McLain Ward a visé la lune et Azur a atterri dans les étoiles
McLain Ward a remporté le Grand Prix Rolex du CSI 5* de Genève cet après-midi à Palexpo. En selle sur HH Azur Garden’s Horses, l’Américain est sorti vainqueur d’un barrage à treize, devançant de plus d’une seconde le Suisse Martin Fuchs sur Leone Jei et de deux secondes l’Irlandais Shane Sweetnam avec James Kann Cruz. Également qualifiés pour cette finale au chronomètre, Simon Delestre et Kevin Staut se sont classés cinq et treizième associés à Cayman Jolly Jumper, auteur d’un double sans-faute, et Scuderia 1918 Viking d’la Rousserie, pénalisé de huit points.
“Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles”, disait le grand Oscar Wilde, qui fut propriétaire d’une villa à Gland, petite ville bordant le Léman, à trente kilomètres au nord-est de Genève. À Palexpo, où s’est achevée cet après-midi la soixante et unième édition du CHI de Genève, qui a réuni plus de 44.000 spectateurs, plus d’une fois McLain Ward a visé la victoire, sinon le podium, lui l’homme des grands rendez-vous. Il y est parfois parvenu, remportant le Challenge, l’épreuve majeure du jeudi, en décembre 2010 avec Antares F, et se classant notamment troisième du Top Ten Rolex IJRC en 2018 avec Clinta.
Cependant, l’Américain, qui a fêté ses quarante-sept ans en octobre, conserve aussi un douloureux souvenir des immenses halles édifiées à la frontière franco-suisse: en avril 2010, alors qu’il pointait en tête de la finale de la Coupe du monde après avoir terminé deuxième de la Chasse et de l’épreuve à barrage, le double champion olympique par équipes avait été empêché de participer à l’ultime épreuve en deux manches, en raison d’une suspicion d’hypersensibilité de la génialissime Sapphire (ex-Safari van’t Merelsnest). “Après une investigation approfondie des faits ayant entraîné la disqualification de Sapphire, la FEI a déterminé que la jument a été incorrectement éliminée”, avait reconnu la Fédération équestre internationale. “La FEI a franchi la ligne du fair-play”, avait déclaré le cavalier neuf mois plus tard après sa victoire sus-mentionnée avec Antares. “C’était une injustice. J’espère simplement que cela n'arrivera plus à personne.” Depuis, McLain a remporté une fois la finale de la série indoor, que Genève a quittée en 2013 pour fonder le Grand Chelem Rolex. C’était en 2017 à Omaha avec une certaine… HH Azur Garden’s Horses, cinquième du Challenge de Genève en 2016.
En revanche, le Grand Prix de Genève continuait à lui échapper, comme ceux du CSIO 5* d’Aix-la-Chapelle et du CSI 5* de Bois-le-Duc, deux autres des quatre Majeurs du Grand Chelem. Et depuis son arrivée en Suisse en milieu de semaine, McLain Ward visait à nouveau la lune, sans s’en cacher. Derrière son flegme, devenu quasi légendaire, le New-Yorkais masquait une motivation extrême d’en finir avec l’une des quelques anomalies historiques de son palmarès, lui qui évolue au plus haut niveau depuis trente ans déjà. Quel cheval mieux qu’Azur pouvait lui permettre de graver son nom dans le palmarès de cette épreuve mythique? Alors qu’il songeait voici un an à mettre un terme à la carrière de sa pépite, passée par les écuries de Pénélope Leprevost et Michel Robert avant de lui offrir l’argent olympique par équipes en 2016 à Rio de Janeiro, McLain a senti la BWP, fille de Thunder van de Zuuthoeve et d’une mère par Sir Lui, animée d’un nouveau souffle. En 2022, la protégée du marchand belge François Mathy et de feu Hunter Harrison, a gagné les Grands Prix du CSIO 4* de Wellington et du CSI 4* de North Salem, avant de se classer cinquième à Aix-la-Chapelle, septième à Calgary et troisième du Super Grand Prix Longines de Prague. Pas mal!
Bien évidemment, Ward et Azur n’étaient pas le seul couple favori de ce Grand Prix interstellaire. Le plateau était d’une telle qualité que le tour initial imaginé par le Suisse Gérard Lachat, assisté du Néerlandais Louis Konickx, comportant pourtant dix-huit efforts, dont un triple oxer-vertical-oxer placé en 4, un double oxer-vertical sur bidets en 6 et encore un double de verticaux en 13, a paru aisé pour de nombreuses paires. À l’arrivée, on a compté pas moins de treize sans-faute. Rien de grave dans la mesure où les seize meilleurs binômes se sont partagé le généreux gâteau d’1,2 million de francs suisses sonnants et trébuchants en jeu, mais cette première partie d’épreuve aurait été plus palpitante si le temps imparti, déjà raboté de deux secondes, avait davantage encore été resserré. Le spectacle au barrage n’en a été que plus époustouflant. Des quatre Français au départ, deux se sont qualifiés pour cette finale au chronomètre. Ce ne fut pas le cas de Julien Épaillard, battu sur le 13a et l’oxer 14 avec Caracole de la Roque, qu’il a peut-être montée pour la dernière fois aujourd’hui, même si la championne de Michel Hécart n’est toujours pas formellement vendue. Ni de Mégane Moissonnier et Cordial, un temps promis à une revente, qui ont failli sur le 6a, puis les oxers 12 et 14.
Ayant ouvert le barrage, le Britannique Ben Maher, champion olympique en titre, a péché sur l’oxer 8, troisième effort mais première vraie difficulté du parcours réduit, à franchir après un virage à 270° à gauche. Douzième, il a toutefois dû repartir satisfait de Dallas Vegas Batilly, l’ancienne jument de Nicolas Delmotte, qui a produit deux très bons tours dans cette épreuve de référence. En lice pour une timbale de 500.000 euros, Daniel Deusser, vainqueur cette année à Bois-le-Duc et Calgary, a lancé tambour battant son petit et agile Scuderia 1918 Tobago. L’Allemand a laissé une belle impression, mais… pas moins de cinq concurrents ont surpassé sa performance. Adieu, bonus! Son compatriote André Thieme et le Danois Andreas Schou ont bouclé de très bons sans-faute, mais se sont montrés moins rapides, terminant neuf et huitième sur Chakaria, championne d’Europe en titre, et l’excellent Darc de Lux.
Brillants, vaillants et surmotivés, Simon Delestre et le mordant Cayman Jolly Jumper ont été les premiers à envoyer l’homme à battre dans les cordes, signant leur huitième sans-faute consécutif – le cinquième à Genève. Le couple révélation de l’année 2022 a fini cinquième après s’être classé deuxième du Top Ten vendredi soir. Chapeau bas, Messieurs! Dans la foulée, Gilles Thomas, jeune homme apparemment insensible à la pression, a fait encore mieux avec Calleryama, créditée d’un franchissement spectaculaire du 8, pour finir à une superbe quatrième place.
Kevin Staut n’a pas pu faire aussi bien. Associé à Scuderia 1918 Viking d’la Rousserie, le Normand a pris tous les risques, ce qu’il a payé de deux fautes, sur le 8 et le 6a, terminant treizième. On ne lui reprochera pas d’avoir tout tenté – c’est le jeu. Armé d’un cheval bien plus massif, Dominator 2000 Z, Christian Ahlmann a joué sa partition, suivant un tracé au cordeau, mais n’a pu sauver quatre points sur le vertical 16, avant-dernier obstacle, terminant onzième. On n’attendait peut-être pas Shane Sweetnam à un tel niveau avec James Kann Cruz, âgé seulement de neuf ans, malgré leur victoire dans un Grand Prix CSI 5* à Traverse et leur double sans-faute dans la Coupe des nations Longines de Rotterdam. Pourtant, et en dépit de cassures rythmiques à l’abord du 8 et double, l’Irlandais s’est montré encore plus rapide, ce qui lui a offert la troisième place.
Dans la dernière ligne droite de cet exercice haletant, Elian Baumann a embrasé Palexpo grâce à un sans-faute plein de cran et de panache sur Little Lumpi E, onze ans, qui disputait là son tout premier Grand Prix CSI 5*. Treizième au CSI 4* de Rouen il y a deux semaines, la paire s’est ici classée septième. Hop Suisse encore, puisque Martin Fuchs, double tenant du titre, lui a succédé dans l’arène. Une troisième prestation cet après-midi pour le Zurichois qui, avant son premier sans-faute, avait hissé à un niveau inégalé les standards des cérémonies d’adieu aux cracks qui font l’histoire du sport. En effet, en lever de rideau, le public avait couvert d’applaudissements et de tendresse le génial Clooney 51, champion d’Europe et vice-champion du monde, revenu de l’enfer avant de pouvoir profiter d’une retraite bien méritée dans les prairies de l’élevage du Thot, en Normandie. Sur son autre gris, le puissant et véloce Leone Jei, l’ancien numéro un mondial a alors avalé le parcours en quelques bouchées, arrêtant le chronomètre dans un temps que le public pensait imbattable. Du délire et de l’émotion comme s’il en neigeait, mais… c’était mal connaître l’animal à sang-froid qu’est McLain Ward. Comme si sa vie en dépendait, l’Américain a visé la lune et Azur a atterri dans les étoiles. Ainsi, l’impossible, un écart de plus d’une seconde, est-il devenu une éclatante réalité.
Le flegme du héros du jour a laissé place à une avalanche d’émotions et de larmes, que les presque 10.000 spectateurs ont accompagnées jusqu’à la fin de la remise des prix. Difficile d’imaginer plus intense conclusion pour une édition 2022 de tous les records. Genève, ce CHI classique où rien ne change, mais où tout évolue perpétuellement dans le bon sens, sera toujours Genève. Et c’est ainsi qu’on l’aime.