“J’ai des ambitions et des rêves, mais pour les réaliser, il faut être deux”, Philippe Rozier (1/2)

Alors qu’il a fêté ses soixante ans le cinq février dernier, Philippe Rozier est bien loin de raccrocher les bottes. Coaching, compétition, jeunes et vieux chevaux, conseils sur les réseaux sociaux, le champion olympique par équipes de Rio de Janeiro multiplie les casquettes. À la tête d’un piquet de chevaux bien fourni et prometteur, emmené par le délicat mais si doué Le Coultre de Muze, le francilien a toujours soif de succès. Rencontré à l’occasion du Saut Hermès, qui s’est tenu au Grand Palais éphémère du 17 au 19 mars, le Français s’est confié sur ses objectifs, sa vie à Bois-le-Roi et sur les Jeux de Paris. Présent à Oliva lorsque des cas de Rhinopneumonie équine ont été recensés en février, celui qui a bien failli perdre son partenaire olympique des suites de cette maladie il y a deux s’est également exprimé quant à la gestion de cette nouvelle crise.



L’année dernière, Le Coultre de Muze (BWP, Presley Boy x Vigo d’Arsouilles) ne s’était pas montré des plus à l’aise sur la piste du Grand Palais éphémère. Qu’est-ce qui vous a motivé à l’amener cette année ? 

L’année dernière, j’étais arrivé directement d’Oliva alors qu’il n’avait pas sauté en indoor de l’hiver. J’étais d’ailleurs sceptique à l’idée de concourir ici parce qu’il sautait très bien à l’extérieur mais j’étais invité alors j’ai souhaité venir. En arrivant, il a paniqué dès son entrée au paddock, il n’était pas à l’aise. Le sentiment s’est ensuite confirmé en piste et je n’avais amené que lui. Il me fallait participer à l’épreuve majeure du premier jour pour me qualifier pour le Grand Prix, ce que je n’ai pas pu faire. Les choses se sont mal goupillées, le résultat d’une mauvaise gestion de ma part. 

Aviez-vous des doutes en l’emmenant cette année ? 

Beaucoup moins. Nous avons participé à plusieurs concours indoor dont le salon Longines Equita Lyon puis le CSI 5*-W de Bales. Il a également sauté de manière fantastique dans le Grand Prix du CSI 5*-W de Bordeaux (conclu avec une barre, ndlr) donc il était davantage préparé que l’année dernière (au Saut Hermès, finalement, l’étalon a réalisé un parcours sans faute et un à quatre points lors d’épreuves intermédiaires avant de conclure le Grand Prix avec deux barres au sol, ndlr)

C’est un cheval qui semble assez sensible. Comment gérez-vous cela ? 

C’est le défaut de sa qualité, il est très respectueux et sensible, comme on en cherche pour concourir à haut niveau. Il y a des codes à avoir, des choses que je peux et dois faire et d’autres non. Comme avec tous les bons chevaux, je suis toujours sur un fil. J’apprends encore à le connaître tous les jours pour éviter les petits pépins mais c’est vrai qu’il est très sensible. C’est ce qui fait sa qualité pour sauter, mais on aurait envie qu’il soit un peu plus dur pour être compétitif.

Depuis son retour en janvier, il a réalisé de bons parcours. Il a désormais douze ans, est-ce le bon moment pour le lancer dans la cour des grands ? 

Ça a toujours été l’objectif avec lui. Le seul problème est que, à neuf ans, il a eu une année complètement blanche. Il s’était fait mal à la monte et n’avait donc effectué que peu de parcours (une vingtaine entre 1,20m et 1,35m, ndlr). Selon moi, l’année des neuf ans est cruciale parce que les chevaux débutent de plus gros parcours à dix ans. Il n’était pas au mieux physiquement et a donc eu une année compliquée alors je pars du principe qu’il a toujours une année de retard. Il a douze ans mais je le gère comme s’il en avait onze. 

Vous-projetez-vous sur des Coupes des nations cette année ? Pourquoi pas les championnats d’Europe de Milan ? 

S’il va bien oui, bien sûr. J’ai mes idées et mon plan mais, à la fin, ce sont les chevaux qui nous disent s’ils sont prêts ou non. J’ai des ambitions et des rêves mais, pour les réaliser, il faut être deux.



“Aujourd’hui, si nous ne préparons pas nos chevaux nous même, il est difficile de les acheter lorsqu’ils sont plus âgés”

Âgé de dix ans, Night Light van’t Ruytershof est l’atout sur lequel Philippe Rozier mise pour l’avenir.

Âgé de dix ans, Night Light van’t Ruytershof est l’atout sur lequel Philippe Rozier mise pour l’avenir.

© Sportfot

Vous avez présenté de nombreux jeunes chevaux à Oliva, pouvez-vous en parler un peu plus en détails ? 

J’ai un très bon piquet de chevaux de dix ans ainsi que plusieurs sept ans dont deux filles de Le Coultre qui sont formidables (Karline et Kanelle d’Ecaussines, de mères par Kashmir van’t Schuttershof et Radco d’Houtveld ndlr). J’ai un huit ans, Corsini vd Keihill (Z, Windows vh Costersveld x Cassini I), qui a réalisé une belle saison à sept ans et qui est très bon. ?J’ai quatre dix ans, Dirty Sweet (SF, Windows vh Costersveld x Lavillon), arrivée cet hiver, qui présente de gros moyens et saute 1,50m sans problèmes ainsi que Diego de Toscane (SF, Quite Capitol x Laudanum), un ¾ frère de Rahotep de Toscane (SF, Quidam de revel x Beach Boy) qui va débuter les épreuves à 1,50m cette année. J’ai également Dessenger (Old, Messenger x Aragorn) qui a sauté le Grand Prix 4* de Bourg-en-Bresse (conclu avec trois barres, ndlr) l’année dernière à neuf ans et qui a de gros moyens. Enfin, j’ai accueilli un autre cheval de dix ans il y a quelques jours. Il a peu d’expérience mais je pense qu’il a un très bon potentiel, il a quelque chose. Je dispose d’un bon piquet de chevaux, entre douze et quinze au travail, notamment des jeunes pour préparer la relève. Aujourd’hui, si nous ne les préparons pas nous même, il est difficile de les acheter lorsqu’ils sont plus âgés. Les vieux chevaux sont extrêmement recherchés, il y a plus de demande que d’offre alors je garde la même politique depuis quarante ans : avoir beaucoup de jeunes. J’ai des parts dans une dizaine d’entre eux, s’ils ne sont pas totalement ma propriété, des placements à court et long terme avec des chevaux allant de quatre à dix ans. Ils suivent tous une locomotive, Le Coultre et Prestigio Ls La Silla (SLS, Presley Boy x Cash), qui est un excellent deuxième cheval et épaule Le Coultre. J’ai prévu de me rendre aux CSI 2* de Villers-Vicomte et Cluny en mars (dans l’Oise, le Francilien s’est classé huitième du Grand Prix avec Dirty Sweet, ndlr). La Rhinopneumonie équine qui s’est déclarée à Oliva (mi-février, contraignant les cavaliers et chevaux présents à s’éloigner des terrains, ndlr) a stoppé quelques peu les compétitions mais ça a permis à mes chevaux d’observer un break d’une vingtaine de jours et tout le monde va bien.

Il y a quelques années, vous disiez que Le Coultre de Muze était la relève de Rahotep de Toscane. Voyez-vous déjà la relève de Le Coultre, bien qu’il n’ait que douze ans ? L’année dernière, vous aviez confié placer beaucoup d’espoirs en Night Light van’t Ruytershof (BWP, Gemini x For Pleasure)… 

Oui, je vois en Night Light la relève. Je pense que c’est un grand cheval. Il était très compétitif l’année dernière, classé trois fois sur cinq. Il a tout d’un grand cheval, du fait de ses origines notamment. Son demi-frère par la mère est Messi van’t Ruytershof (BWP, Plot Blue x For Pleasure), qui performe énormément en Allemagne avec Janne Friederike Meyer-Zimmermann (le hongre a notamment remporté l’étape de la Coupe du monde Longines de La Corogne en décembre, ndlr). Sa mère, Inathina van’t Ruytershof (BWP, For Pleasure x Diamant de Semilly), qui est très prisée, a également produit H&M Luna van’t Ruytershof (Z, Levisto x For Pleasure) championne de Belgique avec Nicola Philippaerts (en 2022 dans la catégorie reine, ndlr). C’est un guerrier, un vrai cheval de concours. Pour moi, il peut tout sauter. Cette année il avait un peu mal au dos, il s’est mis à ruer un peu plus alors j’ai essayé de comprendre d’où cela venait. Je ne suis pas pressé, je sais que c’est un grand cheval alors je vais essayer de résoudre ce problème de ruades. Je me suis dit que je me fichais de rater l’hiver, il fallait juste qu’il soit prêt au printemps. Les choses commencent désormais à aller mieux (depuis, l’étalon n’a signé que des parcours sans faute au CSI 2* de Villers-Vicomte puis a remporté une épreuve à 1,45m lors de celui de Cluny, ndlr).



“À Oliva, la rhinopneumonie a été bien gérée”

Certains des chevaux qui étaient avec vous à Oliva ont affiché une suspension sur leur fiche FEI début mars. Est-ce lié à la rhinopneumonie équine? 

Oui, tout à fait. Douze ont été suspendus à cause de la rhinopneumonie parce qu’ils étaient à Oliva. À partir du moment où nous sommes partis du concours, les huit-cents chevaux présents ont été suspendus. Nous avons dû faire deux tests PCR à huit jours d’intervalle afin que la Fédération équestre internationale les débloque. 

Certains ont-ils été testés positifs ? 

Non et heureusement, j’ai déjà donné (en 2021, le Français avait notamment failli perdre son champion olympique Rahotep de Toscane, revenu positif d’une tournée organisée à Valence, ndlr) ! Il y a deux ans, j’étais rentré avec quatorze chevaux positifs. Cela a été beaucoup mieux géré cette année mais il ne faut pas oublier qu’en 2021, c’était Tchernobyl. Rien n’était préparé et tout était caché. J’avais pris la décision de partir mais c’était la mienne, pas celle du concours. Je préférais gérer cela chez moi qu’ailleurs et, d’ailleurs, ceux qui sont restés l’ont payé cher. Cette année, avec la FEI et les protocoles mis en place, tout a été plus simple. À Oliva, cela a été très bien géré.

La seconde partie de cet entretien sera publiée demain.