“La prime SHF est un juste retour aux éleveurs qui va bénéficier à tous les acteurs de la filière”, Michel Guiot

La semaine dernière, la Société hippique française (SHF) a annoncé la mise en place d’une prime aux naisseurs, sujet de débats nourris au sein de la filière depuis la suppression de l’ancien dispositif chapeauté par l’État. S’ajoutant à la prime annuelle d’aptitude à la compétition équestre, destinée aux juments suitées, cette initiative, qui récompensera les éleveurs des meilleurs chevaux des Cycles classiques et libres des trois disciplines olympiques, sera dotée d’une enveloppe participative de quelque 360.000 euros. Cette avancée nationale a le mérite d’initier un mouvement que la SHF aimerait voir s’appliquer aux épreuves de la Fédération française d’équitation, puis, comme d’autres organisations à l’étranger, à celles, bien plus rémunératrices, de la Fédération équestre internationale. Un volontarisme pleinement assumé par Michel Guiot, président de la SHF, qui livre les tenants et aboutissants de cette mesure.



Quelle est la genèse de cette nouvelle prime aux naisseurs instaurée par la Société hippique française (SHF)?

C’est quelque chose que je défends depuis longtemps. J’ai connu l’ancienne prime aux naisseurs (versée par l’État, ndlr) quand j’étais un jeune éleveur, avant qu’elle ne soit arrêtée. J’ai toujours pensé que l’éleveur était le premier maillon de la chaîne que constitue notre filière du cheval de sport. Déjà à l’époque, je voyais certains de mes collègues vendre à prix coûtant, voire à perte, leurs chevaux de trois ans. Quand certains d’entre eux perçaient au plus haut niveau, il ne leur restait que la satisfaction d’avoir fait naître un bon cheval. Ils ne profitaient d’aucun retour sur investissement. Pour moi, il était donc important de relancer cette prime aux naisseurs. J’en avais d’ailleurs évoqué l’idée dans ma profession de foi lorsque je me suis présenté à la présidence de la SHF.

Aujourd’hui, après deux ans de travail de restructuration des finances de la SHF, en la recentrant sur ses missions régaliennes et en revalorisant ses fonds propres, et grâce à une augmentation du prix des engagements de 3 euros, nous sommes parvenus à dégager un montant suffisant pour mettre en place cette prime aux naisseurs. Cette augmentation ne plaît pas à tout le monde, j’en suis conscient, mais je peux assurer que ces 3 euros seront intégralement reversés à travers la prime. Par ailleurs, le montant de nos engagements n’avait pas augmenté depuis 2016.

À titre d’information, nous avons réalisé une étude montrant que plus de 50% des chevaux engagés sur les circuits de la SHF n’appartiennent plus à leurs naisseurs. Naturellement, l’âge avançant, cette proportion augmente. Personnellement, lorsque je confie des chevaux à des cavaliers, pour lesquels je paie des frais mensuels de pension et les engagements en concours, les cavaliers utilisent mon compte, puis nous équilibrons avec les dotations. Cette prime n’est donc pas quelque chose que les cavaliers vont spécifiquement payer. C’est donc bien un juste retour aux éleveurs qui va bénéficier à tous les acteurs de la filière.

Selon les informations dévoilées la semaine passée, cette prime récompensera les naisseurs des 3% des meilleurs chevaux et poneys du Top 100 de chaque catégorie à l’issue des finales Jeunes Chevaux. Que cela représente-t-il?

Pour être éligibles, les éleveurs devront être adhérents et posséder un compte SHF. Il est important de le préciser car l’adhésion n’est désormais plus obligatoire pour participer à certaines épreuves, comme celles du circuit Cycle libre. De même, ne seront concernés que les éleveurs de chevaux et poneys de races pour lesquelles la SHF est agréée en tant qu’organisme tiers chargée de l’enregistrement et du contrôle des performances au sens du droit européen, et possédant un livre généalogique en France.

On utilise le terme générique de Top 100, mais il ne s’agit pas de ne primer que les trois meilleurs naisseurs de chaque classement. Dans certaines catégories, il y a bien plus de cinq cents engagés impliqués. Pour cinq cents chevaux, par exemple, les quinze meilleurs naisseurs seront récompensés. En tout, cette prime concernera environ trois cents naisseurs, toutes disciplines et Cycles confondus. Ce ne sera pas du saupoudrage car ils percevront de 100 euros à 2.500 euros, avec des versements moyens compris entre 500 et 1.000 euros.

Mécaniquement, cette prime bénéficiera majoritairement au saut d’obstacles car cette discipline représente le plus grand nombre d’engagements. D’ailleurs, en 2023, selon notre note financière, les dotations vont augmenter de 11% environ pour toute la discipline. Ainsi, si l’on schématise, quelqu’un qui aurait dû gagner 90 euros en percevra finalement 100. L’effort supplémentaire de 3 euros sur les engagements sera donc largement compensé. 



“À travers cette initiative, notre idée est aussi de faire tache d’huile”

Une enveloppe de 360.000 euros, c’est évidemment un bon début, mais cela reste modeste vis-à-vis des flux financiers liés au commerce des chevaux de sport en France…

Cette prime aux naisseurs est une récompense à la réussite, un encouragement destiné à soutenir l’activité des éleveurs. Malgré sa bonne volonté, la SHF ne peut pas faire beaucoup plus car les gains demeurent limités sur nos circuits. Au départ, nous avions imaginé prélever 10% de toutes les dotations, mais cela revenait à peu près à la même somme: autour de 350 000 euros. Nous avons préféré augmenter nos engagements de 3 euros en expliquant bien que cette somme serait intégralement reversée. Trois euros multipliés par 120.000 engagements, cela donne un total de 360.000 euros.

À travers cette initiative, notre idée est aussi de faire tache d’huile. De fait, nous aimerions encourager la Fédération française d’équitation (FFE) à engager une démarche similaire, puis éventuellement convaincre la Fédération équestre internationale (FEI) de se lancer. L’idéal serait de développer une prime aux naisseurs à tous les niveaux afin que les éleveurs puissent mieux vivre de leur métier. Nous sommes déjà en discussion avec la Fédération française, qui voit plutôt cela d’un bon œil et semble ouverte à initier un travail avec nous, ce qui est vraiment une bonne chose. Nos équipes vont donc travailler ensemble pour voir si elles peuvent mettre en place quelque chose d’ici 2024. Compte tenu du nombre d’engagements potentiellement concernés, l’impact serait encore plus fort. Nous espérons que d’autres pays prendront le train en marche et que la FEI suivra. 

Dans un univers idéal, un organisme mondial pourrait prélever une taxe sur chaque vente de chevaux, à l’image de ce qui se fait dans le football avec l’indemnisation des clubs formateurs, afin de récompenser à la fois les naisseurs et cavaliers formateurs, qui vivent aussi difficilement de leur métier…

C’est sûr. Cela étant, le principe de la prime aux naisseurs fonctionne bien dans le monde des courses, avec la grande différence que cette filière bénéficie directement des revenus liés aux enjeux du Pari Mutuel Urbain (PMU). En France, les subventions proviennent essentiellement du ministère de l’Agriculture et du Fonds ÉPERON (organisme financier d’intérêt général au profit de la filière hippique, dont les fonds sont prélevés sur les courses, ndlr). Même si notre filière est moins soutenue qu’autrefois, ce cofinancement est une chance. D’ailleurs, la France demeure l’un des seuls pays européens à bénéficier d’un tel système. Certains acteurs déplorent la faiblesse des dotations de nos épreuves, mais c’est bien plus drastique en Belgique ou aux Pays-Bas, où l’élevage de chevaux ne fait l’objet d’aucune politique publique. Nous devrions cesser de nous plaindre, et regarder la situation de manière positive. Nous avons un système de formation qui fonctionne bien et qui est plébiscité par les étrangers qui viennent en masse acheter nos chevaux. Il faut donc rester optimiste.



“Il est essentiel que les chevaux gardent leur nom de naissance tout au long de leur carrière”

Quel est votre degré de confiance en l’avenir quant à l’engagement du ministère de l’Agriculture et du Fonds ÉPERON? Après avoir beaucoup souffert, le PMU semble avoir repris du poil de la bête depuis 2020…

Concernant le Fonds ÉPERON, nous continuons à percevoir 3,5 millions d’euros par an, et encore une fois, ce système spécifique à la France fonctionne bien. On peut éventuellement être amené à discuter de la façon de gérer cette subvention, mais nous présentons tous les ans un programme expliquant toutes les actions que nous allons réaliser durant l’exercice comptable. C’est bien grâce à nos actions et notre dynamisme que le Fonds ÉPERON continue à nous soutenir. Quant à l’État, le montant total de ses subventions a tendance à baisser, mais il soutient énormément toutes les actions de la SHF, concernant les races et les chevaux dont nous avons l’agrément en tant qu’organisme du contrôle des performance.

Ce système est un atout pour notre filière. Quand un cheval qu’on a fait naître finit par briller au plus haut niveau, c’est une très belle satisfaction. Dans un monde idéal, on aimerait imaginer qu’il a été vendu correctement et que cela a rétribué le travail de son éleveur. Ce n’est pas toujours le cas, mais c’est un objectif que nous devons poursuivre en tant que filière.

Voir un cheval qu’on a élevé briller au plus haut niveau est une grande satisfaction… quand il a gardé son nom de naissance!

Oui, bien sûr. Il est essentiel que les chevaux gardent leur nom de naissance tout au long de leur carrière. Le nom incarne le travail d’une vie d’éleveur. Sous notre impulsion, la FFE a porté le sujet auprès de la FEI, en demandant une modification règlementaire. J’espère vraiment que nous parviendrons à gagner cette bataille. Nous remercions la FFE pour son soutien à l’élevage. C’est ainsi que nous ferons avancer les choses. Il y a plein de sujets transversaux sur lesquels nous pouvons travailler avec la Fédération, et nous sommes heureux du travail très performant que nos équipes réalisent déjà ensemble.