Une nouvelle application pour évaluer le bien-être de son cheval

Alice Ruet, éthologiste et ingénieure de recherche et développement « Bien-être des équidés » à l’Institut français du cheval et de l’équitation, et Christine Briant, docteur vétérinaire, se sont associées pour répondre à l’unisson aux questions de GRANDPRIX sur la genèse, le fonctionnement et l’ambition du protocole (2020) et de l’application (2022) Cheval Bien-Être, mis en place par l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et l’université de Milan.



Quelle est votre définition du bien-être équin ?

Depuis les premières études effectuées sur le sujet du bien-être animal dans les années 1970-1980, de nombreuses définitions ont été proposées par la communauté scientifique. Au fur et à mesure de l’acquisition de nouvelles connaissances, ces définitions se sont enrichies. Ainsi, les premières d’entre elles décrivaient le bien-être comme l’état de l’animal tentant de faire face à son environnement et donc aux conditions difficiles.

L’expérience animale était ainsi décrite par la négative. Grâce à l’évolution des connaissances, il est maintenant reconnu que le bien-être peut être décrit en termes positifs. Aujourd’hui, l’une des principales définitions qui fait consensus est celle publiée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en 2018, qui indique que: «Le bien-être animal (BEA) est l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal. » Cette définition concerne tous les animaux sensibles, quels que soient l’espèce, la race, le stade de développement, le degré de domestication et le contexte de vie.

Depuis janvier 2022, l’application Cheval Bien-Être est disponible sur mobile. En quoi cette application peut-elle aider au bien-être du cheval?

L’objectif de cette application est de mettre à disposition de tous, professionnels comme particuliers, un outil d’évaluation du bien-être des chevaux qui se base sur un ensemble de mesures issues de la littérature scientifique. Comme le bien-être concerne à la fois la santé physique et mentale des équidés, l’application est basée sur l’observation d’indicateurs sur les chevaux et leur environnement, qui se rapportent à quatre grands principes: une alimentation adaptée (quantités journalières de fourrage, etc.), un hébergement approprié (durée de l’exercice libre quotidien, etc.), une bonne santé (absence de blessure, etc.) et la possibilité d’exprimer les comportements de l’espèce (type de relations sociales, etc.). Dans un premier temps, l’application peut permettre de sensibiliser les détenteurs sur certains problèmes mal connus, comme les comportements révélateurs de mal-être. Une fois pris en main par l’utilisateur, c’est également un outil permettant d’évaluer l’état de bien-être des chevaux d’une écurie sur des bases scientifiques et de façon neutre. Les résultats sont donnés en pourcentages de chevaux satisfaisants pour chaque indicateur, mettant ainsi en évidence les indicateurs améliorables.

Quels premiers retours avez-vous eu sur cette application? 

À ce jour, l’application compte plus de deux mille utilisateurs. À l’issue de l’évaluation qu’ils effectuent, ces derniers ont le choix d’envoyer ou non leurs résultats sur une plateforme sécurisée de l’IFCE, de manière anonyme. Près de trois cents évaluations nous ont été transmises et permettront de réaliser des analyses statistiques. Par exemple, faire une analyse des résultats en fonction de l’âge des chevaux, ou par discipline, type d’hébergement, type d’alimentation...

Cette application a été créée à partir du protocole Cheval Bien-Être mis en place par l’IFCE, l’INRAE et l’université de Milan. 
Comment est né ce projet de protocole?

Dans la littérature scientifique, des protocoles d’évaluation du bien-être ont été créés pour les équidés. Cependant, il s’agit de protocoles en anglais, plus ou moins faciles d’utilisation. L’objectif était d’en proposer un sous forme d’une application en français, facile à utiliser sur le terrain par les professionnels comme les particuliers. Nous nous sommes basés sur le protocole AWIN Horse (Animal Welfare Indicators = indicateurs relatifs au bien-être animal), qui avait été publié en anglais par l’université de Milan. Les protocoles AWIN avaient été élaborés dans le cadre d’un projet européen destiné à produire des protocoles d’évaluation facilement réalisables sur le terrain pour les équidés, les petits ruminants et les dindons. Ce protocole AWIN Horse avait été lui-même décliné à partir de l’un des plus vastes projets européens, mis en place dans les années 2000, le Welfare Quality® (qualité du bien-être), protocole d’évaluation plus complexe concernant les bovins, les porcs à l’engrais et les poulets de chair. Le protocole Cheval Bien-Être est ainsi issu du protocole AWIN Horse que nous avons enrichi des connaissances scientifiques les plus récentes, celles-ci évoluant très rapidement. Par exemple, ces dernières années, de nouveaux indicateurs de mal-être ont été identifiés et caractérisés, et ont donc été inclus dans le protocole Cheval Bien-Être. On peut citer les indicateurs d’état émotionnel négatifs comme les stéréotypies, l’indifférence envers l’environnement, l’hypervigilance, l’agressivité envers l’homme et la position des oreilles en arrière quand le cheval mange du fourrage.

Comment est né ce partenariat entre IFCE, INRAE et université de Milan? 

Le protocole Cheval Bien-Être étant basé sur le protocole AWIN horse, il était nécessaire d’intégrer l’université de Milan à nos réflexions d’évolution et à ses tests sur le terrain. La collaboration entre l’INRAE et l’IFCE est permise grâce à l’accueil d’ingénieurs en recherche et développement de l’IFCE dans des unités de recherche de l’INRAE, en l’occurrence l’équipe « Cognition, éthologie, bien-être animal » de l’unité « Physiologie de la reproduction et des comportements » de l’INRAE de Nouzilly, qui possède une importante unité expérimentale équine. De nombreuses personnes ont contribué de près ou de loin à ce travail sur plusieurs années : les chercheurs, ingénieurs et étudiants ayant réalisé les mesures dans des conditions expérimentales puis au sein de structures équestres, l’équipe des installations expérimentales équines de l’INRAE de Nouzilly, les professionnels ayant mis a` disposition leurs installations et les informaticiens ayant réalisé le développement de l’application.

À partir de quelles études avez-vous écrit ce protocole?

 
L’objectif était de disposer d’un protocole donnant des mesures fiables (représentant la réalité physiologique), reproductibles intra- et inter-observateurs, et faisables sur le terrain. Nous avons tout d’abord mené des études expérimentales avec les poneys de l’INRAE de Nouzilly afin de valider les nouveaux indicateurs que nous souhaitions introduire, notamment pour évaluer l’état émotionnel des animaux. Ainsi, en parallèle de l’observation des indicateurs du protocole, nous avons réalisé des mesures plus fines grâce à des évaluations de budget temps, des prélèvements sanguins (formules sanguines et dosage de cortisol), des enregistrements vidéo et des tests d’émotivité. Nous avons ensuite testé le nouveau protocole dans différents types de structures équestres, celui-ci devant s’adapter à toutes les situations et disciplines. Au total, près de neuf cents chevaux ont été testés dans différents types de structures équestres.

Comment en êtes-vous arrivés à la mise en place des douze critères du protocole ?

La structure de base du protocole Cheval Bien-Être est la même que celle du protocole de référence, le Welfare Quality®, et conduit à évaluer le bien-être animal selon quatre grands principes directeurs que sont une alimentation adaptée, un hébergement approprié, une bonne santé et une possibilité d’exprimer les comportements naturels de l’espèce, eux-mêmes déclinés en douze critères, applicables à toutes les espèces animales. Par exemple, le principe de l’hébergement approprié regroupe le confort pour le repos, le confort thermique et la possibilité de se déplacer. Ces douze critères sont ensuite évalués grâce à des indicateurs propres aux chevaux, que nous avons validés. Par exemple, pour le confort thermique, les indicateurs correspondants sont les signes de stress thermique au chaud ou au froid.

Avez-vous rencontré d’autres professionnels de la filière, comme des éthologues, cavaliers ou propriétaires ?

Le protocole a été présenté dans les différents types de structures équestres ayant participé aux tests afin de recueillir l’avis des utilisateurs et d’adapter le protocole dans ce sens : élevages, centres équestres, écuries de propriétaires, structures d’enseignement, centres de formation, écuries expérimentales, parcours, centres d’entraînement de chevaux de course. Le protocole et l’application ont ensuite été largement présentés aux différents secteurs de la filière afin qu’ils l’intègrent aux outils qu’ils diffusent ou l’utilisent en interne.

Ce protocole vise à prendre le pouls des conditions de vie des chevaux dans un but d’améliorer leur bien-être. Selon vous, ne serait-il pas plus sincère que des personnes extérieures aux structures et /ou lieux de détention remplissent objectivement le document ? Un peu comme des inspecteurs de l’hygiène visitent des restaurants afin de s’assurer de leur bonne hygiène pour les consommateurs...

Ce protocole a été conçu dans un but d’autodiagnostic, non seulement pour sensibiliser toutes les personnes intéressées par le bien-être animal, mais également pour leur fournir un outil leur permettant d’évaluer le bien-être des animaux de la manière la plus objective possible. Tout au long de l’application, des informations sont prévues pour l’utilisateur afin de faciliter la compréhension et optimiser la prise de mesures. Néanmoins, il est conseillé de prendre le temps de consulter le protocole dans sa version papier (téléchargeable à partir de l’application), qui contient de nombreuses informations, ainsi que de se documenter pour avoir un maximum de connaissances possibles sur le sujet. Attention: ce protocole ne se substitue pas aux contrôles de protection animale effectués par les inspecteurs de la Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) sur la base des textes législatifs et réglementaires du Code rural, qui sont destinés à éviter et verbaliser les maltraitances. Il peut cependant permettre à l’utilisateur d’adapter ses pratiques afin de se mettre en conformité par rapport à un éventuel contrôle des services de l’État.

 

"Cette application permet d'évaluer le bien-être des animaux de la manière la plus objective possible"