Malgré la guerre, les cavaliers ukrainiens se battent pour leur drapeau
La semaine dernière à Gorla Minore, une équipe ukrainienne a pris part à l’étape inaugurale de la série EEF Longines des Coupes des nations européennes. En dépit de l’invasion de leur pays par l’armée russe, qui poursuit malheureusement sa guerre atroce depuis plus d’un an, les cavaliers de cette nation émergente se battent pour faire vivre leur drapeau sur la scène internationale du saut d’obstacles. Tetiana Sheinich, cheffe d’équipe, et Anastasia Bondarieva, cavalière, évoquent l’impact de la guerre et partagent leurs ambitions sportives pour cette année 2023.
Sortir de piste avec le sentiment d’avoir bouclé la dernière épreuve de saut d’obstacles de sa carrière, non parce qu’on prend sa retraite, mais à cause d’une guerre totalement indépendante de sa volonté qui a forcé le cavalier à fuir sa maison, laissant sa vie dans l’incertitude la plus totale. Ce sentiment étrange et poignant, la cavalière de saut d’obstacles ukrainienne Anastasia Bondarieva et son équipe l’ont ressenti plus d’une fois depuis l’an dernier. Au cours des douze derniers mois, en dépit de l’invasion de son territoire par l’armée russe, l’équipe ukrainienne n’a cessé de se battre pour pouvoir continuer à concourir et représenter ses couleurs. “Je me rappelle très bien ce sentiment”, confie Anastasia, vingt ans, les larmes aux yeux, décrivant avec courage les jours qui ont suivi l’invasion de son pays. “Tout le monde essaie de faire bonne figure, mais personne ne sait vraiment ce qui va se passer. À ce moment-là, tout était inconnu. C’est difficile quand vous voyez les gens établir des plans pour aller d’une compétition à l’autre et que vous ne savez même pas si vous pourrez rentrer à la maison, et encore moins quel sera le prochain concours auquel vous pourrez participer. Cela fait un an maintenant et même si c’est épuisant, nous avons appris à nous accrocher. Je pense que les gens ne comprendront jamais à quel point tout cela nous épuise et nous déchire, aujourd’hui encore. Je n’ai pas de mots pour l’exprimer, mais j’ai vraiment eu l’impression que la vie s’était arrêtée, que les choses étaient bloquées et que mon pays s’était arrêté de fonctionner. Nous ne pouvions joindre personne: les banques ne travaillaient plus, les bureaux étaient fermés, nous ne pouvions pas communiquer avec nos familles, et nous ne pouvions pas rentrer à la maison.”
Tetiana Sheinich, sélectionneuse de l’équipe ukrainienne, jugeait impératif que son équipe conserve une raison d’être sur le plan sportif. Pour cela, elle devait fixer des objectifs afin de transmettre à ses cavaliers de l’espoir et un but sur lequel se concentrer. “Au début de la guerre, nos athlètes ont été très affectés, démotivés, incertains pour leur avenir et déprimés, ce qui les a affectés non seulement émotionnellement, mais aussi physiquement”, partage-t-elle. “Heureusement pour l’équipe, la fédération équestre ukrainienne a réagi rapidement lorsque la guerre a éclaté et a pris très tôt la décision d’évacuer les chevaux hors d’Ukraine. Il s’agissait d’une opération logistique de grande envergure, étant donné qu’il fallait encore remplir des documents pour transporter les équidés alors que tout le pays avait cessé de fonctionner du jour au lendemain”, explique-t-elle.
“Tout s’est arrêté, tout s’est effondré et les bureaux ont été fermés parce que nous n’avions plus d’électricité. Cependant, nous avons réussi à évacuer un grand nombre de chevaux et la majorité d’entre eux sont maintenant stationnés en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Compte tenu des bombardements, certains chevaux ont péri et de nombreuses écuries aient été totalement démolies par les combats. La Fédération et tous ses membres impliqués étaient déterminés à maintenir la représentation de l’Ukraine, car nous voulons que notre pays soit seulement vu comme une zone de guerre ou un champ de bataille. Il était très important pour nous de fixer des objectifs et des plans stratégiques pour que nos athlètes gardent un peu d’espoir en l’avenir et retrouvent leur motivation. Sans le soutien de notre Fédération, de la Fédération européenne et du Fonds de solidarité de la Fédération équestre internationale, notre équipe n’aurait pas pu continuer à participer à de telles compétitions. Notre fédération nous a énormément aidés, et les fonds qu’elle a accordés à certains cavaliers ont ensuite été utilisés pour permettre à l’ensemble de l’équipe de participer aux CSIO et autres compétitions.”
“Les cavaliers ont l’impression de ne pas faire leur devoir ou de ne pas respecter leur pays”
Comment se concentrer sur la compétition quand des événements aussi horribles se déroulent chez soi? “Lorsque la guerre a éclaté, nous étions tous en mode pause. Toutes nos familles étaient touchées d’une manière ou d’une autre et tout cela a évidemment eu un impact énorme sur le moral des cavaliers, qu’ils soient installés dans le pays ou non. Lorsque votre famille vit dans un pays en guerre, votre vie s’arrête. On ne peut pas simplement dire à une personne: ‘Il y a une Coupe des nations, allons-y!’ Il faut prendre en compte les tragédies qui frappent les siens, les morts, les blessés lourds et les destructions. Au sein même de notre équipe, de nombreuses personnes ont perdu leur maison et des proches ”, explique Anastasia.
Un peu moins d’un an et demi après le début de cette guerre inique, envers et contre le pire, l’équipe ukrainienne poursuit son chemin. “Nos familles, nos amis et nos collègues athlètes qui survivent en Ukraine ne quittent jamais nos pensées”, explique Tetiana. Il arrive encore que des athlètes, quel que soit leur discipline, remettent en question leur décision de continuer à concourir. “Ils ont l’impression de ne pas faire leur devoir, de ne pas respecter leur pays, de ne pas aider, même si nous essayons de leur montrer qu’ils représentent leur nation à une échelle différente et qu’ils accomplissent de cette façon un devoir, un engagement athlétique. C’est difficile pour eux, car ils ont l’impression qu’on aurait davantage besoin d’eux là-bas. C’est compréhensible, mais nous avons beaucoup de chance de les avoir ici. Nous sommes très privilégiés de pouvoir compter sur une équipe qui participe à des CSIO et puisse continuer à parler de ce sujet.”
L’Ukraine a perdu beaucoup d’athlètes depuis le début de cette guerre. “C’est triste à dire, mais beaucoup d’athlètes olympiques ont choisi de se battre pour leur pays plutôt que de partir. Il est important de comprendre que chacun d’entre nous qui concourt en ce moment garde une place ouverte pour tous ceux qui ont pris l’engagement de rester, car ils ont tout donné pour que nous soyons ici. Nous les portons dans nos cœurs et nos esprits, ainsi que ceux que nous avons perdus”, exprime Anastasia avec émotion. “Si nous abandonnons, nous n’aurons plus de pays.” Les cavaliers ne sont évidemment pas les seuls touchés. “Nous avions une palefrenière extraordinaire, qui avait servi dans l’armée bien avant de travailler avec les chevaux”, raconte Anastasia. “Lorsque la guerre a éclaté, elle a été saisie d’un tel sentiment de devoir qu’elle a voyagé de Vilamoura au Portugal jusqu’en Ukraine. Comme il n’y avait plus de vols commerciaux, elle a voyagé à pied, en bus et en train juste pour pouvoir rentrer et servir notre pays.”
Compte tenu de tout cela, de la pression et des circonstances uniques dans lesquelles elle évolue aujourd’hui, l’équipe ukrainienne s’est montrée très compétitive lors de l’étape inaugurale de la série Longines EEF des Coupes des nations européennes vendredi dernier à Gorla Minore, finissant huitième avec seize points. “Nous ne sommes pas là pour faire du chiffre. Notre objectif principal reste de nous qualifier pour la finale de Varsovie et nous devons voir si certains de nos cavaliers peuvent participer aux championnats d’Europe en cours de route”, conclut Tetiana. “Concernant nos objectifs futurs, nous ne pouvons que penser à la possibilité de participer aux Jeux olympiques, mais il y a encore du chemin à parcourir et nous verrons où tout cela nous mène.”