœu plus souhaitable, en ce début d’année, pour un monde de plus en plus fracturé, anxiogène et toujours éprouvé par la crise sanitaire? Est-il visée plus primordiale pour la gouvernance mondiale des sports équestres, qui s’est encore distinguée par un passage en force lors de la dernière assemblée générale de la Fédération équestre internationale (FEI)?



Le 17 novembre à Anvers, le principe des équipes de trois couples aux Jeux olympiques et paralympiques a été reconduit pour Paris 2024, par soixante-dix voix contre trente, malgré l’opposition d’une bonne partie des grandes nations du cheval et de la majorité des cavaliers, propriétaires et entraîneurs concernés par cette compétition suprême. Si son résultat fut sans appel et juridiquement incontestable, ce scrutin n’a nullement apaisé les dissensions entre l’état-major de la FEI et les protagonistes de terrain, notamment en saut d’obstacles. Lors de l’assemblée générale de leur Club (IJRC), le 10 décembre à Genève, de grands cavaliers n’ont pas manqué d’exprimer leur colère, leur tristesse, voire leur lassitude.

L’iniquité du système démocratique de la FEI, fondé sur le principe d’une voix par nation, quel que soit son degré d’implication dans le sport, a été pilonné plus que jamais auparavant. “Si des fédérations internationales comme celles de tennis ou de natation ont su faire évoluer leurs statuts pour le bien du sport, je ne comprends pas pourquoi nous en sommes encore là”, a ainsi déploré l’Américaine Laura Kraut, championne olympique par équipes en 2008. “Nous devons veiller au bien-être des chevaux. En cela, notre sport est différent de tous les autres. Je suis déçue que cette spécificité ne soit plus prise en compte aux JO. Il est grand temps que les choses changent à la FEI, qui ne nous représente pas aussi bien qu’elle le pourrait.”



Pondérer les voix des fédérations nationales en fonction de leur importance? C’est précisément ce qu’avait préconisé une commission ad hoc créée en 2011 par la FEI, qui l’avait chargée d’analyser la pertinence de ses statuts. Malheureusement, cette recommandation fut immédiatement tuée dans l’œuf par les leaders de l’organisation, à l’époque présidée par la princesse Haya de Jordanie et dirigée par un certain Ingmar de Vos, fraîchement débauché de la Fédération équestre européenne (EEF). Non seulement ce sujet fondamental ne fut point discuté, mais le rapport final dudit groupe de travail ne fut jamais publié… “À mon avis, la direction de la FEI, estimant qu’elle disposait de beaucoup plus d’influence sur les votes des fédérations nationales (dans le système actuel, ndlr), ne voulait pas atténuer sa capacité à contrôler les décisions de son assemblée générale », analyse Akaash Maharaj, qui présidait cette commission.



Dans un excellent article signé par notre consœur britannique Pippa Cuckson – le dernier de son éminente carrière – et publié le 3 janvier sur le site de Horse Sport, l’ancien directeur général de la Fédération canadienne, qui dirige aujourd’hui l’Organisation mondiale des parlementaires contre la corruption, résume parfaitement une situation “superficiellement démocratique. En effet, les règles sont faites par ceux qui n’ont pas besoin d’y obéir, et ceux qui doivent y obéir ne peuvent pas les faire. À l’époque, nous avions estimé qu’il était antidémocratique que des fédérations sans histoire ni ambition matérielle de participer à des compétitions internationales puissent édicter ces règles. Dès lors, notre idée était de créer un système de vote dans lequel elles auraient une incitation matérielle à être franches sur leur niveau de développement, en leur donnant accès à des ressources (via le fonds de solidarité de la FEI, ndlr) et un droit de vote proportionnel à cette auto-évaluation honnête.” Onze ans plus tard, ces propositions demeurent dignes d’intérêt.



Concernant les épreuves olympiques, “nous avons malheureusement perdu une bataille pour les Jeux de Paris, mais ce n’est pas fini”, a rappelé George Dimaras, premier vice-président de l’EEF, à Genève. “Il nous reste à discuter les règlements (et les minima individuels d’éligibilité, ndlr). Je ne sais pas à quel point nous pouvons peser sur les décisions, mais nous devons tous nous remobiliser et travailler pour défendre nos vues, pour le bien du sport et de nos chevaux », a conclu le Grec. À entendre le Suisse Steve Guerdat, le champion olympique de 2012, ce n’est pas gagné. “On nous demande à nous, cavaliers, propriétaires et grandes fédérations, de trouver la meilleure formule à partir d’un concept que nous désapprouvons et qui a été adopté par des fédérations qui ne connaissent rien au sport. Je refuse d’être mis face à cela. La FEI n’a qu’à s’adresser aux fédérations qui ont voté pour les équipes de trois. Ne nous consultez pas, cela ne sert plus à rien! Tant que le système de vote ou le président ne changeront pas, c’est inutile.”



“Comme les cavaliers, nous envoyons des lettres qui restent sans réponse, ce qui ne peut plus durer”, a déploré Dominique Mégret, président du Club des propriétaires de chevaux de jumping. “Pour autant, nous devons continuer à nous battre, tous ensemble. Des choses doivent changer, et il n’y a pas de raison qu’elles ne changent pas. Il nous faut reprendre espoir, nous nourrir de notre passion, et travailler en famille. Nous finirons bien par obtenir des résultats”, a promis le Français. Alors que certains, dont notre estimé confrère retraité Xavier Libbrecht, toujours aussi passionné, invitent les cavaliers à envisager un boycott des prochaines Coupes des nations, Kevin Staut, réélu à la présidence de l’IJRC, estime qu’une telle action “serait un peu en contradiction avec notre attachement à ces épreuves, qui continueront à se courir par équipes de quatre, comme les championnats du monde et d’Europe.”



Espérons sincèrement que le prochain Forum des sports, les 25 et 26 avril à Lausanne, accouchera de justes accords sur ce qui reste à débattre. La vision de l’homme en couverture du numéro 133 de GRANDPRIX (actuellement en kiosques), Peder Fredricson, qui compte parmi les rares champions à ne pas condamner la nouvelle formule, pourrait y contribuer. “Selon moi, l’idéal serait de disputer la qualificative à quatre, sur un parcours permettant d’opérer une sélection, puis la finale à trois, sans score biffé, afin que le scénario soit le plus excitant possible.” Et le bien-être du cheval dans tout cela? Selon le Suédois, numéro un mondial, d’abord, “un cavalier devrait être éliminé à partir de seize points”. Ensuite, “nous devrions peut-être encourager les commissaires au paddock et juges à éliminer un cavalier s’ils estiment que son parcours est dangereux ou néfaste pour l’image du sport.” Enfin, “le respect du bien-être animal doit relever de la responsabilité de chaque cavalier. On ne peut pas seulement l’imputer aux règlements.” Entre passionnés éclairés, il y a toujours matière à discuter, mais rien n’est plus sage qu’un compromis, pour lequel chacun s’engage à faire un pas vers l’autre, une “union des cœurs et des volontés, qui produit la paix”. Alors oui, que la concorde revienne!