“Les vétérinaires m’ont dit qu’il ne serait plus bon qu’à rester au pré... et il va courir une finale de Coupe du monde!”, Victoria Gulliksen
Dans quelques heures, Victoria Gulliksen va prendre part à sa toute première finale de la Coupe du monde Longines de saut d’obstacles, à Omaha, dans le Nebraska. Après une saison indoor particulièrement réussie sur son excellent Equine America Papa Roach, la Norvégienne fait figure d’outsider et pourrait bien créer la surprise. Pourtant, l’alezan revient de loin et aurait pu ne plus jamais concourir. Quelques jours après son dernier concours de préparation, le Saut Hermès, la cavalière de trente et un an a évoqué avec honnêteté sa préparation et la trajectoire particulière de son cher hongre.
Comment allez-vous et comment s’est passé votre week-end à Paris?
Je suis très contente de mon week-end à Paris, tout d’abord parce que le concours est extraordinaire. Je suis très heureuse de mes résultats: mon cheval a été très bon et aurait dû réussir un sans-faute dans le Grand Prix. Hélas, j’ai commis une faute d’équitation. Il se sent en forme en vue de la finale. Quant à moi, j’essaie de me préparer mentalement à sauter des obstacles plus hauts à Omaha (rires).
Votre saison indoor a été assez remarquable. Comment l’avez-vous vécue?
Je dois dire que c’était assez inattendu. Pour contextualiser un peu, j’ai été très déçue de ma prestation aux championnats du monde, où mon cheval sautait très bien. J’ai perdu ma concentration et ma préparation mentale n’était pas au point donc j’ai mal monté. Il a ensuite couru la Coupe des nations Longines de Dublin (concluant les deux manches avec huit points et un sans-faute, ndlr) puis le Grand Prix (avec cinq points, ndlr), où il s’est super bien comporté. Après cela, je lui ai offert une pause donc nous avons fait l’impasse sur le CSIO 5* de Barcelone (où se tient la finale mondiale des Coupes des nations Longines, ndlr).
J’ai alors décidé de faire de la Coupe du monde un objectif, en commençant à Oslo, en Norvège, dès la première étape. Débuter avec une deuxième place nous a donné une sorte de dynamique pour le reste de la série. Il est très difficile de réussir des sans-faute dans la Ligue d’Europe occidentale. La plupart du temps, nous rentrons aux écuries sans point au classement général. Se qualifier pour la finale nécessite beaucoup de points et les dix-sept que j’ai engrangés à Oslo ne suffisaient pas. C’est pourquoi je suis allée à Helsinki, où je me suis classée sixième. Après cela, je me suis dit: “Waouh, je suis vraiment sur la bonne voie!”. Je suis rentrée aux écuries, et à ce moment-là, je pense que j’aurais dû davantage m’écouter ainsi que mon cheval. J’étais si motivée à l’idée de me qualifier pour la finale que je me suis dit que je devais aller à Vérone et Stuttgart alors que nous étions fatigués. À Vérone, je suis rapidement redescendue sur terre. J’ai très mal monté et nous sommes sortis de piste avec quatre fautes. Je suis passée de la tête du classement général de la Ligue au sentiment d’être la plus mauvaise cavalière qui soit. À Stuttgart, où le parcours était énorme, nous n’avons commis qu’une faute, mais nous sommes retrouvés juste en dehors des points... Cela m’a néanmoins motivée à poursuivre ma quête. Je me suis dit que j’allais m’entraîner dur pour ne plus répéter les mêmes erreurs.
À Malines, mon cheval aurait encore mérité un sans-faute, mais je me suis montrée été trop gourmande et nous avons fait tomber le dernier obstacle. Comme nous avons été rapides, j’ai tout de même pu prendre des points. À Leipzig, nous avons à nouveau commis une faute. Les gens autour de moi ont commencé à paniquer alors que moi, je me sentais très sereine, ce qui était plutôt amusant. Je me disais: “Si je ne me qualifie pas pour la finale, je serais tout de même très heureuse d’avoir accomplu une bonne saison”. Mon petit-ami Jordy van Massenhove (cavalier montant pour la Belgique, ndlr), mon père (Geir Gulliksen, pilier de l’équipe norvégienne depuis de nombreuses années, ndlr) et l’encadrement fédéral me rappelaient qu’il ne me manquait que huit points pour me qualifier. Je me disais qu’ils étaient encore plus motivés que moi à l’idée d’aller à Omaha. Ils m’ont dit que je devais aller à Amsterdam et tenter de terminer parmi les huit premiers, ce me permettrait de me qualifier. De mon côté, je n’étais pas convaincue de cette option. De toute ma vie, je n’avais encore jamais senti une telle pression. En voyant à quel point le parcours du Grand Prix était corsé, je me suis dit que j’allais devoir sacrément me concentrer. À la détente, j’ai senti mon cheval très en forme, ce qui m’a rendue encore un peu plus nerveuse car je savais que lui pouvait le faire. Je n’avais juste pas le droit à l’erreur. Il a sauté de manière formidable, nous avons terminé cinquièmes et cela nous a qualifiés pour la finale. Autant dire que je n’oublierai jamais cette saison indoor.
“Je suis plus nerveuse concernant le voyage en avion que pour les épreuves”
En sept étapes, vous avez terminé quatre fois parmi les dix meilleurs. C’est une bonne moyenne, n’est-ce pas?
Oui, quand on prend les choses ainsi, cela donne le sentiment que nous avons été très réguliers (rires)! Je suis très heureuse de la saison que nous avons vécue.
À Oslo, à domicile, vous avez réussi la meilleure performance d’un cavalier norvégien, n’est-ce pas?
Oui, c’est la première fois qu’un Norvégien se classait aussi bien dans cette étape. Pour l’anecdote, je suis aussi la première cavalière de mon pays à me qualifier pour la finale. Jusqu’à présent, seuls mon père et un autre cavalier y étaient parvenus!
Comment comptez-vous vous préparer?
Paris a été mon dernier concours. J’ai travaillé dur pour que nous soyons en forme physiquement pour ce concours. Jusqu’à la finale (entretien réalisé le 22 mars, ndlr), je ne vais pas travailler trop dur mais simplement garder mon cheval en condition, planifier des séances de galop, beaucoup aller en forêt… Il a déjà quatorze ans et j’ai besoin qu’il soit en pleine possession de ses moyens et heureux de sauter. Je vais voyager avec lui car il a eu un accident en avion il y a quelques années. J’espère que le trajet se passera bien. En réalité, je suis plus nerveuse vis-à-vis de ce vol que des épreuves (rires)!
S’agit-il de son premier voyage depuis l’accident? Que s’était-il passé?
Oui, c’est la première fois qu’il reprendra l’avion. La blessure date d’il y a quatre ans et sa convalescence avait duré deux saisons. Tous les vétérinaires m’ont dit qu’il ne serait plus bon qu’à rester au pré, mais j’ai pris mon temps et il va courir une finale de Coupe du monde!
Vous courrez tous deux votre première finale. Pensez-vous que le format corresponde à Papa Roach?
Oui. Il est naturellement très rapide donc le premier jour pourrait bien se dérouler pour nous (cette nuit, l’épreuve se court au barème C, ndlr) si je monte bien. J’ai essayé d’aller vite le premier jour au Saut Hermès et j’ai terminé dix secondes derrière le vainqueur, mais les circonstances seront différentes (rires). Ensuite, nous aurons à affronter deux gros parcours. Ce sera un peu comme sauter deux étapes de Coupe du monde. Papa Roach a beaucoup de sang et d’énergie, et sa condition physique pourra l’aider. Normalement, il est assez entraîné et en forme pour sauter tout cela.
Neuvième des championnats d’Europe Longines de Riesenbeck sur une immense piste en herbe en 2021 et prêt à courir une final indoor, ce cheval semble à l’aise en toute situation!
Lorsque je l’ai acheté jeune, il n’avait jamais sauté en indoor! Les premières années, je lui épargnais cela car je l’engageais souvent en Espagne l’hiver. À neuf ans, je l’avais aussi emmené en Floride. Ensuite, il a donc été blessé pendant deux saisons. Il n’avait donc jamais couru en indoor avant l’édition 2021 du CSI 5*-W d’Oslo, il y a un an et demi. En raison de la pandémie de Covid-19, il n’y avait pas eu beaucoup de concours indoor l’an passé. Nous nous sommes donc beaucoup entraînés sur de petites pistes. Cette année, je suis notamment allée en Norvège la semaine précédant le CSI 5*-W d’Oslo pour y disputer un concours national. Même s’il n’est jamais meilleur que sur les grandes pistes en herbe, il s’est très bien adapté à ces circonstances.
“Je me dis à chaque concours que ce n’est que du bonus”
Comment avez-vous trouvé Equine America Papa Roach ?
C’est assez improbable, je dois dire! J’étais au concours de Salzbourg et me suis assise en tribunes pour regarder une épreuve U25 (réservée aux cavaliers de mois de vingt-cinq ans, ndlr). Un cavalier allemand est venu me voir et m’a demandé si je cherchais des chevaux. J’ai répondu par l’affirmative et il m’a dit que son employeur en avait un intéressant, monté par Andreas Klipping. Sur les vidéos qu’il m’a montrées, il semblait plutôt prometteur. J’ai donc fait cinq heures de route pour l’essayer sur la plus petite piste que j’aie jamais vue. Un minuscule manège, où il n’y avait de la place que pour un seul obstacle. Le cheval était vraiment difficile et je ne pouvais presque pas l’arrêter. J’aurais dû avoir un peu plus de contrôle. Malgré cela, j’ai senti que ce cheval avait quelque chose à me donner. En rentrant à la maison, j’ai montré les vidéos à mon père, qui n’était pas particulièrement emballé. Il m’a conseillé que nous allions l’essayer ailleurs, ce que nous avons fait. Il a alors bien sauté, mais mon père n’était toujours pas convaincu. Un propriétaire a accepté d’en acheter la moitié avec moi. Jeune, Papa Roach était vraiment talentueux mais très indiscipliné et distrait. Les fautes qu’ils commettait étaient dues à son manque de concentration. Il avait trop d’énergie à dépenser. Il a toujours bien sauté, mais j’avais du mal à canaliser son influx. Sur les grandes pistes espagnoles, il était toujours plus facile, car je pouvais le laisser galoper en avant. Sur des carrières plus réduites, je devais le retenir et il pouvait s’opposer à moi. Au fil des années, nous avons pris le temps de former un couple. À huit ans, il était mon deuxième cheval dans tous les gros concours auxquels j’ai pris part, ce qui lui a permis d’apprendre beaucoup sans avoir à être numéro un avant d’être prêt.
Comment avez-vous vécu les Européens Longines de Riesenbeck, conclus à la neuvième place avec lui?
C’était incroyable! Parcours après parcours, j’étais si heureuse. Compte tenu du fait qu’il avait été arrêté pendant près de deux ans, je me dis que chaque concours n’est que du bonus. Initialement, je ne savais pas si je devais courir ces championnats, exigeants pour les chevaux. Nous avons avancé étape par étape, et il a été vraiment excellent. Malheureusement, mon mental a flanché lors du dernier parcours, où nous avons commis deux fautes. J’aurais pu terminer à une meilleure place, mais c’est ma faute car j’ai commencé à penser à quelle place je pouvais atteindre (sans ses deux fautes, la Norvégienne aurait fini cinquième, ndlr). Hormis cela, tout s’est déroulé comme je l’espérais. Je n’avais pas beaucoup d’attentes, c’est pourquoi nous avons réussi cette première. L’an dernier aux Mondiaux, j’en avais trop et je n’étais pas au point mentalement. C’est ainsi que j’explique notre contre-performance (le couple a terminé cinquante et unième, ndlr).
Juste après votre deuxième place à Oslo, vous avez été très émue en évoquant votre cheval. Pourquoi?
Juste avant ce concours, j’aurais pu le vendre pour beaucoup d’argent. À une période, je pensais qu’il ne sauterait plus jamais après sa blessure. Après sa convalescence, j’ai dû tout reprendre à zéro, à commencer par le faire marcher au pas en main. J’avais tout pour réussir et j’ai tout perdu d’un coup. J’ai donc dû me battre pour que nous retrouvions notre niveau. Le fait que nous y soyons parvenus ensemble en signant un tel résultat m’a beaucoup émue. Il y a quatre ans, je n’aurais jamais imaginé en être là aujourd’hui!
Vous appartient-il toujours en partie?
Il est totalement à moi désormais. Lorsqu’il s’est blessé, la personne avec laquelle je l’avais en copropriété a reçu de l’argent de la part de l’assurance, tout comme moi d’ailleurs. Les chances que le cheval reprenne la compétition étaient infimes alors je ne voulais pas faire courir ce risque à cette personne. Je lui ai donc racheté les parts restantes.
Prévoyez-vous de le garder auprès de vous pour toujours?
Oui, il restera avec moi!
À moins de cinq cents jours des Jeux olympiques de Paris 2024, ambitionnez-vous d’être au rendez-vous dans les jardins du château de Versailles?
C’est mon plus gros objectif, en effet. Il est difficile pour nous, Norvégiens, de nous qualifier, mais ce serait un rêve. La finale de la Coupe du monde est bien sûr un objectif, mais le principal reste Paris 2024.
La Norvège peut toujours se qualifier par équipes cet été aux Européens de Milan. Espérez-vous obtenir un ticket lors de cette échéance?
Normalement, j’aimerais y amener mon cheval de neuf ans, Thuur, mais nous verrons comment les choses évoluent. Papa Roach aura une longue pause de deux mois après Omaha et devrait sauter quelques concours cet été. J’aimerais l’économiser pour Paris 2024 si nous parvenons à nous qualifier.