André Le Goupil, le dernier des pionniers, a rejoint les panthéon des grands hommes de cheval

Le patriarche de la famille Le Goupil, André, s’est éteint hier matin à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Natif de la petite commune de Martinvast, rendue célèbre dans les années 1990 et 2000 grâce au Grand Complet qu’il cofonda avec ses fils et ses amis, ce cavalier émérite vécut les grandes heures de l’équipe de France de concours complet, avant de transmettre son savoir aux élèves de ses écuries. Marié à Bernadette, qui fut sa groom, sa secrétaire, son binôme indéfectible durant plus de soixante ans, il a durablement marqué l’histoire des sports équestres et de la Normandie.



Des remises de prix, André Le Goupil en vécut un nombre incalculable, en complet, mais aussi en saut d’obstacles.

Des remises de prix, André Le Goupil en vécut un nombre incalculable, en complet, mais aussi en saut d’obstacles.

© Collection privée

La nouvelle est tombée hier à mi-journée. André Le Goupil, quatre-vingt-douze ans depuis le 7 janvier dernier, a définitivement raccroché ses éperons. Hospitalisé depuis quelques jours, comme l’avait indiqué son fils André-Jacques, présent en coulisses au Jumping international de Bordeaux, dont il fut l’un des speakers emblématiques, il a attendu l’ouverture de l’événement phare de la filière équine régionale, le Salon des étalons de Saint-Lô, pour rejoindre ses chevaux olympiques au Panthéon de l’équitation.

“Les chevaux entrèrent dans notre famille par notre arrière-grand-père”, explique Jean. “Médecin à Caen, il attrapa la tuberculose et dut s’exiler à la campagne. C’est ainsi qu’il se lança dans les chevaux. Notre grand-mère, sa fille, montait en amazone chaque matin.” Né dans une famille d’agriculteurs, André suit les traces paternelles en intégrant une école d’agriculture avant de reprendre la ferme familiale située à Martinvast, aux portes de Cherbourg, dans la Manche, en 1959, année de son mariage avec Bernadette. “Ils se sont rencontrés grâce à un cousin. Elle est tout de suite tombée amoureuse de ses yeux bleus et des chevaux”, dit André-Jacques.

Très tôt, André s’initie à l’équitation, une évidence sur ce territoire historiquement lié au cheval. Il participe à la création de l’Étrier cherbourgeois, l’un des premiers centres équestres privés. Il ne tarde pas à briller en compétition, en concours complet. Vice-champion de France en 1960 après avoir disputé l’équivalent de sa première Pro Élite, il remporte le titre l’année suivante, le jour de la naissance de son fils aîné, Jean, associé à Jacasse B (Séraphin, Ps). Le couple participe aux championnats d’Europe en 1962, se classant sixième en individuel malgré un refus sur le gué(!). Sélectionnés comme remplaçants en équipe de France pour les Jeux olympiques de Tokyo 1964, ils accompagnent les Bleus. “En allant courir en Angleterre, papa s’était aperçu que les cavaliers faisaient souvent appel à leurs femmes comme groom. En rentrant, il s’est rendu à l’évidence: il ne pourrait pas s’offrir les services d’un employé pour aller à Tokyo. Il a appelé maman et lui a appris à pionter”, raconte André-Jacques. “Maman fut la première femme française groom aux JO”, témoignent de concert Jean et André-Jacques. “Elle s’est retrouvée au premier rang de la délégation française, vingt mètres devant son mari!” 

Malheureusement, après une préparation difficile, Jacasse B se blesse et contraint le Normand à observer ses partenaires depuis le banc. La consécration vient quatre ans plus tard, à Mexico.Cette fois associé à Olivette B (Flamingo, Ps), il termine onzième et quatrième par équipes, tandis que Jean-Jacques Guyon décroche la médaille d'or individuelle. “Toute l’équipe avait suivi un stage à Font-Romeu afin de s’acclimater à l’altitude de Mexico”, raconte Jean Le Goupil. “Les chevaux sont repassés par Orly et ont finalement perdu la condition acquise pendant le stage.” Désignée ouvreuse, l’équipe de France de Jack Le Goff choisit d’envoyer André en éclaireur. Il s’élance alors sur le cross sous le regard du Prince Philippe... qui survolait le parcours en hélicoptère pour savoir comment il s’en sortait. Un cross olympique d’anthologie marqué par un orage apocalyptique qui rend le parcours impraticable et où beaucoup de couples s’arrêtent sur le gué, voire manquent de s’y noyer, notamment Marcel Rozier, en tentant de secourir un autre cavalier!



Incassable

Quelques années plus tard, en 1974, André Le Goupil concourt à Badminton puis se classe troisième du championnat de France, avant de gagner à Pompadour avec Arthémise (SF, Pont Levis, Ps). Fatiguée après une saison bien remplie, elle est malheureusement éliminée sur le gué des championnats du monde, à Burghley. “Les médias ont beaucoup critiqué papa après ce résultat en omettant de dire qu’il était parti après des jours de trombes d’eau et qu’Arthémise, même avec des crampons, c’était Bambi sur la glace. Les organisateurs ont attendu qu’elle passe pour interrompre le cross et le sabler. Ils s’étaient même excusés après la compétition”, se souvient Jean. En guise de réponse, le Manchois termine deuxième et troisième de sa dernière épreuve de la saison. “La particularité d’André était que tous ses chevaux concouraient aussi en saut d’obstacles. Arthémise fut quatrième du Critérium des six ans, Olivette B remporta la Puissance de Sainte-Mère-Église en franchissant deux mètres, sans oublier Divette, Cosinus... Tous ont tous évolué jusqu’à 1,50m.”

L’autre cheval marquant de la carrière d’André Le Goupil fut Mariachi (SF, Cuba), un fils de la fameuse Olivette B, qui lui offre son second titre de champion de France en 1986. Pour la petite histoire, Mariachi a permis à son fils Pierre, futur chef de piste des championnats d’Europe de 2023 au Pin-au-Haras et des JO de Paris 2024, d’être désigné remplaçant aux JO de Barcelone 1992, avant de terminer quatrième à Burghley. L’infatigable André termine sa carrière en 1989. “C’était à Étretat, où le cross était construit par Guy Otheguy”, se souvient André-Jacques. “Le terrain était très vallonné, avec une grande descente après le gué. En bas, les cavaliers passaient du grand soleil au noir du sous-bois où se trouvait un saut de puce sur un mur en pierres. Pierre était près de la combinaison, et moi j’attendais à l’arrivée avec mon saut et mon éponge. Le speaker, Renaud Lalou, a écouté son talkie et m’a dit: ‘combinaison saut de puce’.” En réalité, après un premier refus, André venait de panacher et de se briser le bassin.



Le chaudron de Martinvast

Sa retraite sportive lui permet de se consacrer à ses élèves du centre équestre de Martinvast, la fameuse ferme de Carneville, et d’élever avec succès des chevaux plein de sang dont plusieurs ont connu une carrière internationale. En créant sur ses terres le Grand Complet avec l’aide de ses fils et de leurs amis rassemblés au sein de l’association Ustica, il attire dans ce Nord-Cotentin qu’il aimait tant tout ce que la planète complet comptait de stars: Blyth Tait, Mark Todd, Bettina et Andrew Hoy, Andrew Nicholson, Antikatzides, Peder Fredricson, mais aussi les Anglais, qui n’avaient qu’à sauter dans un ferry pour rejoindre Cherbourg, sans oublier les Français. Tous ont fait les belles heures de cet événement devenu mythique au point que les anciens se souviennent encore du chaudron de Martinvast. André ne manquait jamais une miette de ce grand rassemblement, lui qui n’aimait rien tant que partager ses anecdotes avec les cavaliers de tous pays.

Son regard bleu perçant, comme l’eau bordant la pointe de la Hague, était tantôt sévère quand un élève ne s’exécutait pas correctement, tantôt rieur lorsqu’il se rappelait ses aventures épiques. Il tenait à féliciter les vainqueurs de chaque épreuve et à partager ces instants d’émotion sportive. Avec Bernadette, sa chère épouse, il formait un duo exceptionnel. Deux êtres au caractère bien trempé mais ô combien attachants, qui ont vécu en totale osmose pour l’amour du cheval. Un amour qu’ils ont transmis à leurs quatre fils: Jean, Pierre, André-Jacques et Guillaume, et leurs quatre petites-filles, toutes cavalières: Zara, la fille aînée de Pierre et Yannick Le Goupil, cavalière de saut d’obstacles, mais aussi sa sœur Camille, et leurs cousines Theana et Anastasie. “Les derniers mots qu’il a eu pour elles”, se souvient Yannick avec émotion, “c’est ‘Tournez au plus court’ en mimant avec ses mains la meilleure trajectoire à prendre.” Et André-Jacques de se remémorer un coup de fil prémonitoire. “Quand Denis Brohier a perdu son papa, il m’a appelé pour me dire: “Bon ben… maintenant, le dernier dinosaure, c’est ton père”, se souvient-il. “Après Alexis Pignolet, Fernand Leredde, Alain Navet, à savoir les gars qui se retrouvaient le dimanche pour s’amuser à sauter des barres dans ce qu’on appelait les premières sociétés hippiques rurales, il ne restait plus que papa.”

Une cérémonie se tiendra en l’église de Martinvast à une date et un horaire qui seront précisés ultérieurement.

En ce moment difficile, GRANDPRIX exprime ses plus sincères pensées à la famille Le Goupil ainsi qu’à tous ceux qui ont connu et aimé ce grand homme de cheval.

André Le Goupil pose ici avec quatre membres de l’équipe de France sacrée championne olympique en 2004 à Athènes: Cédric Lyard, Nicolas Touzaint, Jean Teulère et Arnaud Boiteau.

André Le Goupil pose ici avec quatre membres de l’équipe de France sacrée championne olympique en 2004 à Athènes: Cédric Lyard, Nicolas Touzaint, Jean Teulère et Arnaud Boiteau.

© Xavier Boudon