“Pour être un grand cavalier accompli, il faut aussi savoir gérer les à-côtés”, Charles-Henri Fermé
La saison 2022 s’ouvre d’une belle manière pour Charles-Henri Fermé, qui a opté pour les trois semaines de compétition organisées à Royan, en Charente-Maritime. L’ultime Grand Prix de la série, de niveau CSI 3*, a souri au Normand et Bellini Dufaure de L, son cheval de tête. De retour chez lui, le cavalier de trente-huit ans, installé au cœur du pays d’Auge, est revenu sur cette victoire. Doté de chevaux prometteur qui ont fait leurs preuves lors de leur première sortie de l’année, il évoque également son désir de d’endosser la veste de l’équipe de France.
Le 6 mars, vous avez remporté votre premier Grand Prix avec Bellini Dufaure de L (SF, Mylord Carthago x Dollar dela Pierre) à l’occasion du CSI 3* de Royan. Quel était votre sentiment en sortie de piste?
J’étais très content! C’était la reprise pour Bellini, que j’ai préparé en vue de ce Grand Prix-là. La première semaine de compétition à Royan, je l’ai engagé dans des épreuves à 1,30m et 1,35m. La deuxième semaine, il a disputé une épreuve à 1,40m puis le Grand Prix CSI 2*, lors duquel il a bouclé le parcours initial sans faute. Au barrage, nous étions les plus rapides mais j’ai écopé de quatre points, qui nous privés de la victoire. La troisième semaine, il a sauté une petite épreuve à 1,40m le premier jour, puis le Grand Prix dominical, dans lequel il a répondu présent. Je suis très content de ce résultat et ravi qu’il revienne de cette façon-là en trois semaines. L’objectif était davantage de le relancer que de gagner. Comme il y a eu les deux, je suis très satisfait.
Pouvez-vous revenir sur cette performance, le parcours puis le barrage?
Le parcours de Cédric Longis était très intéressant, comme toujours. À mon sens, il n’était pas excessif dans les cotes malgré la présence de verticaux à 1,60m, vu que cette épreuve était qualificative pour les championnats du monde. Il y a eu des fautes un peu de partout, notamment à la sortie du triple, mais il s’agissait de fautes légères. J’ai eu de la chance que le temps accordé ne soit pas trop court car j’avais décidé de prendre mon temps. Mon cheval a très bien sauté le parcours initial. En début d’épreuve, je m’attendais à beaucoup de sans-faute, mais il n’y en a eu que neuf. J’étais le numéro septième au départ du barrage. Après moi, il restait encore Marc Dilasser. Olivier Guillon est passé avant moi, et j’ai réalisé qu’il était très rapide. Cependant, mon cheval est naturellement rapide, alors je savais que je pouvais aller plus vite que lui. Finalement, tout s’est bien passé et j’ai battu son chrono d’une demi-seconde, ce qui a suffi pour gagner ce beau Grand Prix.
Il s’agit également de votre première victoire en Grand Prix CSI 3*. Que cela représente-t-il pour vous?
Bellini et moi nous étions déjà classés dans des épreuves à 1,50 et 1,55m, notamment à l’Hubside Jumping de Grimaud, en CSI 4 et 5*. Il a déjà sauté des Grand Prix 5*, mais c’est effectivement notre première grande victoire, et j’en suis ravi.
Pouvez-vous présenter Bellini Dufaure de L?
Je l’ai récupéré lorsqu’il avait huit ans (il avait précédemment été formé dans le Sud-Est par Quentin Marion, ndlr). Il a été conçu au haras d’Ouilly d’Alexandra Lebon Noël de Burlin, étant issu d’un croisement entre Mylord Carthago et Pomone d’Ouilly (SF, Dollar dela Pierre), dont la mère, Isis d’Ouilly (SF, Narcos II x Graphit), est une sœur utérine de Jubilée d’Ouilly (SF, Palestro II) et Kronos d’Ouilly (SF, Uzélien). C’est la souche de tous les champions d’Ouilly. Pomone a été vendue à Guilhem Dufaure de Lajarte (du haras des D2L, ndlr), un établi dans l’Ain. Bellini est né là-bas. C’est pourquoi il ne porte pas l’affixe d’Ouilly. J’avais déjà fait du commerce avec Quentin Marion, qui était son cavalier depuis toujours. Un jour, celui-ci m’a parlé de ce cheval très prometteur, qui avait terminé quatrième du championnat de France des sept ans en 2018 et comptait déjà quelques bonnes performances à son palmarès. Lorsque je l’ai vu, j’ai foncé et je l’ai acheté. À ce moment-là, je ne savais pas qu’il était étalon et ne connaissais pas ses origines. J’avais apprécié son coup de saut et n’avais pas encore regardé son pedigree. En regardant ses papiers, je me suis rendu compte qu’il était issu de la même souche que Jubilée et Kronos.
Nous avons tranquillement gravi les échelons. Au début, j’avais un peu de mal, puis notre couple s’est construit. Depuis, nous avons réussi beaucoup de sans-faute et rarement concédé plus de quatre points. Il a toujours été compétitif à 1,45m et plus. Désormais, nous nous connaissons bien et il prend du métier. Aujourd’hui, il est capable de performer à 1,60m, et j’espère que nous pourrons bientôt retrouver les CSI 4 et 5*.
“Je n’ai jamais eu un tel piquet, alors il faut en profiter et avancer”
Quel bilan tirez-vous de vos trois semaines à Royan avec vos autres chevaux?
J’ai amené quasiment tous mes chevaux en faisant des allers-retours avec certains. L’idée était vraiment d’en remettre un maximum en route. Dans l’ensemble, ils ont tous répondu présent. J’ai eu un petit problème avec une jument, mais tout est très vite rentré dans l’ordre. Je suis très content des chevaux du haras de la Pomme, dont Enrico de la Pomme (SF, Vigo d’Arsouilles x C-Ingmar), huit ans, qui a réussi deux parcours incroyables dans le Petit Grand Prix à 1,40m du CSI 3* (se classant huitièmes, ndlr). Jacqui (BWP, Ogano Sitte x Action-Breaker), treize ans, a manqué de chance mais il s’est classé dans le premier Grand Prix (neuvième, ndlr) dans lequel j’ai bouclé un barrage rapide à quatre points. Evita (Holst, Diamant de Semilly x Cash), dix ans, a également pris son envol à Royan.
Je l’ai engagée à 1,40m et 1,45m afin de la préparer pour les concours à venir, et elle a réussi de bons parcours. Dans l’ensemble, je suis ravi. Quant à Dakota de Castel (SF, Ensor van de Heffinck x Visage van de Olmenhoeve), neuf ans, il est revenu à son niveau. Je suis content de ces trois semaines de compétition et j’espère continuer sur ma lancée. Je me rendrais à Auvers la week-end prochain.
Quels sont vos objectifs cette saison?
Mon principal objectif est le Master Pro, qui se tiendra fin avril à Fontainebleau. Je me suis entretenu à ce sujet avec Henk Nooren (sélectionneur national, ndlr). Le but est de concourir à nouveau en CSI 4* et 5*. Mon piquet est suffisamment bon pour cela. Si je peux participer à une ou deux Coupes des nations, ce serait avec plaisir. J’aime vraiment ce format d’épreuve. Pour l’instant, tous les feux sont au vert, je suis content de tous mes chevaux. Je n’ai jamais eu un tel piquet, alors il faut en profiter et avancer.
Dans quelle mesure Enrico de la Pomme (SF, Vigo d'Arsouilles x C-Ingmar) et Equinox de la Pomme (Z, Vigo d’Arsouilles x C-Ingmar)?
Ces deux chevaux présentent un très bon potentiel. Enrico a prouvé à Royan qu’il était déjà dans le coup. Il va très rapidement sauter des épreuves à 1,45m. D’ailleurs, je pense le lancer à cette hauteur à Villers-Vicomte (qui se tiendra du 24 au 27 mars, ndlr) ou au Mans (du 31 mars au 3 avril, ndlr), puis il ira au CSI 3* de Grimaud (du 7 au 10 avril, ndlr). Il incarne clairement la relève de Bellini. J’ai une très bonne relation avec les Baertsoen, leurs propriétaires. Aujourd’hui, le but est de concourir à haut niveau avec ces chevaux.
Avez-vous accueilli de nouveaux chevaux récemment?
Pour le moment, non. En revanche, je suis à la recherche d’autres chevaux, des partenaires souhaitant s’associer à moi pour en acheter. Afin de perdurer à ce niveau, il faut toujours disposer d’un important réservoir de chevaux donc je suis en permanence en train d’en rechercher de nouveaux à fort potentiel.
“Je veux transmettre à ma fille un monde aussi propre et juste que possible”
À plus long terme, quelle est votre plus grande ambition?
Aller le plus loin possible. Nous rêvons tous de grands championnats et de belles échéances, mais nous sommes encore loin de tout cela. J’ai mis très longtemps à structurer les écuries aux cotés de ma compagne. Mes affaires et mon parcours sportif évoluent dans le bon sens. Tous les ans, nous poussons un peu plus loin que l’année précédente. J’admire énormément de cavaliers qui sont capables de rester à haut niveau. Personnellement, j’ai besoin de plus de temps, mais je fais tout pour aller le plus loin possible. Nous avons tous un rêve dans un coin de la tête. Pour moi, les grands championnats en font partie. Si je parviens à réaliser ce rêve un jour, ce sera incroyable. En attendant, je gravis marche après marche. Et je crois que c’est en procédant ainsi que nous arriverons loin.
Quels cavaliers admirez-vous particulièrement?
Il y en a beaucoup et pour différentes raisons: leur équitation, leur façon de gérer leur écurie ou de vendre leurs chevaux. Je suis admiratif de la précocité d’un cavalier comme Edward Lévy qui est performant sur tous les plans et s’est établi jeune à haut niveau. J’admire la façon dont Jérôme Guéry mène ses activités commerciales, ou encore la qualité de l’équitation de nombreux cavaliers français, comme Kevin Staut, qui fait figure d’exemple. Steve Guerdat incarne pour moi le summum de la réussite, tant il est capable de préparer ses chevaux et de les amener au meilleur niveau le jour J. J’admire aussi l’équitation de Marlon Módolo Zanotelli et de Daniel Deusser. Je suis encore loin de tous ceux-là, mais je pense que pour être un grand cavalier accompli, il ne suffit pas d’être surdoué, il faut aussi savoir gérer tous les à-côtés, comme le fait très bien également Simon Delestre, par exemple.
Avec Marie-Eugénie Angles, votre épouse, vous gérez le haras du Breuil, dans le pays d’Auge. Comment vous organisez-vous pour gérer les activités d’élevage, de valorisation, de commerce et de compétition?
Mon épouse a en charge la gestion administrative des écuries. Pour ma part, je suis davantage axé sur la gestion commerciale. Je prends un peu de temps pour gérer la formation des jeunes chevaux, dont s’occupe notre nouvelle cavalière Maud Fourmond. La partie compétition requiert beaucoup d’énergie, car il y a beaucoup de chevaux à monter tous les jours. Concernant l’élevage et les écuries plusieurs personnes m’épaulent dont Sébatien Renaud qui nous suit depuis le début de notre installation. Étant très passionné par la génétique, j’essaye de planifier de bons croisements pour générer de bons poulains, afin que le haras puisse perdurer et gagner en noblesse. Nous sommes encore de petits éleveurs puisque nous nous sommes lancés il y a seulement cinq ans. Nous avons eu de la chance parce que nous avons déjà eu de la réussite, mais nous restons modestes. Un jour, j’espère que nous pourrons monter en Grands Prix des chevaux que nous avons fait naître et formés.
Alors que la pandémie de Covid-19 semble se calmer, la guerre a éclaté en Ukraine. Que vous inspire le monde qui vous entour?
Ce n’est pas si loin de nous, il faut en avoir conscience. Honnêtement, cette guerre me touche. Les images que l’on en voit à la télévision, ce que l’on peut en entendre ainsi que la base de cette guerre sont hallucinantes. Voir cela en 2022 ne peut que nous attrister et nous apeurer. Qui sait jusqu’où cela peut encore aller… À ma fille, je souhaite transmettre un monde aussi propre et juste que possible. Quand on voit ce qui se passe, on peut malheureusement craindre pour l’avenir. Alors que nous nous sommes en train de pratiquer notre sport avec nos chevaux, des personnes vivent dans des conditions inhumaines en ce moment même, ce qui est profondément injuste et il faut en avoir conscience. Sans parler du réchauffement climatique et de la pollution qui sont un autre enjeu primordial pour la planète.
Dans quelle mesure l’élection présidentielle qui approche vous intéresse-t-elle? Que vous inspire la campagne ?
Les élections m’intéressent, et je garde l’oreille ouverte sur les propositions de certains candidats. De manière générale, je trouve que que les candidats parlent de ce qui les arrange avant de s’occuper des vrais problèmes des Français et de notre avenir. Selon moi, les inégalités s’accroissent, et ce n’est pas du tout une bonne nouvelle.