La selle, un artisanat de haute précision en constante évolution

Objet de toutes les attentions, la selle est l’interface principale entre le cheval et le cavalier. Objet artisanal millénaire, elle est de plus en plus scrutée à la loupe pour se voir subtilement ou radicalement modifiée afin de répondre aux besoins plus pointus des cavaliers. La selle rigide et standardisée à l’arçon en matériau faiblement flexible laisse place peu à peu à une selle modulable et multiple, intégrant nouveaux matériaux et technologie de pointe.



La selle a pour mission d’épargner toute pression à la colonne vertébrale du cheval et aux tissus mous qui l’entourent, et de répartir les pressions et poids du cavalier de façon homogène sur la plus grande surface disponible. Elle doit également assurer une verticalité au cavalier pour le placer naturellement au centre de son siège sans avoir besoin de passer son temps à corriger un mauvais équilibre et donc nuire au cheval par ses gesticulations et variations de pressions. Avec près de quatre-vingts pièces pour assurer sa composition, la selle est un petit bijou d’artisanat qui ne cesse d’évoluer au fil des ans.



Améliorer le confort du cheval sans oublier le cavalier

Une selle ne peut faire l’impasse sur le confort d’un des deux protagonistes: elle doit autant être adaptée au cheval qu’au cavalier, sous peine de déséquilibres et de douleurs des deux côtés. En effet, la selle doit assurer plusieurs rôles: garantir une certaine rigidité afin de répartir le poids du cavalier sans s’écraser, être suffisamment souple pour ne pas gêner les mouvements du cheval et le brider et, enfin, absorber les chocs et vibrations générés par le cheval et le cavalier, tout en laissant passer la communication fine du couple qui s’établit par le contact du bassin et des jambes... un vrai casse-tête qui demande précision, connaissance et doigté!

Pour ce travail d’équilibriste, on note que les selliers développent des innovations à tous les niveaux: sur l’arçon, bien sûr, mais également sur les panneaux, les couteaux d’étriers, les étrivières, les sangles, etc. L’heure est à la légèreté et à la flexibilité des matériaux permettant un contact précis et une verticalité exemplaire via une enfourchure fine. Le Graal étant la modularité, pour adapter sans cesse la selle aux besoins du couple avec notamment des cales, des changements d’arcades, ou encore des panneaux adaptables au millimètre près. 

Pour ce faire, les selliers n’hésitent pas à inclure l’utilisation de la thermographie, de l’impression 3D, de scanners de haute précision, de tapis avec capteurs de pression ou encore d’accéléromètres et gyroscopes, trois axes pour tabler sur des arçons et panneaux toujours plus performants. Absorption des chocs au niveau du siège via des inserts amortisseurs, sanglage à mi-hauteur, siège adapté au bassin féminin, contre-sanglon en pointe d’arçon, panneaux toujours plus amortissants, matériaux multiples à l’image de la mousse injectée, du carbone, du Kevlar, ou encore de la fibre de verre, les selliers redoublent d’imagination pour le bien-être et la performance du couple.



La bonne place, sinon rien !

Une selle technique et parfaitement adaptée à un couple perdra toutes ses qualités en étant mal positionnée sur le dos du cheval, ce qui arrive, hélas, encore trop fréquemment. Précurseur et grand spécialiste en ostéopathie animale, le docteur vétérinaire Dominique Giniaux avait longuement discuté de la voûte formée par le dos du cheval, sa clé se situant bien plus en arrière que l’on ne le pensait. Russell Guire, référant à la Fédération équestre britannique (BEF) et à la Fédération équestre internationale (FEI) en tant que spécialiste de l’analyse de l’impact du cavalier sur la locomotion du cheval, l’a ainsi rappelé à l’occasion du salon Équi-Études 2019, au sein des Grandes Écuries du domaine de Chantilly. “Nous considérons que les apophyses épineuses des thoraciques (numérotées de T1 à T18, ndlr) T12 et T13 constituent la clé de voûte du dos du cheval. C’est à cet endroit que les muscles de l’animal sont les plus importants pour la stabilité du dos (approximativement le point le plus bas du dos, ndlr) et c’est ici que le centre de gravité du cavalier doit se situer, en alignement avec celui de sa monture. Le cheval est très actif à ce niveau-là, il faut absolument que les vertèbres T12 et T13 soient les plus libres possible sous la selle. Une pression sur ces deux vertèbres affecte la locomotion, notamment l’engagement des postérieurs pour un cheval de dressage et une diminution de la flexion de l’épaule, des genoux, et de la hauteur des sabots au-dessus de l’obstacle pour les chevaux de saut.”

Lorsqu’elle est mal placée, la selle est majoritairement positionnée trop en avant et appuie alors sur les omoplates tout en surchargeant l’avant-main – qui accuse déjà en temps normal les deux tiers du poids du corps du cheval et du cavalier. Il est d’usage de dire que la pointe (aussi appelée patte) d’arçon doit reposer au minimum deux doigts derrière l’omoplate (autrement appelée scapula). “Ces connaissances théoriques ne sont pas faciles à mettre en pratique”, avait pointé une lectrice lors d’un sondage en ligne effectué par GRANDPRIX dans le cadre d’une analyse d’opinions sur les selles. “Beaucoup de chevaux ont une morphologie qui trompe l’œil – garrot long, crinière qui descend jusqu’au garrot, gras autour des épaules, colonne vertébrale enfouie, etc. – et qui perturbe lorsqu’il s’agit de prendre la treizième vertèbre comme repère. Comment être sûr de l’emplacement de cette dernière? Est-ce que le point le plus bas correspond à la bonne place pour tous les chevaux? Et que dire des chevaux ayant un dos creux ou, au contraire, trop droit? J’encourage tous les cavaliers à poser cette question à leur sellier afin d’éviter des nuisances au cheval et de ruiner par la même occasion tout le travail d’équilibre effectué par l’artisan.”



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