“J’espère que la Fédération n’ira pas dans cette direction-là”, Kevin Staut

Au lendemain de la publication de l’article révélant la très probable fin de la collaboration entre la Fédération française d’équitation et Philippe Guerdat, sélectionner national de saut d’obstacles depuis février 2013, GRANDPRIX a souhaité recueillir les impressions de Kevin Staut, fidèle pilier de l’équipe de France. Estimant que le Suisse reste plus que jamais l’homme de la situation, le Normand espère encore que la FFE le maintiendra finalement en poste.



GRANDPRIX : Comprenez-vous que la Fédération se sépare de Philippe Guerdat ?
KEVIN STAUT : À ma connaissance, même s’il y a beaucoup de bruits de couloir depuis deux semaines, rien n’est officialisé. Philippe est toujours présent à nos côtés. Il effectue ses sélections et nous accompagne comme il l’a toujours fait, à Paris la semaine passée comme ici à Genève, où il est également présent au titre de son engagement au sein du comité d’organisation du CHI (le Suisse est chargé des relations avec les cavaliers, ndlr). J’ai lu votre article hier. Au moment où nous nous parlons, il y a toujours un flou, qui est vraiment très désagréable humainement pour Philippe. Compte tenu de ses résultats, de son expérience et de ses qualités humaines et professionnelles, cette situation me fait vraiment de la peine.
Un audit a été effectué par la Fédération. Nous, cavaliers, avons discuté avec le président Serge Lecomte. Tout le monde ne connaît peut-être pas tous les éléments, mais nous évoluons avec Philippe depuis assez longtemps pour sentir les tensions. Le bilan général depuis 2013 reste plus que positif et il me semble que la dynamique dont nous avons besoin pour relever les défis qui nous attendent, à commencer par les championnats d’Europe de Rotterdam, est bien là. Nous en avons discuté avec Serge Lecomte (lors d’une réunion organisée à Paris, ndlr). Nous avons senti qu’il y avait déjà de la part de la Fédération un positionnement défavorable quant au maintien en poste de Philippe. Pour autant, le président restait ouvert à la discussion et cette réunion m’a semblé constructive. Nous avons défendu Philippe aussi bien humainement que professionnellement. Si cette décision venait à être officialisée, elle irait donc à l’encontre de ce qu’ont dit la grande majorité des cavaliers.
 
G.P. : Au-delà du fait que la France n’a pas encore réussi à se qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo, qui reproche-t-on véritablement à Philippe Guerdat ?
K.S. : La Fédération estime que le saut d’obstacles français a montré des lacunes techniques, ce qui expliquerait le recul des cavaliers au classement mondial et nos moins bonnes performances collectives. En réalité, nous traversons une phase qui dépasse largement la question de la compétence technique d’un chef d’équipe et même des compétences techniques des cavaliers. Comme d’autres nations, nous vivons une période creuse et devons nous reconstruire. Certains cavaliers ont perdu des chevaux, d’autres émergent grâce à leurs bons résultats, ce qui explique les fluctuations du classement. Dans cette période, il faut rester soudés et compter ses atouts, dont Philippe fait indéniablement partie, ne serait-ce que grâce à sa grande connaissance des couples français.
Si j’ai bien compris, la Fédération estime que Philippe est un très bon meneur d’hommes, mais qu’il ne serait pas forcément enclin à travailler sur ces lacunes techniques, qu’il est presque trop présent en concours mais qu’il n’organise pas suffisamment de stages en France. Je veux bien l’entendre, à condition que ce soit bien la véritable raison, et non un alibi. Je crois que Philippe est prêt à l’entendre aussi et à réorienter son travail, surtout dans cette difficile période. Techniquement, il est tout à fait capable d’aider chacun d’entre nous à franchir les caps nécessaires pour obtenir les meilleurs résultats possibles, notamment aux championnats d’Europe de Rotterdam, où nous nous battrons pour obtenir cette qualification olympique. En concours, son apport technique est indéniable, qu’il s’agisse des reconnaissances de parcours, des débriefings, etc. Sa vision du sport lui permet de planifier au mieux nos saisons, tout en gardant à l’esprit que, selon sa position au classement mondial, chacun ne peut pas participer à tous les concours. Je comprends que certains cavaliers puissent lui reprocher telle ou telle non-sélection, mais il ne peut pas satisfaire toutes les demandes.
Sa sélection pour les Jeux équestres mondiaux de Tryon a été encensée par tout le monde. Nous n’avons pas obtenu les résultats escomptés, c’est clair, mais nous ne faisions pas non plus partie des favoris pour le podium. Nous avons malheureusement terminé loin de la sixième place qualificative pour les JO (la France a terminé à 11,44 points de la surprenante Australie, ndlr), ce qui a reflété notre niveau avec les forces dont nous disposions à ce moment de notre histoire. Pour autant, il y a eu des choses très positives cette saison, avec l’arrivée de nouveaux couples qui seront sûrement plus aguerris et prêts l’an prochain. Rien n’est perdu. En revanche, pour continuer à progresser et bien se préparer, ces couples auront besoin d’évoluer dans de beaux concours, ce qui est de plus en plus compliqué. Et à ce titre, grâce à ses contacts et au temps qu’il prend chaque semaine pour passer des coups de téléphone aux organisateurs, Philippe nous rend d’énormes services. Il se bat toujours jusqu’au dernier moment pour nous, ce que le président Lecomte a bien compris durant notre réunion. Et dans l’état d’urgence actuel, la mise en place d’un nouveau système, quel qu’il soit, prendra forcément du temps…
 
G.P. : Pour toutes ces raisons, se séparer de lui ne serait-il pas un immense gâchis ?
K.S. : Si la Fédération prenait cette décision, ce serait effectivement un immense gâchis, d’abord sur le plan humain. Philippe est un homme respectable, intègre et honnête. Au-delà de notre équipe et de nos résultats, ce serait terrible que cela se termine comme ça. Là, j’ai le sentiment qu’on le traite comme un pestiféré ou un criminel. Je ne comprends pas pourquoi on le ferait sortir par la petite porte alors qu’il nous a permis d’obtenir tant de médailles et de grandes performances collectives et individuelles. J’espère que la Fédération n’ira pas dans cette direction-là. Je crois qu’une dernière réunion est programmée lundi. Les choses semblent mal parties, mais je veux encore y croire.