La Thaïlande, pays du sourire… et des chevaux
Cavalier de saut d’obstacles, photographe professionnel et chargé de communication, Morgan Froment est un globe-trotter du monde équestre. Grands rendez-vous sportifs, courses hippiques ou encore cultures équestres, le jeune Français est avant tout un passionné de voyages et de découvertes. Avant de rejoindre les équipes de GL events Equestrian Sport, le Nîmois de vingt-quatre ans, attiré par l’Asie, s’est donné les moyens de réaliser un rêve. En pleine pandémie de Covid-19, il s’est envolé pour un stage de six mois en Thaïlande, où les pratiques équestres sont en pleine ébullition. Carnet de route.
17 juillet 2021, aéroport de Roissy. Départ imminent pour Phuket. Contrairement aux apparences, ce n’est pas un départ en vacances sous les tropiques. Le but de mon voyage est tout autre: acquérir une expérience de fin d’études au sein de la Fédération équestre thaïlandaise (TEF), organisation faîtière de l’activité équestre du pays.
Créée en 1976 sous l’impulsion des militaires, cette fédération présente une forte dynamique de développement depuis les années 2010 et l’élection de son actuel président, le Dr Harald Link, également PDG de la multinationale thaïlandaise B.Grimm, président de la Fédération équestre de l’Asie du sud-est, membre de la direction du Comité olympique, et fondateur du Thai Polo and Equestrian Club; et de sa vice-présidente, Nunthinee Tanner, femme d’affaires influente. Les efforts et les moyens fournis par ces deux mécènes ont permis à la Thaïlande d’être reconnue parmi les nations équestres performantes d’Asie, certains de ses cavaliers ayant déjà atteint l’objectif ultime de tout sportif: les Jeux olympiques. En 2021, trois ont ainsi concouru à Tokyo, entraînés par Maxime Livio, complétiste français bien connu. C’est d’ailleurs grâce lui que j’ai pu rencontrer les membres de la Fédération thaïlandaise – je lui dois beaucoup. Tel était le contexte lorsque je suis arrivé au royaume de Siam et pour la première fois aux bureaux de la fédération, situés dans un immense building au centre de Bangkok: les yeux de toute la fédération étaient rivés sur les performances de ses athlètes, dont la participation d’une équipe de complet aux JO en était une grande première.
Première mission pour le pays
Clairement, la première volonté de la Fédération thaïlandaise est d’améliorer le système éducatif des acteurs de la filière. Pour cela, des initiatives ont été mis en place avec le soutien du programme de solidarité de la Fédération équestre internationale (FEI). Aussi, ma principale mission s’est définie à la demande de la TEF et de son secrétaire général, Nara Ketusingha. Le principe était de créer et de présenter des séminaires sur la notion de horsemanship afin de transmettre des connaissances et des savoirs à trois types d’acteurs de la filière: grooms, entraîneurs et cavaliers. Ces présentations ont pris la forme de conférences et de travaux de mise en pratique. Elles ont eu lieu au Thai Polo & Equestrian Club, à la Royal Stable Unit, les écuries de la princesse Sirivannavari Nariratana, situées en plein cœur de Bangkok, ainsi qu’au sein du Royal Thai Army Cavalry Center. Cela a été une expérience fantastique: j’ai adoré m’investir dans ce projet, m’impliquer, rassembler mes connaissances, synthétiser, clarifier et donner des conférences en anglais face à un public thaï. Apporter des connaissances techniques à une communauté étrangère fait sens!
Et pour cause! Si la Thaïlande est connue comme le “Pays du Sourire”, elle s’inscrit nettement moins comme terre équestre dans l’imaginaire collectif. “Les chevaux sont à l’Europe ce que les éléphants sont à la Thaïlande”, ironise Weerapat Pitakanonda, cavalier de complet. Les pratiques équestres occidentales n’ont intégré que très récemment la culture asiatique. Présents depuis des siècles dans cette région du monde, les équidés n’étaient jusqu’alors utilisés que pour la guerre et le travail. L’histoire du cheval est relativement jeune dans le pays puisqu’elle remonte seulement à la fin du XIXe siècle avec l’introduction des courses hippiques et du modèle britannique dans la société thaïe… Depuis, le pays a connu une évolution largement observable par ses participations aux compétitions régionales et internationales comme les JO, les Jeux équestres mondiaux ou encore les Jeux asiatiques. De fait, la croissance des activités équestres est indéniable.
Ce succès s’explique en partie par le dévouement de mécènes qui soutiennent et financent la filière équine, à l’image du Dr Harald Link et de Nunthinee Tanner, associés de longue date et joueurs de polo émérites. Nunthinee Tanner a d’ailleurs été la toute première joueuse du pays. Tous les deux ont créé le vaste Thai Polo Club, financent activement l’ensemble de l’activité équestre et sponsorisent les cavaliers nationaux, notamment via les fonds de la multinationale B.Grimm, leader de l’industrie énergétique dans le pays. Les cavaliers de haut niveau, qui doivent parfois composer avec leur vie professionnelle en Thaïlande, sont régulièrement envoyés en Europe grâce à la générosité de “Khun Link et Khun Nunthinee”, en particulier en France chez Maxime Livio, à Saumur, pour s’entraîner et participer aux plus grandes compétitions internationales où ils se frottent aux meilleurs cavaliers mondiaux. C’est le cas de Weerapat Pitakanonda, surnommé “Bomb” et propriétaire d’un hôtel et d’un centre équestre à Chiang Mai, pour qui les allers-retours en France façonnent désormais le rythme de vie.
Le Thai Polo and Equestrian Club, parmi les plus prestigieuses écuries du monde
Quel émerveillement a été la découverte du Thai Polo & Equestrian Club! Considéré comme la plus vaste structure équestre d’Asie du Sud-Est, c’est un lieu unique en son genre: plus de deux cents hectares, trois terrains de polo, un terrain d’entraînement, des pistes de galop, un manège couvert, quatre carrières en sable fibré, six écuries pouvant accueillir plus de deux cents chevaux et poneys, une clinique vétérinaire, des centaines de paddocks sous les palmiers, etc. Un vrai décor de carte postale.
Là-bas, tous les jours à 6h du matin, une centaine de poneys de polo trottent et galopent sur les pistes d’entraînement. C’est un spectacle étonnant, un sujet séduisant pour réaliser de belles photos d’ambiance. Le reste de la journée, les employés s’occupent des centaines de chevaux, de sport et de polo, s’activant comme des fourmis. La tâche n’est pas facile en raison du climat. Pour leur bien-être, les chevaux profitent d’ailleurs en permanence de ventilateurs dans leurs boxes. Au loin, on observe la baie de Thaïlande, les immeubles de la station balnéaire surpeuplée de Pattaya, et parfois de superbes couchers de soleil, qui vient fondre sur cette mer fermée.
La Covid-19 et… peste équine
Comme partout, la pandémie de Covid-19 a ralenti l’activité équestre, mais celle-ci a plus encore été affectée par la peste équine, qui a provoqué son arrêt total dès mars 2020. Cette maladie, relativement similaire à l’anémie infectieuse, s’est propagée sur le territoire par l’acheminement d’animaux africains, notamment des zèbres, porteurs du parasite. Une fois le cheval infecté par le virus, son pronostic vital est engagé dans la grande majorité des cas. À l’époque où je me trouvais en Thaïlande, un état d’alerte générale avait donc été déclaré par le Department of Livestock Development (DLD), et une quarantaine fut imposée dans toutes les écuries du royaume pour éviter la propagation de cette African horse sickness (AHS). Circuits de compétitions, tournois de polo, mais aussi courses hippiques ont été suspendues. Une période morose pour la filière. Toutes les écuries où je me rendais, ainsi que les manèges, étaient recouverts de filets anti-moustiques, desquels les chevaux ne pouvaient sortir… En plus du climat tropical et des températures avoisinant les 30°C, l’air circulait mal dans les écuries malgré les ventilateurs… Aujourd’hui, bien que la situation soit revenue à la normale, le pays reste une cible pour ce genre d’épidémies en raison de sa situation géographique et de son climat tropical.
Les championnats thaïlandais après deux ans d’arrêt
Après deux années sans compétition dans le pays, il ne fallait pas manquer la reprise. Pour garantir la sécurité sanitaire, des mesures ont été prises avec l’Organisation mondiale de la santé animale afin que Thaïlande recouvre son statut originel. Pour ne pas perdre de vue les standards de la FEI, des championnats nationaux devaient avoir lieu. La TEF a donc décidé d’organiser les Thailand Championships de saut d’obstacles sur le site de la police montée de Bangkok, de dressage et d’endurance à Saraburi ainsi le Challenge mondial de jumping créé par la FEI. À Saraburi, j’ai pu faire la connaissance de Bernard Maurel, juge de dressage français aujourd’hui installé en Thaïlande.
Lors de ces événements, la fédération m’a chargé de photographier les épreuves et de gérer ses réseaux sociaux. Pour la première fois de ma vie, j’ai également eu le plaisir de coacher. En effet, quelques semaines avant ces championnats nationaux, certains cavaliers sont venus à ma rencontre pour de petites leçons. Grâce à des bases d’enseignement et à mes expériences en concours, je me suis mis à entraîner une petite dizaine de cavaliers locaux et étrangers. Certains m’ont même demandé de faire travailler leurs chevaux et poneys sur le plat et à l’obstacle. Je me souviens de l’un des premiers cours que j’ai donnés. C’était à Chomview HR Club, non loin de Pattaya. Je travaillais avec la Thaïlandaise Nuttanich Buntavong et son cheval Step 4. Elle semblait apprécier mes méthodes. Lors des championnats, nous avions décidé de l’engager dans les épreuves Seniors à 1,30m et 1,35m. Après un échauffement et quatre parcours, elle a brillamment terminé deuxième. J’étais très fier d’être parvenu à un tel résultat, qui plus est à Bangkok.
Rencontres avec des expatriés
Au cours de mes expériences au “Pays du Sourire”, j’ai été marqué par la grande diversité des nationalités. Outre les locaux avec lesquels je partageais mon quotidien, j’ai également rencontré des Suédois, Allemands, Canadiens, Argentins et même quelques Français. Localement appelés “farangs”, ces étrangers sont tombés sous le charme du pays et de ses habitants, décidant d’y poser leurs valises et d’y installer leurs activités professionnelles, participant à façonner la filière. Ainsi, j’ai pu rencontrer Helena Gabrielsson, une cavalière suédoise qui s’était illustrée en Europe, participant à la finale de la Coupe du monde en 2001 à Göteborg, puis à des étapes qualificatives du circuit à Jakarta au, aux côtés de son regretté King Power Aladdin, disparu il y a quelques mois seulement. Pour elle, s’installer en Thaïlande était une évidence. Elle y a rencontré Khun Tao, un professionnel des courses hippiques qui avait l’habitude de commercer avec la France et un certain… Jean-Marc Nicolas. Helena s’est ainsi installée aux écuries Equestrian Paradice, à une heure de Bangkok, où j’ai passé certains de mes week-ends et même un noël suédois.
Au cours de mon voyage, j’ai également rencontré l’Allemande Lea Cremerius, qui vit avec un Thaï et travaille dans des écuries à Chon Buri. Elle m’a notamment appris les bonnes coutumes locales et m’a permis de rencontrer nombre d’acteurs de la filière. Et puis, j’ai aussi fait la connaissance d’Argentins, qui m’ont initié au polo. Cette discipline est un véritable art de vivre. J’avoue que je n’avais encore jamais mis les pieds sur un terrain avant d’arriver en Thaïlande. J’y ai donc découvert des sensations bien différentes de celles du jumping. La position en selle est radicalement opposée puisqu’il faut en sortir pour être au-dessus de la balle, serrer les genoux et le haut des cuisses… Bref, tout l’inverse de ce que l’on m’a enseigné jusqu’à ce jour. Mais quelle satisfaction de frapper la balle juste et de galoper à grandes foulées sur un immense terrain en herbe!
Revenu de ce voyage, j’en garde un souvenir merveilleux. Le début d’un projet de vie tournée vers le sport, le cheval et le business international dans des pays aux filières en plein développement… Les billets d’avion pour un retour au royaume de Siam sont d’ores et déjà réservés. Départ en fin d’année. De nouveaux challenges m’y attendent sans aucun doute!