Les dessous des pistes événementielles
La préparation des pistes équestres éphémères recèle encore quelques secrets. Comment sont-elles pensées? Quelle préparation nécessitent-elles? Quelles sont leurs contraintes techniques? Zoom sur les dessous des pistes événementielles, peu divulgués jusqu’ici, et sur la logistique et la complexité qu’elles demandent.
Comment ont débuté les pistes événementielles? “Les pistes de concours étaient surtout en herbe au début des années 1980. En 1986, nous étions la seule entreprise spécialisée dans les sols équestres de concours”, débute Francis Clément, cofondateur de Toubin & Clément, établie à La Boissière-École, dans les Yvelines. “Nous avons réalisé notre première piste internationale pour le Jumping de Cannes en 1986, puis la première piste indoor pour le Jumping de Grenoble, en 1987. Au tout début, nous avons un peu tâtonné. La qualité des sols d’hier n’est clairement plus la même que celle d’aujourd’hui! Les sables se sont affinés et les ajouts, tels que les fibres, ont fait leur apparition (la société Toubin & Clément a commercialisé son premier sable événementiel fibré en copeaux de géotextiles en 1995, ndlr). Nous avons ensuite été présents sur une large palette de concours (comme ceux de Paris au salon du Cheval, Lyon, Bordeaux, etc., ndlr) et avons partagé le marché des sols équestres à partir des années 1990. Quelques années plus tard, les pistes éphémères ont gagné la capacité de gérer les gros volumes d’eau apportés par les orages… même si tout a une limite!”
Une course contre le temps
Un organisateur de concours doit établir le projet des sols au moins trois à quatre mois avant l’événement. “Les concours sont maintenant étalés sur toute l’année, mais on note tout de même un pic d’activité entre mai et juin”, débute Arnaud Malgras, gérant de la société Equiplus Sols équestres, installée à Noisseville, en Moselle, et concepteur – entre autres – des pistes du Longines Paris Eiffel Jumping en 2021 et 2022. “Les emplois du temps sont serrés, et il n’est pas rare qu’il y ait plusieurs concours nationaux et internationaux durant le même week-end. Pour les gros concours de type CSI 4* et 5*, l’organisation se fait plutôt d’une année sur l’autre. Il est aussi possible qu’une de nos équipes d’entretien reste sur place lorsque les concours durent plusieurs semaines (comme les tournées de l’Hubside Jumping ayant lieu à Valence et à Grimaud, ndlr).”
Une piste événementielle est aussi qualifiée d’éphémère; sa mise en place est donc temporaire. “Contrairement à une piste pérenne, une piste de concours éphémère doit être tout de suite opérationnelle et ne dispose pas d’un délai pour se mettre en place. Les sables utilisés pour de l’événementiel sont donc différents de ceux destinés aux pistes pérennes”, précise Francis Clément. “Le temps est une contrainte importante”, poursuit Arnaud Malgras. “L’idéal serait de monter une piste sept jours avant son utilisation, mais cette disponibilité de durée est très rare. Dans le cas de l’Equi Seine de Rouen (CSI 4* organisé chaque année au mois de novembre, ndlr), par exemple, nous devons monter la piste le lundi pour une utilisation effective dès le mercredi matin! C’est techniquement possible mais cela demande de travailler jour et nuit. Le démontage de la piste requiert également du temps – généralement trois jours – et doit se faire en coordination avec les autres intervenants du concours (concepteurs des boxes, des tribunes, etc.). La route d’accès du concours est souvent coupée à la circulation pour nous être réservée, ce qui ajoute une pression supplémentaire sur notre rapidité d’action.”
Procéder à des estimations
Une fois la date établie, place au repérage. “Chaque concours est différent. En premier lieu, il faut se rendre sur le site et commencer nos estimations: le sol est-il plat? Quel sera le tonnage de sable nécessaire? Est-ce un concours intérieur ou extérieur? Combien de jours sont disponibles pour le montage puis le démontage? Etc.”, reprend le gérant d’Equiplus Sols équestres, Arnaud Malgras.
“Avant la visite du site, je prends le temps d’échanger avec l’organisateur du concours et lui pose les questions de base: emplacement, date et budget alloué”, détaille Florence Bord, cogérante de la société Bord Sol, établie à Chalain-le-Comtal, en Auvergne-Rhône-Alpes. “La question du niveau du concours ne se pose pas vraiment car, qu’il s’agisse d’un CSI 3* ou 5*, les chevaux auront besoin d’un sol avec les mêmes technicités et confort, et il faudra dans tous les cas offrir la meilleure piste possible (Bord Sol est notamment le concepteur des sols des CSI 5* de Cannes et Monte-Carlo en 2022, étapes du Longines Global Champions Tour, ndlr)!” “Une fois sur place, je prends note de la qualité du sol, si son aplanissement est nécessaire (il y a généralement des bosses et des creux à combler) et s’il présente une pente. Dernièrement, j’ai pu établir une piste sur un lieu insolite, qui présentait une forte pente. C’est un challenge technique mais qui est rendu possible grâce à une bonne combinaison de sable et une bonne pose, pour offrir au final une excellente tenue durant le concours. L’eau pour l’arrosage entre également en compte: y a-t-on accès facilement ou devra-t-on travailler avec de l’eau stockée en citerne ? Enfin, il faudra s’attarder sur les accès du concours: permettent-ils l’usage de gros camions ou, au contraire, n’acceptent-ils que le passage de petits? C’est en rassemblant ces connaissances que l’on pourra présenter un devis détaillé au client, et notamment le tonnage de sable nécessaire.”
La question de la discipline doit-elle, enfin, se poser? “Pas vraiment, car les sols sont désormais polyvalents”, répond Francis Clément. “Les compétiteurs en dressage apprécient les sols feutrés, et ceux d’obstacles, les sols frappants. Il est tout à fait possible de passer d’un sol à l’autre pour une discipline donnée, mais cela demande un peu de temps (comme cela fut le cas pour les finales des Coupes du monde Longines de jumping et de dressage à Bercy, à Paris, en 2018, qui se déroulèrent sur la même piste, mise en place par Toubin & Clément, ndlr). Nous griffons le sol (passage d’une herse profonde pour aérer le sable, ndlr) pour le dressage, et au contraire le resserrons pour le saut d’obstacles en passant une barre et/ou une herse moins profonde. Dans tous les cas, le cheval va avoir besoin de grip et surtout de glissance, c’est-à-dire de la possibilité de laisser son sabot s’avancer librement lors du poser. Sans cette glissance, si le sol est trop “armé”, par exemple, on va au-devant de traumatismes ligamentaires (articulations) et tendineux.”
L’indispensable sable
Le plus souvent, le sable est compris dans la prestation du concepteur de la piste et son mélange est préparé une semaine à l’avance. Ce dernier l’achemine jusqu’à l’événement, l’utilise, puis le récupère en fin de concours. Le concepteur prévoit généralement une petite perte de sable, déplacé par les sabots des chevaux entre les aires de concours, les paddocks et les boxes, et les manipulations des engins. Habituellement, entre 2 400 et 2 600 tonnes de sable sont utilisées par événement d’envergure. “La location de sable est l’option la plus courante”, commente Francis Clément. “Pour éviter de trop longs trajets, nous avons placé plusieurs de nos stocks près d’emplacements stratégiques – près de Lyon, Bordeaux, Villepinte, etc. Il est plus rare de vendre le sable à un organisateur de concours, à plus juste titre si c’est la première édition de l’événement.” “Si vente il y a, cette dernière est souvent amortie au bout de trois éditions”, détaille Arnaud Malgras. “Si l’organisateur a prévu plusieurs événements et a la capacité de stocker le sable près de sa localisation, il l’achète – c’est notamment le cas pour le Athina Onassis Horse Show, à Ramatuelle (organisé chaque année en mai ou en juin près de Saint-Tropez, ndlr). Les sables ne sont ni usés ni pollués (les crottins sont très vite ramassés durant un parcours) et peuvent donc être réutilisés sans problème.”
Les concours événementiels se caractérisent souvent par un espace réduit et des difficultés d’acheminement pour les concepteurs des pistes. Le sable est globalement amené sur site par de petits camions. Le chargement est vidé sur l’emplacement de la piste puis étalé à la pelleteuse. Une fois cette opération effectuée, le sable est passé à la niveleuse guidée par laser, puis affiné au râteau pour les bords de piste. “Nous privilégions de travailler avec notre propre matériel, dont nous connaissons l’usage et l’entretien, car ce n’est jamais le moment d’avoir une panne!”, réagit Arnaud Malgras. “Nous comptons généralement deux semi-remorques pour déplacer nos engins. Notre équipe reste ensuite sur place pour assurer l’entretien des pistes.” Enfin, si des structures équestres à proximité du concours sont intéressées par un sable événementiel “d’occasion”, elles peuvent l’acquérir à leur tour, à condition toutefois d’être à moins de 80 km, pour des raisons économiques.
Les technicités d’une piste éphémère
“Les pistes indoor sont le plus souvent sur une dalle de béton; le sol est donc déjà plat et ne va pas nécessiter de remodelage. Elles auront également l’avantage de ne pas devoir subir une météo pluvieuse ou venteuse. Ces facilités d’installation ne doivent cependant pas éclipser la délicate mise en eau de ce genre de piste”, introduit Francis Clément. “Que l’on soit en intérieur ou en extérieur, le sol est généralement très dur et va devoir être bien plus accueillant pour les chevaux! Pour cela, nous misons sur une grande épaisseur de sable (jusqu’à 20 cm, ndlr) qui va absorber les retours d’ondes de choc”, poursuit Arnaud Malgras. “En extérieur, il faut prendre en compte la possibilité d’évacuer une grosse quantité d’eau en cas de pluie et donc prévoir des drains. Le plus souvent, la piste est installée avec une faible mono-pente d’1% pour évacuer l’eau. Il est possible de placer des plaques entre le sol et le sable pour bien séparer les deux et avoir un effet drainant supplémentaire. Ce cas de figure est néanmoins plus rarement requis car il nécessite presque autant de sable et un coûteux supplément de main-d’oeuvre.” “Que ce soit en extérieur ou en intérieur, il n’est bien sûr pas question de sub-irrigation; seul l’arrosage par percolation jusqu’à saturation sera possible pour les pistes éphémères, sauf si elles doivent rester en place plusieurs mois – ce qui est le cas des grands événements comme les championnats continentaux”, informe Francis Clément. “L’arrosage se fait par tonne à eau ou lance à incendie”, reprend Arnaud Malgras. “En indoor, la piste sèche très peu, même si le hall est chauffé. Il faut donc prévoir dès le début la bonne quantité d’eau pour compacter le sol au fur et à mesure. Le bon arrosage d’une piste indoor nécessite donc une bonne expérience, même si la surface est souvent moindre qu’en extérieur!”
Le cas du Longines Paris Eiffel Jumping
Autrefois installé place Joffre, sur le champ de Mars de Paris, le Longines Paris Eiffel Jumping a dû laisser sa place au bâtiment du Grand Palais Éphémère pour les éditions 2021 et 2022 et s’installer plus près de la tour Eiffel, place Jacques Rueff… connue pour son grand bassin d’agrément! “C’est un emplacement très particulier. Lorsque je suis arrivé la première fois sur le site, je n’ai pas caché mon inquiétude quant à ce bassin!”, s’exclame le gérant d’Equiplus Sols équestres, qui a collaboré pour l’occasion avec Liberté Events. “Il a fallu trouver une solution pour remblayer momentanément le bassin sans le surcharger de sable. Au final, il a été comblé par de gros blocs puis recouvert d’une épaisse plaque capable de supporter les tonnes de nos machines. Nous avons également ajouté des plaques pour ne pas avoir de problème d’eau. Étant donné l’impossibilité d’en stocker sur place, nous avons organisé un va-et-vient de camions durant trois jours. La logistique de personnel a été assez lourde car il était nécessaire d’avoir huit à dix personnes pour monter la piste, quand une piste plus classique n’en nécessite que six, voire moins.” Que l’on se rassure, un tel remue-ménage n’a pas eu de conséquence sur ce lieu historique de la capitale. “Il y a bien sûr eu un état des lieux avant et après, et toute modification du paysage était interdite. Les arbres étaient également protégés et la moindre brindille cassée ou écorce touchée aurait occasionné une amende salée. Ce fut un vrai – mais enrichissant – challenge!”
Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX n°139.