“Je paie très fort le prix d’avoir mené ce combat contre mon agresseur”, Alba Meulier

En 2016, à l’aube du mouvement #MeToo, ayant éclaté un an plus tard, la jeune femme qui a emprunté le nom d’Alba Meulier a porté plainte contre son ancien moniteur, l’accusant de viols et violences répétés entre ses quinze et vingt-cinq ans. Depuis, son agresseur, Olivier Desgouilles, a été condamné à douze ans de prison. À travers “Dissociée”, ouvrage publié l’an passé aux éditions de l’Onde, la professeure et mère de famille entend contribuer au mouvement de libération de la parole des victimes. La Jurassienne retrace un parcours poignant et forçant le respect.



Son ouvrage a été publié l’an passé aux éditions de l’Onde.

Son ouvrage a été publié l’an passé aux éditions de l’Onde.

© DR

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre?

À la base, c’était un journal intime, que j’ai commencé à écrire à partir du moment où j’ai déposé plainte pour les viols que j’avais subis. J’y décrivais, plus ou moins régulièrement, mon état d’esprit et ce qu’il se passait en moi durant ce combat judiciaire. Le procès arrivant, j’ai commencé à envisager une éventuelle publication. Puis, lorsque mon agresseur a été jugé coupable, je l’ai fait lire à des proches. Certains me déconseillaient de le rendre public, le jugeant trop intime, et d’autres, assez peu nombreux, me poussaient à le publier. Mais cela a été plus fort que moi et j’ai entrepris des démarches auprès de cinq éditeurs, dont un m’ayant rapidement recontactée. Il faut préciser qu’en 2016, à l’époque de nos premières actions judiciaires avec les autres victimes (elles ont été cinq à porter plainte, tandis que d’autres en auraient été empêchées par la prescription de faits présumés ou raisons personnelles, ndlr), le mouvement #MeToo n’avait pas vraiment démarré (cette vague de libération de la parole des victimes de violences sexuelles a commencé en 2007, mais a trouvé un véritable écho dans la société fin 2017 à la suite de l’affaire Weinstein, ndlr), donc il était encore plus difficile de parler qu’aujourd’hui.

La préface est signée par votre grand frère. Pourquoi lui?

En dehors de mon époux, c’est le seul membre de ma famille dont j’ai souhaité la présence lors du procès – si mes parents avaient été là, cela aurait été vraiment trop difficile… Pour comprendre l’envergure de ce que j’avais vécu, il fallait vivre ce moment. De ce fait, je lui ai proposé d’écrire la préface, ce qu’il a gentiment accepté.

Dans ce livre, vous racontez comment cet homme, Olivier Desgouilles, qui était votre moniteur d’équitation, vous a progressivement mise sous son emprise lorsque vous n’étiez encore qu’une jeune cavalière…

Il m’est arrivé ce que beaucoup de jeunes cavalières ont hélas connu… J’avais quatorze ans et j’étais passionnée par les chevaux. Cet homme, que j’appelle Sébastien dans mon livre, avait beaucoup de charisme et savait rouler des mécaniques comme on dit. Il avait tous les droits et tout le monde était sous son charme. Et il en a abusé. Il a profité de cette emprise, qu’il a progressivement construite pour agresser sexuellement et violer des jeunes filles, dont je fais partie. Il ajustait son mode opératoire en fonction des profils ; avec moi, il a joué la carte de l’amour. Il passait son temps à me dire que j’étais sa préférée, différente des autres… Lorsque j’ai vécu les premières agressions, je me suis convaincue qu’il s’agissait d’une histoire sentimentale tellement j’avais envie de répondre à ses attentes. En plus, je viens d’une famille catholique, au sein de laquelle on répète souvent que “le premier sera le dernier”, donc j’ai tout fait pour qu’il le soit… Pour moi, il avait quitté la jeune fille avec laquelle il était, qui s’est révélée être également une victime, se portant partie civile au procès d’ailleurs, donc j’y croyais. Je suis allée jusqu’à me marier avec lui, ce qui lui a permis d’asseoir une certaine crédibilité, car je faisais des études et venais d’une bonne famille. Mes parents m’avaient interdit de le voir quand ils avaient eu vent de notre premier baiser, mais avaient cédé sous ma pression… Avec le recul d’une adulte, et l’aide des médecins et psychiatres que j’ai consultés, j’ai compris qu’il s’agissait d’un mécanisme de protection pour que mon cerveau n’assimile pas que ma première fois avait été un viol. J’ai mis du temps à réaliser la saleté, la violence et la souffrance qu’il m’avait infligées. J’ai pris conscience très récemment de la douleur physique que j’avais ressentie. Mon corps a eu mal et je ne l’ai pas écouté.

Quel a été le déclic?

J’en ai eu plusieurs, et cela a été progressif. Je constatais des infidélités avec de très jeunes filles, je venais de devenir professeure… Ce qui est fou, et qui illustre bien le déni dans lequel j’étais enfermée, c’est que j’étais plus concentrée sur le fait qu’il me trompe que sur l’âge des intéressées. Et un jour, je suis tombée amoureuse de quelqu’un de mon âge. La porte de sortie a commencé à s’ouvrir. Ce garçon, avec lequel je ne suis plus en contact aujourd’hui, m’a aidée à réaliser qu’il existait autre chose. Je suis ensuite partie me réfugier chez mes parents, puis j’ai rencontré Tom, mon époux; un homme très solide, grâce auquel je n’ai pas replongé.

C’est à trente ans, quand je suis tombée enceinte de mon premier enfant, que la boîte de Pandore s’est vraiment ouverte. Mon accouchement a été extrêmement difficile et a déclenché quelque chose en moi. J’ai pris conscience de la gravité de ce que j’avais vécu. Lorsque j’ai entamé le combat judiciaire, j’ai dû quitter mon époux. Je devais être totalement libre, donc seule et indépendante d’un homme, pour le mener. Nous avons été séparés un an, puis nous nous sommes retrouvés. Aujourd’hui, nous formons une belle famille avec nos deux enfants, et je ne le remercierai jamais assez.