Le bien-être équin, tube de l’été… et de la décennie
Le bien-être du cheval ne se négocie pas. C’est même « LA » règle d’or de l’équitation, quelle qu’en soit la forme. Qu’on le qualifie de produit agricole, animal de rente, athlète, partenaire de sport et de loisirs ou compagnon de vie, le cheval est d’abord un être vivant doué de sensibilité – exacerbée par son statut de proie à l’état naturel – qui doit être considéré comme tel. Plus noble conquête de l’homme, il doit être traité avec humanité… sans être humanisé. Le principe est simple, de bon sens, vieux comme le monde. Et pourtant…
Le bien-être du cheval ne se négocie pas, mais il se discute. On en débat de plus en plus vigoureusement, à l’intérieur comme à l’extérieur du monde équin, ce « milieu » trop souvent considéré comme marginal dans nos sociétés toujours plus éloignées de la terre. Les controverses ne datent pas d’hier, mais les images qu’ont donné à voir les Jeux olympiques de Tokyo, notamment – mais pas seulement – l’épreuve équestre de pentathlon moderne, ont jeté de l’huile sur le feu. Pire, elles ont apporté de l’eau au moulin de celles et ceux qui jugent ce sport et cet art archaïques et nuisibles au même titre que la chasse à courre ou la corrida. Si leur importance est difficile à quantifier, les animalistes, tels que l’on les étiquette, pèsent sûrement plus lourd que le modeste score d’1,12 % des suffrages exprimés que le parti éponyme a obtenu au premier tour des élections législatives, le 12 juin. Heureusement, tous ne réclament pas l’interdiction pure et simple de l’équitation. Cependant, de campagnes chocs en amalgames à l’emporte-pièce, ils font peu à peu infuser l’idée que monter à cheval serait un plaisir coupable.
Face à ces mouvements, qu’il faut envisager sans peur mais avec gravité, l’équitation doit (re)conquérir ce que les Anglo-Saxons nomment social licence, ce que les Latins peuvent traduire par légitimité. Outre les bienfaits du cheval sur l’homme, il s’agit surtout de démontrer que l’équidé n’est point un esclave de l’équitant, mais un partenaire volontaire dont le bien-être est la priorité en tout lieu et à tout instant. Il y a urgence. Dans un rapport publié au printemps, le groupe d’études sur la condition animale de l’Assemblée nationale, présidé par Loïc Dombreval, député des Alpes-Maritimes et vétérinaire, émet pas moins de quarante-six recommandations pour les Jeux olympiques de Paris 2024. Autrement dit, pour demain ! Un travail sérieux, pour lequel ont été auditionnés de nombreux vétérinaires, dont Vincent Boureau, Richard Corde, Jean-Marie Denoix, Christine Briant, Jacques Nardin, Jérôme Thévenot, Xavier Goupil, Nathalie Crevier-Denoix, Agnès Benamou-Smith, Cécile Bérault, Eva van Avermaet, mais aussi Léa Lansade, docteure en éthologie, Patrick Galloux, ingénieur en biomécanique et ancien écuyer du Cadre noir, Grégory Cottard, cavalier international, Frédéric Bouix et Sophie Dubourg, délégué général et directrice technique nationale de la Fédération française d’équitation (FFE), Ingmar de Vos, président de la Fédération équestre internationale (FEI) ou encore Lola Quitard et Charlotte Fustec, responsables du label EquuRES.
Parmi ces recommandations, certaines appellent simplement la FEI et l’Union internationale de pentathlon moderne, laquelle s’apprête à remplacer l’épreuve équestre par une course (humaine) d’obstacles, à faire respecter ou renforcer des règlements ou politiques de contrôle existants. En revanche, d’autres préconisations sont de nature à impacter en profondeur la pratique des sports équestres. Citons l’interdiction des « harnachements délétères au confort du cheval […], notamment les muserolles augmentant les capacités de serrage (à levier, croisées, doubles, etc.), ainsi que toutes les lanières », le bannissement des « mors tandem ou torsadés », la proscription des « enrênements de type martingale avec mors releveur », des « rênes coulissantes » et des « guêtres sur les membres postérieurs en appliquant à tous les chevaux les règles FEI en vigueur pour les jeunes ». Mentionnons les prohibitions d’utiliser « la cravache plus d’une fois par épreuve et de deux fois à l’échauffement sous peine de sanction, voire de disqualification », de « la flexion de l’encolure plaçant le chanfrein en arrière de la verticale dans toute l’enceinte olympique » sous peine « de sanctions à effet immédiat », ou encore de « toutes les injections intra-articulaires, quelle que soit la nature du produit, quatorze jours avant le début officiel de la compétition et jusqu’à la fin des épreuves ». Les parlementaires envisagent même d’écarter des JO « les chevaux aux antécédents médicaux non compatibles avec un état de santé optimal : osseux, ligamentaires ou musculaires ayant entraîné de longs arrêts de travail ».
Toujours pour garantir le bien-être équin, les députés estiment, comme la FFE, la Fédération européenne (EEF) et les Clubs des cavaliers (IJRC) et propriétaires (JOC) notamment, qu’il faut « revenir au format antérieur aux JO de Tokyo, à savoir quatre couples par équipe, avec drop score, […] et reprogrammer la finale individuelle [de saut d’obstacles] après l’épreuve par équipes ». Enfin, ils conseillent à la FEI et aux organisateurs de Paris 2024 d’équiper « le parcours de cross avec 100 % d’obstacles prévus pour céder en cas de chute ou d’accroche forte du cheval ». « C’est une révolte ? – Non, Sire, c’est une révolution ! », serait-on tenté de dire.
Les autorités régulatrices ne s’y sont pas trompées. Le 24 mai, l’EEF, en partenariat avec la FFE et d’autres fédérations nationales et organisations, a lancé un très ambitieux programme de recherche visant à répondre à une question simple mais à la portée abyssale : sur quoi repose le bien-être équin ? « Ce projet explorera tous les aspects de la vie d’un cheval de sport de haut niveau : compétition, déplacements, entraînement, nutrition ou conditions d’hébergement, afin de trouver un consensus sur les facteurs clés et d’identifier les meilleures exigences pour le cheval », explique l’EEF. Huit jours plus tard, la FEI a donné naissance à une commission indépendante chargée « d’élaborer un cadre pratique permettant de répondre aux préoccupations actuelles et futures liées à l’utilisation des chevaux dans le sport », selon ses propres termes. Dans les deux cas, on entend mettre autour de la table les meilleurs et plus légitimes spécialistes de la planète. Tant mieux. De leur travail, pourvu qu’il soit accompli librement et sans tabou, et de leurs conclusions, pourvu qu’elles ne restent pas lettre morte, dépend la pérennité de l’équitation.
Cet éditorial a été publié dans le dernier numéro du magazine, disponible en kiosques.