“Trouver les consensus qui font avancer le collectif”, Émilie Morichon

Alors que la dernière génération en compétition aux finales nationales des Jeunes Chevaux d’Uzès était en train d’en découdre sur les pistes d’endurance, Émilie Morichon, directrice de la Société Hippique Française (SHF), dresse le bilan des finales nationales 2022 de la discipline. 



Il y avait globalement moins d’engagés cette année à la Grande semaine de l’élevage d’Uzès que les années précédentes. Comment l’expliquez-vous?

Il y a effectivement une baisse du nombre d’engagés en endurance, mais depuis le Covid-19, le commerce dans cette discipline a beaucoup changé. Courtiers et marchands qui étaient présents avant la crise sanitaire ne sont plus là, ils n’achètent plus autant de chevaux pour les Émirats. 

Il s’agit d’un tournant pour la discipline : l’élevage français d’endurance doit maintenant savoir pour quoi il produit, et pour qui. Nous aurons toujours besoin de chevaux de haut niveau et l’élevage français brille suffisamment grâce à ses performances, il n’a pas de risques de ne plus exister demain. L’amélioration génétique, la sélection et la préparation des cavaliers sont idéales en France. Mais le haut niveau n’est qu’une partie de la compétition. Demain, peut-on vendre des jeunes chevaux à des amateurs qui voudraient profiter et vivre ce genre d’évènements? C’est une question que nous devrons nous poser avec l’ensemble de la commission et évidemment tous les stud-books concernés par l’endurance. 

La conjoncture économique et le prix de l’essence ont peut-être aussi joué sur les engagements. Uzès n’est pas un évènement central, et il est vrai que ce déplacement peut engendrer beaucoup de coûts. Un éleveur, s’il est professionnel, doit réfléchir son activité comme une activité économique. Il faut qu’il n’emmène à la finale que les meilleurs chevaux de sa production. Pour les chevaux d’un niveau plus intermédiaire, il faut peut-être trouver un circuit plus court. Il faut aussi pouvoir former les chevaux qui n’atteindront pas le haut-niveau pour permettre aux éleveurs de trouver des rapports qualité/prix qui leur permettent de vivre dignement de leur métier. 

Pour ces chevaux justement, les éleveurs ne font-ils pas le choix de ne privilégier que quelques étapes du circuit, peut-être plus proches de chez eux, sans forcément viser la finale?

Dans d’autres disciplines, comme le complet et le saut d’obstacles, il y a eu un boum du nombre d’engagés, que ce soit en région ou à la finale. Dans ces disciplines, le commerce se porte bien. Le nombre d’engagements est corrélé à la commercialisation des chevaux. En endurance, c’est le contraire, mais sur le circuit SHF comme sur le circuit fédéral, nous observons une baisse du nombre de partants. Le circuit SHF a perdu dix à vingt pourcent d’engagés selon les régions. Cette tendance est légitime: former et valoriser son jeune cheval a un coût. Il faut donc être certain de pouvoir revendre, avec la garantie d’une plus-value.

Y a-t-il des mesures à mettre en place pour palier à ces problèmes de commercialisation?

Notre rôle est de mettre en place un circuit adapté pour la formation des jeunes chevaux en endurance. La SHF remplit cet objectif. Cependant, aujourd’hui, nous devons certainement aussi aider nos éleveurs à trouver un circuit plus court et attirer à nouveau des amateurs vers l’achat des jeunes chevaux. Je pense notamment au circuit des Cycles libres, qui existent dans d’autres disciplines. Cette différenciation permettrait d’avoir d’une part un circuit pour les professionnels qui préparent les chevaux vers le haut niveau, et d’autre part un circuit formateur adapté à l’évolution des cavaliers amateurs qui achètent un jeune cheval. Est ce qu’il n’y a pas une piste à creuser? Les éleveurs ne se sont pas trop intéressés au marché des amateurs jusqu’à maintenant. Il va donc falloir qu’on ait une politique commune avec la Fédération française d’équitation pour réfléchir au devenir de cette discipline et évidemment que l’élevage produise pour un marché de consommateurs, en fonction des attentes du consommateur. 

C’est une discipline qui a par ailleurs tous les arguments et tous les critères pour trouver son essor chez le pratiquant non professionnel :  il s’agit d’équitation d’extérieur, qui se pratique en groupe ou en famille, avec tout le respect du cheval. Il faut la démocratiser, la rendre la plus transparente et la plus lisible possible de l’extérieur. C’est un travail que nous ne pourrons pas faire seul mais en partenariat avec la FFE, qui œuvre déjà sur le sujet.



“Il est important que la SHF écoute le terrain et ses acteurs”

Chaque année, des modifications règlementaires sont apportées sur le circuit SHF et pour les finales. Cette année, il y a notamment eu l’arrivée du poids minimum de 70kg à porter pour les chevaux de six ans. Comment sont prises ces décisions?

Les chevaux de six ans sont en transition vers les épreuves de la Fédération équestre internationale (FEI), pour lesquelles certains jouent leurs qualifications. L’idée c’est d’aider nos cavaliers et préparateurs à être prêts pour cette transition entre les épreuves SHF et FEI. Ce poids est exigé en international, l’idée est donc de pouvoir comparer une génération dans les mêmes conditions. C’est pour cette raison qu’un poids minimum a été mis en place par la commission en 2022, et qu’il sera certainement de nouveau de mise l’année prochaine. Je pense sincèrement que la plupart des modifications apportées devraient ne pas être remises en cause l’année prochaine. Je parle au conditionnel parce que nous n’avons pas encore débuté le travail sur le règlement 2023 mais ces adaptations se font chaque année grâce aux retours qui nous sont faits. Il est important que la SHF écoute le terrain et ses acteurs. Il serait dommage de passer à côté de petites problématiques qui pourraient être réglées facilement. Lors d’un événement comme Uzès, nous faisons de notre mieux pour entendre et écouter mais surtout pour vivre la compétition. L’endurance est une discipline qui n’est pas si facile à comprendre. À ce titre, à la Grande semaine d’Uzès, Michel Guiot (président de la SHF, ndlr) et moi sommes sur le terrain du matin au soir pour ne rien louper !

Plus de transparence et de communication, n’est-ce pas justement le leitmotiv de la SHF ces dernières années?

C’est la politique de Michel Guiot (à la tête de la SHF depuis janvier 2021, ndlr). Nous ne devons pas oublier que nous sommes au service de l’élevage et non l’inverse. C’est ce que nous avons inculqué à nos équipes. La première année a été une découverte ; même si Michel connaissait parfaitement le milieu, il a fallu reprendre tous les dossiers, et pour certains des collaborateurs, découvrir de nouvelles disciplines et de nouveaux circuits. Aujourd’hui, nous nous sentons beaucoup plus à l’aise pour avoir un avis et surtout échanger énormément avec les acteurs. Les gens viennent beaucoup plus vers nous que l’année dernière. Ils osent dire les choses, ils se rendent compte également que ce qui peut être un problème pour l’un n’est pas forcément un problème pour l’autre. Nous prenons des décisions pour la majorité et devons trouver les consensus qui feront avancer le collectif.

La Grande semaine d’Uzès marque la fin du marathon des Grandes semaines, débuté en août au Sologn’Pony. Êtes-vous satisfaite de cette cuvée 2022?

Je tiens tout d’abord à remercier mes équipes. Nous avons subi une épidémie interne de Covid, ce qui ne nous était pas arrivé l’an dernier et qui a mis à plat une bonne partie de l’équipe au moment où il y avait deux Grandes Semaines en même temps. Nous avons également des acteurs sur le terrain qui sont merveilleux. Ici, c’est évidemment toute l’équipe de la Société hippique d’Uzès. Chaque Grande Semaine s’appuie sur des acteurs locaux, avec l’idée de mutualiser nos savoir-faire. Il a fallu gérer de gros changements avec le retour du dressage à Saumur selon un fonctionnement différent, trouver sa place et l’équilibre entre les partenaires de l’IFCE, France Dressage et la SHF. Il y aura surement des modifications à apporter l’année prochaine si nous souhaitons conserver ce format. L’attelage était également sur un nouveau lieu, à Lamotte-Beuvron. Ce format sera reporté l’an prochain et nous y ajouterons les championnats du monde jeunes chevaux, avec le concours de la FFE. 

Il va maintenant falloir réussir à stabiliser ce que nous avons créé et 2023 sera encore meilleur que 2022, je l’espère. Nous apprenons de nos erreurs, nous sommes en perpétuelle recherche d’amélioration. Nous avons vu et vécu du beau sport cette année, avec de très beaux champions et beaucoup de qualité dans les chevaux présentés. C’est déjà tellement merveilleux pour nous de pouvoir les mettre en valeur. À ce titre, nos équipes de communication ont effectué un travail formidable. Nous avons été dans notre petite bulle deux mois durant, maintenant nous reprenons tous nos dossiers et nous nous remettons au travail pour le millésime 2023, avec les trentièmes éditions de Pompadour et Uzès. Des dates anniversaires qui promettent toujours de beaux événements!