Phillip Steiner, à la poursuite de son rêve à Omaha

À cinquante et un ans, Phillip Steiner voit aujourd’hui le rêve d’une vie devenir réalité. Associé à la belle Cassina Dior, le cavalier représentera avec fierté la Nouvelle-Zélande en finale de la Coupe du monde Longines de jumping, du 5 au 8 avril à Omaha, aux États-Unis. Son histoire est celle d’une passion pour l’équitation et le fruit d’un travail acharné, rendue possible par des opportunités qu’il fallait saisir, de solides amitiés nouées, le soutien d’une famille et une grande détermination.



Installé temporairement aux Pays-Bas depuis quelques semaines, Philippe Steiner a encore du mal à croire à la façon dont les choses ont évolué au cours de l’année écoulée. “Parvenir au sommet de ce sport est l’objectif de toute une vie”, a confié le Néo-Zélandais. “Parfois, à la maison, avec les jeunes chevaux, je regardais le ciel et me demandais si un jour je pourrais m’envoler en Europe avec un cheval pour disputer un grand concours. Et maintenant, c’est arrivé !”En effet, pour Philippe Steiner, les choses se sont récemment accélérées avec sa sélection au sein de l’équipe néo-zélandaise qui se battra pour décrocher sa place pour les Jeux olympiques de Paris 2024. “Le premier objectif était de sauter une saison à la maison, puis de venir en Europe et d’être prêt pour l’épreuve de qualification olympique de Valkenswaard, aux Pays-Bas, en juillet”, a-t-il ajouté. “Omaha n’était pas tellement dans mon radar, mais à mi-saison de la Coupe du monde, la direction technique nationale de ma fédération a mentionné que le vainqueur de la ligue néo-zélandaise pourrait avoir la chance de courir la finale. Cela n’a vraiment été confirmé que le dernier jour du mois de janvier, lorsque notre ligue s’est terminée, et j’ai donc eu environ trois semaines pour rassembler quelques affaires, préparer ma jument et me rendre en Europe. Tout s’est passé très vite!”

Fort heureusement, le cavalier a pu compter sur le soutien de l’Australienne Hilary Scott. Sa relation avec la cavalière a débuté en août dernier, lorsque Phillip s’est rendu en Australie afin d’acquérir de l’expérience en Coupe du monde.“Un de mes amis Kiwis est basé chez Oaks Sport Horses, l’élevage de la mère d’Hilary, à Sydney, où je m’y suis rendu pendant deux mois”, explique-t-il. “Nous avons participé à deux étapes de la Coupe du monde et à un autre grand concours à Wallinga Park. Il m’a donc semblé logique de demander à Hilary si je pouvais séjourner dans ses installations près d’Eindhoven, au Pays-Bas, durant mon voyage en Europe cette année. C’est une cavalière de CSI 5*, qui est en mesure de répondre à toutes mes questions sur l’avion, l’endroit où je vais me rendre, le concours que je devrais disputer ou encore sur la quantité de travail à fournir. Elle est vraiment géniale.” Par ailleurs, Phillip est également très heureux de lui rendre la pareille. “Je l’aide à s’occuper du domaine et je monte quelques chevaux pour elle de temps en temps, en plus de Cassina Dior. Je l’aide à garder l’endroit propre et bien rangé”, explique-t-il, comme si n’importe quel cavalier de rang mondial ferait exactement pareil dans les mêmes circonstances.

Son éthique de travail est bien ancrée, tout comme son amour des chevaux. Enfant, alors qu’il allait chasser avec sa famille, Phillip a vu des enfants s’adonner au saut d’obstacles. Il a alors décidé qu’il voulait essayer et a acheté son premier poney. “J’ai élevé dix veaux que j’ai vendus lors d’une foire, puis je me suis acheté un poney B”, partage-t-il. “À partir de là, j’ai été au poney-club et j’ai pratiqué le concours complet, puis je suis allé travailler pour David Goodin (légendaire cavalier néo-zélandais de complet et jumping, ndlr), le père de Bruce Goodin. Lorsque j’ai commencé à travailler pour David, je ne connaissais pas grand-chose au concept de foulées, mais je savais qu’il y avait parfois une foulée profonde, parfois une foulée longue et parfois une foulée parfaite! Il m’a enseigné les mécanismes de l’abord d’une ligne connexe et d’autres choses de ce genre.”



David Goodin à Greg Best en passant par Joe Fargis, Conrad Homfeld, Debbie Dolan, Max Hauri, Pius Schwizer et Lesley McNaught

Phillip semble avoir eu le don d’apprendre des meilleurs, puisqu’en 1992, à l’âge de vingt ans, il s’est également rendu en Amérique pour travailler avec les médaillés d’or des Jeux olympiques de 1984, Joe Fargis et Conrad Homfeld, double vainqueur de la finale de la Coupe du monde, en 1980 et 85. “J’ai passé deux étés avec eux et j’ai tout appris sur le style, la façon de bander les chevaux et de les panser, et j’ai loué un cheval à une fille qui s’appelait Debbie Dolan”, raconte-t-il, faisant nonchalamment référence à un athlète ayant concouru à plus haut niveau pour les États-Unis au sommet de sa carrière.

De retour en Nouvelle-Zélande pendant un certain temps, Phillip a rejoint l’Europe en 1998 afin de travailler pour le légendaire marchand de chevaux suisse Max Hauri. “J’ai travaillé chez Max pendant un an ou deux, par intermittence, puis je suis allé travailler pour Lesley McNaught. J’y ai fait mon temps, j’ai appris dans les écuries du marchand et j’ai monté quelques très bons chevaux avec Lesley. C’est à cette époque qu’elle a eu Dulf (le cheval avec lequel elle fut médaillée d’argent par équipes avec la Suisse aux Jeux olympiques de Sydney en 2000, ndlr)”. Son attirance pour la Suisse n’est pas le fruit du hasard, puisque son grand-père a émigré en Nouvelle-Zélande d’une petite ville proche de Lucerne à l’âge de onze ans. Une fois de plus, son étrange faculté à s’associer aux meilleurs des meilleurs s’est déclenchée. “Lorsque j’étais là-bas, j’ai fait la connaissance de Pius Schwizer, qui sautait dans des concours nationaux, et de Steve Guerdat, qui commençait tout juste à sauter ses premiers Grands Prix. Aujourd’hui, ce sont les meilleurs au monde!”

Phillip est rentré au pays en 2000 pour s’installer, acheter une propriété, créer son entreprise, se marier et fonder une famille à Tauranga, sur l’île du Nord, avec Sally qui a remporté la ligue néo-zélandaise de la Coupe du monde il y a vingt ans. À domicile, le couple dispose d’un manège, de vingt boxes et d’environ trente-deux hectares de terres agricoles sur lesquelles ils font paître un troupeau de cent têtes de bétail et s’entraînent avec leurs chevaux. La vie familiale est assez intense avec trois enfants, de nombreux chevaux et une petite entreprise de transport. “Un camion transporte les kiwis des vergers vers les usines, puis deux camions partent huit mois par an, sept jours sur sept, de l’entrepôt frigorifique situé à l’arrière de l’usine et transportent les fruits vers les bateaux”. Cette activité est née de la frustration de devoir vendre les bons jeunes chevaux qu’il formait pour maintenir la famille à flot.

L’un d’entre eux n’a cependant jamais été vendu: sa jument Cassina Dior (NZSB, Diarado x Capitol I), surnommée Dolly, qu’il montera fièrement à Omaha. Il l’avait achetée à son éleveuse Pip McCarroll. “Pip avait un cheval en pension chez nous que nous entraînions pour Mark Todd (Sir Mark Todd, superstar du concours complet, élu cavalier du XXe siècle par la FEI, ndlr). Elle n’arrêtait pas de me parler de ce cheval de trois ans, alors nous sommes allés le voir, nous l’avons regardé sauter en liberté et nous avons fini par l’acheter”. Phillip a alors dû promettre de ne pas revendre Dolly tout de suite. “Lorsqu’elle a atteint l’âge de sept ans, j’ai réalisé que nous avions affaire à un cheval spécial. Beaucoup de gens voulaient l’acheter, mais j’ai toujours dit que je voulais avoir quelques années pour amener cette jument aussi loin que possible. À mon âge, je ne pense pas que je croiserai la route d’un autre cheval aussi bon!”



Trois enfants et le plaisir partagé du sport

Avec le temps, son arrivée au sommet de la discipline n’en est devenue que plus agréable. “On ne prend pas les choses pour acquises comme on le ferait à vingt-cinq ans, mais participer à la finale de la Coupe du monde, c’est vraiment énorme et je veux garder cela en tête pour que cela n’affecte pas ma capacité à faire de mon mieux quand nous y serons.” Pip sera au bord de la piste dans le Nebraska avec toute la famille de Phillip. Son fils aîné, James, quinze ans, est déjà bien engagé dans le sport, ayant récemment remporté trois Grand Prix Poneys d’affilée. Son fils Oliver, dix ans, “est davantage intéressé par les motos en ce moment, mais il sait monter”, et sa fille Francie, cinq ans, folle de chevaux, s’est récemment cassé la clavicule en tombant de son poney d’1,28m. Autant de tracas à gérer pour maman pendant l’absence de papa…

Lorsqu’on lui demande si, en dehors de sa femme Sally, il aura quelqu’un d’autre sur place pour le soutenir à Omaha, Philipp lâche un autre nom phénoménal: Greg Best “Je me suis beaucoup entraîné avec lui au cours des quinze dernières années. Il a épousé une Néo-Zélandaise. Ils vivent à Hawkes Bay. Ses enfants ont le même âge que les nôtres, alors ils jouent tous ensemble et ce sont les meilleurs amis du monde. Je sais que je serai un peu impressionné quand j’arriverai là-bas, et c’est quelqu’un qui a participé à tous les plus grands championnats et qui est assez incroyable”, déclare-t-il à propos de l’homme qui a remporté deux médailles d’argent pour les États-Unis aux Jeux olympiques de 1988 à Séoul, en Corée du Sud, en selle sur le fabuleux Pur-sang Gem Twist. À la maison, son soutien repose sur les épaules de Marcus, qui s’occupe de l’entreprise, “et de grand-mère qui s’occupe des enfants pendant que Sally court partout pour s’occuper de la ferme”. Tout est mis en œuvre pour que le rêve devienne réalité pour un homme qui, accompagné de son incroyable jument, portera la fougère argentée avec une immense fierté.