Le polo renaît de ses cendres au Kenya, entre ouverture sociale et stratégie commerciale

D’un sport importé par les fermiers britanniques durant la colonisation, le polo est devenu ces dix dernières années de plus en plus tendance et ouvert à la population kényane. Mais le prix des chevaux, souvent venus de l’étranger, reste un frein qui limite son accès à un cercle de joueurs réduit.



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© Claudia Lacave

Il est midi, un dimanche sec de janvier. Dans les gradins, le soleil éblouit les spectateurs qui tentent tant bien que mal de protéger leurs yeux pour admirer le jeu car sur le terrain, les cavaliers font peu de cas de la luminosité et poursuivent la petite balle blanche jusque dans les buts. Les chevaux de toutes robes, luisants et couverts d’écume, tournent et se retournent au gré des mouvements de la rencontre, accélèrent puis pilent sur place, sautent de côté ou même reculent dans l’effervescence du polo. 

Pour qui a déjà assisté à un match, ce tableau rappelle les émotions intenses et changeantes que ce sport procure, au Kenya comme ailleurs. Du côté des spectateurs, en majorité néophytes, l’ambiance est plutôt à la bière fraîche et aux chapeaux colorés lors des quatre week-ends de janvier consacrés à des tournois débutants, sur le terrain du club de polo de Nairobi, capitale du Kenya, majestueux pays de l’Afrique de l’Est. Deux aires de jeux verdoyantes s’étalent sur 3 000 m2 proches du cœur de la capitale et, au centre du terrain, un club house surélevé, chic et confortable, accueille habituellement les joueurs après leurs matchs amicaux les week-ends de saison sèche.

“Là où le club de Nairobi a été intelligent, c’est qu’il est devenu plus tendance et amusant au cours des dix dernières années. Le polo est passé d’un sport colonial à un sport moderne dans lequel les Kényans veulent s’impliquer”, explique Venetia Philipps, directrice du Sirai Stud, un élevage situé dans le centre du Kenya. Environ un millier de spectateurs par week-end est venu assister aux tournois de janvier; c’est quasiment dix fois plus que les années précédentes, d’après le président du club, Raphael Nzomo, qui remercie ses principaux sponsors, les Brasseries d’Afrique de l’Est et Radio Africa Group, auteurs d’une communication efficace.

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L’implantation du polo dans un pays peu orienté cheval

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L’histoire du polo au Kenya est intimement liée à sa colonisation. “Ce sport est arrivé avec les fermiers colons et les militaires britanniques auparavant basés en Inde”, rappelle Antony Gross, lui-même descendant de cette population, plusieurs fois président d’associations de polo et joueur incontournable – comme bon nombre de membre de sa famille. Le pays s’est retrouvé sous protectorat d’Afrique de l’Est britannique à partir de 1895, et le polo fut, en même temps que les courses, le premier sport équestre à paraître en 1905. Le Nairobi Polo Club a été fondé deux ans plus tard. 

À la différence de ses voisins du nord, le Kenya n’était pas une terre de cheval avant l’arrivée des colons européens. La passion de ces derniers a suscité l’importation de chevaux, principalement d’Éthiopie et de Somalie, au début du XXe siècle. Le résultat est un Pur-sang Kényan petit, avec une ossature légère favorisée par un environnement dur. “C’est une race au caractère très polyvalent, utilisée pour le polo après avoir couru sur les champs de courses”, détaille Venetia Philipps.

Le sport a pris de l’ampleur pendant l’entre-deux-guerres et l’importation de chevaux sud-africains, australiens ou encore britanniques est devenue plus courante. C’est aussi à cette époque que le millionnaire américain Sir Northrup McMillan a créé la Mugs Mug Cup – le tournoi annuel à handicap limité le plus compétitif et attendu au Kenya. Mais l’indépendance de 1963, arrachée par le peuple kényan après plusieurs années de heurts et leurs lots de victimes, a cassé le développement du polo avec le départ d’une majorité des colons britanniques. Le nombre de clubs est passé de quinze en 1959 à seulement trois dans les années 1980. Le Nairobi Polo Club, le Polo Club du Nord et celui de Manyatta sont aujourd’hui les derniers rescapés de l’âge d’or ayant précédé l’indépendance.

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Vers plus d’inclusion et d’ouverture sociale

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© Claudia Lacave

Aujourd’hui, le polo commence à se relever, avec cent à deux cents joueurs actifs dans le pays, notamment grâce à une mixité sociale grandissante. “Les premiers joueurs à la peau noire étaient les grooms des propriétaires de chevaux”, rappelle Antony Gross. “Ce n’est que plus récemment, avec des figures comme Raphael Nzomo, Philip Arunga et Gideon Moi (fils du deuxième président du pays, ndlr), que l’on peut observer des joueurs kényans pure souche montant leurs propres chevaux.” Mais l’avocat de profession précise que cette ouverture concerne surtout Nairobi. Les deux autres clubs restent principalement composés de descendants de fermiers. Chaque année, une douzaine de tournois sont organisés dans le pays et deux rencontres internationales ont lieu. Cet été, l’équipe kényane a d’ailleurs visité la Zambie et a accueilli une équipe brésilienne en septembre.

Autre avancée: la présence de plus en plus importante des femmes à cheval et à la tête des équipes, depuis le tournant des années 2000. Les noms d’épouses de militaires se retrouvent de temps en temps dans les archives du sport, mais elles se font plus nombreuses et brillantes de nos jours. Citons la fille d’Antony Gross, Tiva, numéro deux féminine au Kenya avec un handicap international de 2. Tiva, qui a également joué dans l’Open d’Argentine et des États-Unis, pratique maintenant en Afrique du Sud et en Zambie. 

Le club de Nairobi pousse à ces ouvertures sociales. “C’est important de rendre le sport commercialement viable car il est coûteux, le club a des frais importants, comme la location du terrain, qui ne peuvent pas être supportés uniquement par les joueurs”, explique Raphael Nzomo. Malgré cette pression économique, le polo est un sport strictement amateur au Kenya, et il le restera. “À chaque fois que des joueurs étrangers viennent en visite, ils nous envient et nous encouragent à tout faire pour garder ce côté amateur du sport”, s’amuse Raphael Nzomo. Un avis partagé par Antony Gross, pour qui l’argent des paris et des patrons gâche le loisir et le fair-play de la compétition. Pas comme sur le terrain de Nairobi, où parents et enfants jouent ensemble pour le plaisir du sport et de l’équitation!

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX heroes.

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© Claudia Lacave