De la saillie au poulinage, la reproduction ne s'improvise pas

L’insémination artificielle s’est démocratisée en France et est mise à profit aussi bien par les professionnels que par les particuliers. Si les termes liés à la reproduction sont familiers à beaucoup d’équitants, l’élevage reste un univers complexe. Les différentes formes d’insémination, qui requièrent hautes compétences et infrastructures adaptées, doivent ainsi être bien appréhendées et maîtrisées pour offrir la chance d’accueillir un poulain.



Le prélèvement chez l'étalon: conditions et déroulement

Créer la vie: le sujet est complexe et passionnant ! Selon l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), un peu moins de cinquante mille naissances ont été recensées en 2020. Les élevages d’envergure sont rares et plus de la majorité des éleveurs (76%) comptent seulement une à deux juments. L’insémination artificielle, sous toutes ses formes, est la première technique de reproduction utilisée en France, suivie de la monte en main. Comment cette technique de fécondation est-elle mise en place? De quelles manières sont gérés l’étalon et la jument? Quel est le rôle des haras et des stations de monte? Voyage entre récolte des gamètes et mise au monde du poulain. 

Un étalon reproducteur fait généralement la monte de trois à vingt, voire vingt-cinq ans. « Les qualités pour reproduire restent très variables d’un individu à l’autre et sont forte- ment corrélées à la forme physique de l’animal. Certains étalons gardent une excellente condition physique jusqu’à un âge avancé et peuvent dès lors saillir jusqu’à vingt ans passés. Néanmoins, les chevaux reproducteurs au-delà de vingt-cinq ans existent mais restent des exceptions », détaille Brice Elvezi, directeur du collectif Groupe France Élevage (GFE), fondé en 2002 et établi à Falaise, dans le Calvados. Avant de saillir pour les marchés nationaux et européens, un étalon est testé pour certaines maladies sexuellement transmissibles telles que l’anémie infectieuse, l’artérite virale et la métrite contagieuse équine. Il doit également être à jour de ses vaccins contre la grippe équine et la rhinopneumonie. «Naturellement, chaque prélèvement est analysé avant mise à disposition pour en qualifier la semence et vérifier la concentration et le pourcentage de spermatozoïdes mobiles. » 

 La saison de monte d’un étalon se calque généralement sur la saison de fertilité des juments. «Les saisons de monte se sont allongées depuis quelques années et s’étalent désormais de début mars à fin août, voire débutent fin février si la jument est mise sous lumière», poursuit le directeur du GFE. «En monte artificielle et en France, un étalon est prélevé trois fois par semaine. En Belgique ou aux Pays-Bas, les prélèvements montent généralement à quatre voire cinq fois par semaine. La fréquence de récolte est propre à chaque organisme étalonnier mais il faut garder en mémoire qu’une haute fréquence joue souvent sur le volume récolté. Un étalon a néanmoins besoin d’un rythme de reproduction pour pouvoir être au maximum de sa fertilité. On note d’ailleurs souvent qu’un étalon ayant longtemps été mis à l’arrêt aura une production de faible qualité lors de ses toutes premières récoltes. » Les étalons stationnés au haras de prélèvement peuvent être montés par le ou les cavaliers de la station si besoin et bénéficient dans tous les cas d’accès à des paddocks ou des prairies. « Séparer ou mixer les saisons sportives et de reproduction d’un étalon fait encore l’objet de débats. Pour notre collectif d’éleveurs, Groupe France Élevage, nous préférons que ces deux périodes soient séparées. Ainsi, l’étalon peut se concentrer davantage sur sa saison sportive, par exemple, et ensuite se consacrer pleinement à la reproduction. Ce genre d’organisation permet également d’éviter les allers-retours entre sa pension et le haras, et libère son emploi du temps de concours. » 

Enfin, comment se déroule concrètement le prélèvement? Après avoir été musculairement échauffé, l’étalon est conduit à une salle de monte pour y rejoindre un mannequin reproduisant grossièrement la croupe et le dos d’une jument. Stimulé par la présence d’une jument en chaleur maintenue à l’écart, l’étalon va monter le mannequin et éjaculer dans le vagin artificiel enfilé à ce moment-là sur sa verge. «Le rôle de l’étalonnier – qui conduit l’étalon et le guide sur le mannequin – est très important car c’est lui qui va gérer l’excitation de l’animal. C’est également lui qui procède à l’apprentissage du mannequin par l’étalon, qui n’est pas toujours évident pour certains. L’étalonnier est très attentif à l’étalon et peut ainsi rapidement noter les préférences et habitudes de chacun: certains préfèrent être récoltés le matin, d’autres apprécieront un certain type de vagin artificiel avec telle température intérieure, d’autres encore préféreront d’être toujours accompagnés par la même personne à leurs côtés, certains réclament la présence d’une jument quand d’autres s’en passent très bien, etc. » Le mannequin utilisé est souvent monté sur vérins hydrauliques pour mieux absorber le poids et le choc de la poussée, et ainsi préserver l’étalon tout en mimant mieux le comportement d’une jument. Des tapis molletonnés entourent également le mannequin pour absorber le choc du retour au sol. En général, deux personnes sont présentes lors d’un prélèvement : celle qui amène l’étalon et celle qui tient le vagin artificiel. Parfois, deux autres personnes sont nécessaires pour encadrer physiquement l’étalon lors de la saillie. 

« La réussite d’un bon prélèvement repose ainsi sur plusieurs facteurs : l’état de forme de l’étalon et sa fréquence de monte, le savoir- faire des personnes qui récoltent et vont établir des codes avec l’étalon pour créer une relation de confiance ou encore son alimentation et compléments alimentaires », conclut Brice Elvezi, directeur du GFE. «Il y a ensuite un grand travail de conditionnement de la semence. N’est pas centre d’insémination artificielle qui veut car cela reste une techno- logie de pointe afin d’obtenir le meilleur résultat final ! » 



Le traitement de la semence, concentration et dilution

Une semence récoltée dans un vagin artificiel est filtrée, diluée et conditionnée en doses contenant un certain nombre de spermatozoïdes. « Fabriquer des doses de semence fraîche, réfrigérée et congelée est notre cœur de métier», formule Marc Spalart, directeur du centre de prélèvement et d’insémination Equitechnic, parmi les leaders du marché et installé à Notre-Dame-d’Estrées- Corbon, dans le Calvados. «Il y a un conditionnement différent pour chaque méthode d’insémination, notamment les dilueurs utilisés. L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) a élaboré des formules de dilueurs depuis plusieurs années mais il est fréquent que chaque centre d’insémination mette au point ses propres dilueurs, que ce soit en composition ou en dosage. » La congélation de semence apporte une amplitude chronologique quasi illimitée, mais nécessite également une attention accrue. « Nous prélevons l’étalon trois fois par semaine (le lundi, le mercredi et le vendredi), puis nous décongelons chaque mardi deux paillettes de chaque éjaculat pour en évaluer la qualité. Si la motilité est supérieure à 35% de spermatozoïdes mobiles, les doses sont conservées et mises à disposition du propriétaire de l’étalon pour expédition. Si elle est inférieure à 35%, les paillettes sont détruites et la semence est testée dans d’autres dilueurs de congélation afin de déterminer le cryoprotecteur (se dit d’une substance protégeant les cellules vivantes contre les très basses températures utilisées pour leur conservation, ndlr) le mieux adapté à chaque étalon.» Il en est de même pour la production de doses réfrigérées. «La semence est testée à vingt-quatre et quarante-huit heures après différents traitements et dans plusieurs dilueurs de conservation afin de choisir la meilleure façon de la réfrigérer et de la transporter. » 

Le taux de fertilité par cycle dépend de la méthode d’insémination. L’IFCE avance ainsi les taux suivants : entre 60 % et 70 % pour la monte en liberté, 61% pour la monte en main, 58 % pour l’insémination artificielle immédiate en sperme frais (IAI), 54 % pour l’insémination artificielle réfri- gérée transportée (IART) en douze heures (qui tombe à 46% si c’est en vingt-quatre heures) et, enfin, 47 % pour l’insémination artificielle congelée (IAC). « Ces chiffres sont plutôt optimistes et correspondent à de bons reproducteurs », commente le directeur d’Equitechnic. « L’offre est plus grande depuis quelques années, mais je note également que la fertilité est en baisse, spermogramme à l’appui. Nous n’en connaissons pas encore la cause : arrivée de génétique étrangère, inter- férences médicamenteuses, éventuelles pré- sences de pesticides dans la paille... Les étalons subfertiles sont néanmoins bien présents sur le marché car ils réussissent malgré tout à produire en étant secondés par des vétérinaires et des inséminateurs équins toujours plus pointus.» 

 



Le concours du haras lors de l'insémination artificielle et du poulinage

« Une grande majorité de mes clients sont des éleveurs amateurs qui possèdent généralement une jument primipare et souhaitent dès lors quelques conseils pour sa reproduction », informe Claire Bresson, fondatrice du haras de Gravelotte, sis à Varennes-Jarcy, en Essonne, à une trentaine de kilomètres au sud de Paris. «Je commence par leur demander s’ils ont choisi un étalon – si non, je peux proposer des conseils de croisements –, les questionner sur leur contrat de saillie (en frais, congelé, réfrigéré) et s’il correspond aux besoins de la jument. Pour une primipare, on ne connaît généralement pas la régularité de son cycle de chaleurs, le vétérinaire préfèrant dès lors faire venir la jument dès le 1er mars de l’année de reproduction pour effectuer un bilan gynécologique – c’est-à-dire vérifier l’intégrité des différentes structures reproductrices et le bon fonctionnement ovarien – ainsi qu’un test de métrite contagieuse si besoin (maladie bactérienne contagieuse amenant à une infertilité temporaire, ndlr).» Si la jument est diagnostiquée en chaleur dès cet instant, elle est inséminée. Dans le cas contraire et selon la météo, on reporte souvent d’un mois. «En avril, si la jument n’est pas régulièrement en chaleur, le propriétaire peut soit faire des allers-retours entre sa pension et le haras qui va inséminer la jument, soit laisser l’animal en pension au haras plusieurs jours (généralement moins coûteux et permettant une gestion plus facile du suivi gynécologique, ndlr).» 

La jument inséminée durant sa période d’ovulation peut rapidement réintégrer sa pension mais devra revenir au haras quatorze à quinze jours après pour vérifier si la gestation est bien en cours et s’il s’agit ou non d’une grossesse gémellaire. «Si la jument n’a pas fécondé après le quatorze ou le quinzième jour, nous la réinséminons tout de suite», poursuit Claire Bresson. «Si elle est pleine, la jument peut retourner chez son propriétaire ou rester en pension dans le haras. Ensuite, les échographies de contrôle sont réalisées à un mois et deux mois de gestation et dans le cas d’une éventuelle suspicion d’avortement. Pour toutes les juments, primipares ou non, au passé reproductif normal ou houleux, le cabinet vétérinaire propose une offre de pack d’échographies pour ne pas stresser financièrement le propriétaire.» 

À l’approche de la date du poulinage, le propriétaire a le choix de garder la jument chez lui ou de la confier à un haras. «Si le propriétaire veut confier sa jument, il est préférable d’arriver au moins dix jours avant la date du terme, pour que cette dernière puisse prendre ses marques. Certains propriétaires sont inquiets et préfèrent agrandir cette période et, par exemple, laisser la jument au haras durant ses derniers trois mois de gestation», conclut Claire Bresson. Si, dans la majorité des cas, un poulinage se déroule bien, il existe malheureusement un grand nombre de complications possibles pour la jument et le poulain. Dans ces cas, chaque minute compte. «À moins d’être formé et d’avoir le secours d’un vétérinaire quasi immédiatement, il est préférable de confier sa poulinière à un professionnel de l’élevage qui testera notamment le colostrum et qui en possédera en réserve au cas où il faudrait en administrer au poulain. Il aura aussi assez de connaissances pour prendre à temps les différents dysfonctionnements que l’on rencontre régulièrement dans les premières quarante-huit heures de vie du nouveau-né.» 



Quelles structures et équipements nécessaires pour un élevage ?

Comme toute écurie, un centre d’élevage nécessite un minimum d’infrastructures. À raison, on pense généralement d’emblée à la présence d’un box de poulinage. «Le box de poulinage doit offrir une grande superficie, avec de préférence des parois lisses facilement désinfectables. Pour notre part, nos boxes me- surent au moins 4 x 6 m et sont paillés car les copeaux de bois ou le lin ont tendance à trop coller à un poulain mouillé, ce qui est moins agréable. Une bonne superficie est vraiment nécessaire dès le poulinage pour que la ju- 

ment ait la place de se coucher suffisamment loin d’une paroi afin d’éviter de gêner la sor- tie du poulain », introduit Anne-Sophie Le- vallois, co-gérante du haras de Semilly, sis à Couvains, à dix kilomètres de Saint-Lô, gèrant jusqu’à sept cents juments insémi- nées et quatre-vingts naissances par an. «Nos boxes sont surveillés par une caméra, ce qui nous permet de vérifier le comporte- ment de la jument sans se déplacer ni la per- turber. Nous n’avons personnellement pas opté pour des parois en caoutchouc car nous sommes présents à chaque poulinage et res- tons pour surveiller le poulain jusqu’à ce qu’il se lève et ait trouvé son équilibre.» Un haras devra également investir dans une barre d’échographie / insémination qui servira à toute opération gynécologique. Pour les haras aux gros effectifs ou pour accompa- gner des juments grégaires, il est possible de placer plusieurs barres côte à côte. Il fau- dra également penser au positionnement du poulain et à sa détention lorsque sa mère sera examinée. Les barres sont gé- néralement accompagnées de protection en caoutchouc au sol pour éviter toute glissade. 

 Le box est-il nécessaire ou est-il envisa- geable de laisser la poulinière en troupeau jusqu’à la naissance de son poulain ? « Nos poulinières vivent au pré à la belle saison mais sont rentrées dans des boxes individuels lors de la saison hivernale car le climat de notre région ne permet pas de les laisser de- hors toute l’année, et le risque d’un coup de sabot dans le ventre est trop important quand il y a plusieurs juments dans une grande sta- bulation », poursuit Anne-Sophie Levallois. «Nos juments sont sorties dans une grande carrière quand elles se connaissent bien et sont calmes, sinon en paddock individuel. Lorsque la date du terme approche ou qu’elles commencent à se préparer (mamelles qui gonflent, vulve se relâchant, gouttes de cire au bout des trayons, etc.), nous les passons en box de poulinage sous caméra avec un sys- tème de détection des poulinages car la plu- part des juments poulinent la nuit et au calme. » 

Les ceintures de poulinage complètent effectivement la surveillance en avertissant l’éleveur d’un décubitus latéral de plusieurs secondes, souvent signe d’une naissance imminente. Il existe également des électro- aimants émetteurs qui se cousent – sous anesthésie locale – sur la vulve et qui aver- tissent en cas d’écartement des lèvres de cette dernière. « Il n’y a pas de système idéal. Les ceintures de poulinage sont pratiques et faciles à mettre mais peuvent déclencher de fausses alarmes si la jument a tendance à se coucher et à somnoler. Le fait de s’étaler et de se redresser est comparable aux coliques précédant le poulinage et déclenche de fait l’alarme pour rien. Cela arrive un peu moins avec la nouvelle alarme qui se scotche à la queue des juments. Ce système est également facile à poser mais nécessite d’avoir un bon réseau internet. De plus, certaines juments peuvent arracher le système en se grattant la queue. Les aimants, quant à eux, demandent une petite intervention. Ils sont donc plus compliqués à installer. Il faut aussi éviter de les poser trop en avance car ils se salissent. Il peut également arriver qu’ils s’ouvrent et déclenchent l’alarme pour rien si la jument a une vulve assez ressortie et qu’elle a tendance à se gratter la queue. Quoi qu’il en soit, il se- ra toujours préférable d’être prévenu – même s’il s’agit d’une fausse alarme – car la nais- sance est un moment critique et il est très important d’être présent, quoi qu’il en coûte. Le poulain peut, par exemple, rester dans la poche placentaire et mourir étouffé si nous ne sommes pas là pour le libérer. Il peut aussi être mal positionné et présenter des difficultés à sortir, ce qui peut lui être fatal et, dans cer- tains cas, également fâcheux pour la jument. Même pour une jument ayant toujours pou- liné sans problème, nous ne sommes jamais à l’abri de petits ou gros incidents qui requiè- rent une intervention humaine pouvant, ef- fectuée à temps, sauver la vie du poulain et de la jument. Il en est de même après le pou- linage. Il faut désinfecter le nombril du pou- lain au plus vite, enlever le méconium pour éviter bouchon et colique, s’assurer de la bonne qualité du colostrum de la jument à l’aide d’un colotest afin de transmettre suffi- samment d’immunité à son poulain et, éga- lement, que celui-ci le tète le plus rapidement possible (en tout cas dans les six heures sui- vant sa naissance), etc. » 

 La jument et le poulain peuvent sortir du box vingt-quatre à quarante-huit heures après la naissance selon l’état physique des deux et des conditions climatiques. À ce titre, il est important d’avoir des clôtures adaptées au nouveau-né. « Pour la première 

sortie, nous utilisons un petit paddock cerné de clôtures en bois avec trois hauteurs de lices. De plus, cette clôture est électrifiée pour que la mère éduque son petit à la suivre et à respecter les clôtures. Par la suite, lors des sor- ties au pré, il n’y aura plus de problème pour le respect des clôtures électriques au pied des haies bocagères, formant une barrière natu- relle dans la plupart de nos prairies. Les lices en bois complètent le reste de nos prés», conclut la gérante du haras de Semilly.