“Sport et politique sont-ils vraiment dissociables?”, Theo Ploegmakers

Dans une tribune publiée hier, Theo Ploegmakers, président de la Fédération équestre européenne, analyse les tenants et aboutissants du bannissement des athlètes et équipes russes et biélorusses du sport international, décrété très rapidement par de nombreuses fédérations, en réaction à l’invasion de l’Ukraine par les armées de Vladimir Poutine. Le Néerlandais tente d’expliquer pourquoi ce qui s’est appliqué très rapidement dans ce cas de figure ne l’a pas toujours été en d’autres époques et situations. Un texte passionnant, éclairant et engagé.



De grandes manifestations sportives, comme les Jeux olympiques, la Coupe du monde de football et la Formule 1, mais aussi des événements équestres, sont souvent organisés dans des pays dont le bilan en matière de respect des droits de l’homme et des animaux, de protection de l’environnement et d’engagement militaire est contesté. Cela fait l’objet de pléthore de critiques de la part de nombreux pays et organisations, mais surtout de la part de la société civile et de l’opinion publique. Néanmoins, ces grands événements sportifs ont lieu dans ces pays car, comme on le dit, le sport et la politique sont censés être deux mondes séparés. Cela dit, et bien que les JO aient été boycottés par le passé pour des raisons politiques (notamment ceux de Moscou et Los Angeles, en 1980 à 1984, en raison de la Guerre froide, ndlr), ce n’est que récemment, avec l’exclusion des athlètes russes dans presque toutes les compétitions internationales, en raison de l’invasion de l’Ukraine, que le sport et la politique sont soudainement devenus plus imbriqués que jamais. Les questions qui se posent sont donc les suivantes: pourquoi de telles mesures ont-elles été prises maintenant et comment devons-nous les comprendre?

Pour le comprendre, nous devons définir une notion qui semble être liée à ce développement et qu’on appelle le “sports washing”, et comment cette tactique dépend ou fait partie de la politique en général et dans le sport. On parle de “sports washing” lorsqu’un pays utilise un événement sportif majeur pour polir son image. Nous avons vu ce phénomène se produire dans des pays aux antécédents contestés et avons vu des fédérations sportives internationales (FI) l’autoriser ou le faciliter uniquement pour des raisons sportives, mais aussi financières, sans autre forme de discussion.

Il est difficile de suivre la politique en général, mais dans le cas présent, il vaut la peine de donner un exemple: pendant le championnat d’Europe de football de 2021, l’Allemagne a joué contre la Hongrie à Munich. Le conseil municipal de cette ville souhaitait illuminer le stade aux couleurs de l’arc-en-ciel parce que la Hongrie, coorganisatrice du tournoi, venait d’adopter une loi anti-LGBTQ. Cependant, l’UEFA a rejeté la proposition car elle souhaitait rester politiquement neutre. Lors de ce même match, les capitaines des équipes ont été autorisés à porter un bandeau arc-en-ciel en signe de soutien à la communauté LGBTQ. Cela semble contradictoire, mais aux yeux de l’UEFA, éclairer le stade aux couleurs de l’arc-en-ciel lors de ce match spécifique aurait constitué une déclaration politique contre la Hongrie, alors que porter un bandeau arc-en-ciel pendant le match symboliserait seulement la défense des droits de l’homme, ce qui n’est pas une déclaration politique. S’agit-il d’un argument valable ou simplement d’un moyen d’excuser une décision politique nécessaire?

Dans les jours qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Comité international olympique (CIO) a appelé toutes les fédérations sportives internationales à annuler ou reprogrammer ailleurs les événements prévus en Russie et en Biélorussie. Lors d’un deuxième appel, le CIO a considéré que les équipes et athlètes de Russie et de Biélorussie n’étaient plus les bienvenus dans le sport international, pas même sous drapeau neutre. La plupart des FI membres du CIO ont adopté cette position. Tout cela s’est fait à une vitesse jamais atteinte auparavant. De plus, ces appels ont été assez frappants, surtout au regard des statuts du CIO, instaurant la neutralité politique de cette organisation.



Former un monde équitable, respectueux et inclusif par le biais du sport

Cela signifie-t-il que le CIO et ses FI membres ont renoncé à ce principe? Au-delà des apparences, la réponse est un peu plus nuancée, car ce que le CIO a condamné n’est pas expressément l’invasion de l’Ukraine. Il s’est appuyé sur le moment où elle s’est produite pour étayer sa décision, c’est-à-dire sur la charte olympique, une résolution non contraignante de l’Organisation des Nations Unies datant de 1993, qui exhorte les nations à ne pas mener d’action militaire de sept jours avant le début des Jeux olympiques à sept jours après la fin des Jeux paralympiques. Comme chacun sait, l’invasion a eu lieu durant une telle période (instaurée pour les Jeux d’hivers de Pékin, ndlr). Une fois encore, s’agit-il d’un argument valable ou simplement d’un moyen de soutenir une décision politique nécessaire? Le CIO aurait-il permis que tout continue normalement si l’invasion avait eu lieu quelques jours plus tard? Sinon, continuerait-on à pratiquer le sport au niveau international en Russie alors que ce pays mène une guerre en Ukraine?

Par ailleurs, ce que la Russie fait maintenant peut être comparé à la situation au Moyen-Orient où, entre autres choses, la plupart des pays de la région et certains de l’extérieur (y compris les États-Unis, ndlr) ont été impliqués d’une manière ou d’une autre dans des conflits sanglants, qui se sont poursuivis même pendant les Jeux olympiques. Cela se produit également dans d’autres parties du monde. Cependant, le CIO n’a lancé aucun appel similaire à la communauté sportive internationale, comme il l’a fait avec la Russie. La raison pour laquelle la Russie est maintenant boycottée et pas ces autres nations est, selon les avis d’experts, due à une situation conflictuelle où l’Occident est maintenant sérieusement menacé, alors que les grandes FI sont principalement dirigées par des Occidentaux, qui se retrouvent à attribuer de grands événements à des pays dont les antécédents sont contestés, parce que ces pays exercent une influence financière et/ou politique sur la scène internationale et l’industrie du sport.

C’est ainsi qu’on en arrive au “sports washing”, qui est devenu récemment la cause et le moyen de la plupart des politiques dans le sport. Les FI sont confrontées à ce problème parce qu’elles veulent rester politiquement neutres alors que, d’autre part, la pression sociale pour défendre les droits de l’homme et des animaux, l’environnement et le “changement social positif”, augmente non seulement en Occident, mais dans le monde entier. Pourquoi les pays dont le palmarès est contesté sont-ils autorisés à accueillir de grands événements sportifs? La première réponse des FI est probablement “parce que le sport est un moyen d’unir le monde”. Une fois encore, cet argument est-il suffisant ou simplement mis en avant pour étayer leurs décisions et politiques multifactorielles?

La question pour les FI sera désormais de savoir comment elles se comporteront à l’avenir, quand la “licence sociale” sera la norme au regard de laquelle chaque FI sera évaluée au quotidien? Les FI continueront-elles à attribuer des événements sportifs majeurs à des pays dont le bilan est contesté et à utiliser l’argument insuffisant, à notre avis, de la séparation entre la politique et le sport ? Ou bien les FI vont-elles assumer la responsabilité de leurs décisions et de leurs actes et faire preuve de leadership dans la formation d’un monde équitable, respectueux et inclusif par le biais du sport, sur la base des idéaux olympiques, toujours facilement invoqués mais souvent compromis? Pour sa part, c’est bien dans cette seconde direction que s’engage la Fédération équestre européenne.