“J’ai vécu dix ans à Chantilly et j’y reviens toujours avec beaucoup de plaisir”, Rodrigo Pessoa

Rodrigo Pessoa est né à Chantilly il y a cinquante ans. Le fils du légendaire Nelson Pessoa était programmé pour devenir un immense champion. Si le père n’a remporté qu’un seul titre, celui de champion… d’Europe en 1966 à Lucerne – une bizarrerie de l’époque, Neco étant bien Brésilien –, le fils a raflé toutes les médailles d’or possibles: olympique en 2004, mondiale en 1998 et celle de la compétition par équipes des Jeux Panaméricains en 1995 et 2007, sans oublier ses trois victoires consécutives en finale de la Coupe du monde (1998, 1999, 2000). Les chevaux de ses exploits, Special Envoy, Tomboy, Lianos et Baloubet du Rouet appartiennent à l’histoire de l’équitation. Pendant une décennie, Rodrigo s’est fait plus discret à haut niveau. Mais à cinquante ans, il a retrouvé la flamme et une réelle motivation pour les Jeux olympiques de Paris 2024 grâce à un cheval, Major Tom, avec lequel il vient de prendre la quatrième place du mythique Grand Prix Rolex d’Aix-la-Chapelle, qu’il avait remporté en 1994. Depuis mercredi, la légende du saut d’obstacles honore la première édition de Chantilly Classic de sa présence. Entretien.



Avez-vous des souvenirs précis du début de votre enfance vécue à Chantilly? 

J’en garde de très beaux, notamment de cet endroit précis où je venais le week-end acheter des glaces, près des arbres, là-bas (il désigne la Mère-Marie, ndlr). Nous nous retrouvions entre enfants. Nous habitions à cinq minutes d’ici, rue de Creil. C’est un endroit que j’affectionne beaucoup. Nous faisions écurie commune avec Gilles de Balanda, Janou Lefèvre et Adeline Wirth, et beaucoup d’autres cavaliers passaient ici. J’ai vécu dix ans ici et je reviens toujours avec beaucoup de plaisir. 

Vous avez gagné tous les titres possibles et presque tous les plus beaux Grands Prix de la planète, dont ceux d’Aix-la-Chapelle, Calgary, Genève et Bois-le-Duc, qui composent aujourd’hui le Grand Chelem Rolex. Avez-vous conscience d’être une légende de votre sport? 

(soupir) Ce que je retiens surtout, ce sont les opportunités qui m’ont été données et les rencontres qui ont été super importantes dans ma carrière: Jean-Marie Dubois, qui m’a sponsorisé à dix-sept ans avec Moët & Chandon, Jorge Gerdau Johannpeter, Vittorio Orlandi, Max Hauri, enfin tous les propriétaires qui m’ont fait confiance, et tout mon entourage à commencer par mes parents. Je suis conscient de toutes les possibilités que ces gens m’ont offertes et je suis heureux de ne pas les avoir gâchées, d’avoir su saisir ces chances et de les avoir converties en résultats positifs. C’est surtout cela que je retiens, plus que mes médailles et mes échecs. 

Après l’année 2010, marquée par deux belles quatrièmes places aux Jeux équestres mondiaux (JEM) de Lexington avec HH Rebozo La Silla, vous vous êtes fait plus discret à haut niveau jusqu’à cette année. Que s’est-il passé pendant cette période?

Après 2010, il y a encore eu les Jeux olympiques de 2012, à Londres, toujours avec Rebozo qui allait bien jusqu’au dernier tour qu’il n’a pas tenu. Ensuite, nous avons essayé de reconstruire et de nous entourer de nouveaux investisseurs (Rodrigo a d’ailleurs participé aux JEM de Normandie 2014 avec Status et aux JO de Tokyo en 2021 sur Carlito’s Way 6, ndlr). Trouver des chevaux de ce niveau est très compliqué parce qu’ils coûtent très, très cher. Ce sport est devenu plus élitiste que jamais. J’ai certainement ressenti une petite lassitude en moi, ce qui peut paraître normal quand on a pratiqué un sport pendant si longtemps. Même si c’est un très, très beau métier, qui permet de voyager et de faire des rencontres fantastiques, c’est fatigant, car tous ces voyages sont contraignants. Et puis l’histoire de 2016 avec George Morris (l’Américain, alors sélectionneur et entraîneur de l’équipe brésilienne, avait écarté Rodrigo de sa sélection pour les Jeux de Rio, ndlr) m’a mis un gros coup derrière la tête. Là, j’ai décidé de prendre encore plus de recul. J’ai eu l’opportunité de coacher l’équipe d’Irlande pendant trois ans. C’était un chouette défi (réussi avec un titre européen par équipes obtenu en 2017 à Göteborg, ndlr). Aujourd’hui, je me réjouis de pouvoir revenir au premier plan, de rebondir avec une nouvelle organisation et de nouveaux propriétaires, et d’essayer de refaire un dernier tour de manège.

Avez-vous retrouvé le même sport à votre retour à très haut niveau?

Certains concours sont devenus très commerciaux. Il y a une offre plus large de concours, peut-être trop large. Le sport a pris une telle envergure et il y a tellement de cavaliers de haut niveau que tous ces concours sont sans doute devenus nécessaires pour éviter des événements avec plus de cent cavaliers. Pour autant, il y a des concours qui savent se limiter et garder une âme comme ce Jumping de Chantilly, même s’il y a beaucoup d’engagés – je comprends bien les contraintes financières des organisateurs.



“Major Tom a des qualités que Baloubet n’avait pas, mais celui-ci avait des points forts que Major Tom n’a pas”

Revenir à Chantilly pour pratiquer votre sport vous procure-t-il un sentiment particulier?

Évidemment. Ici, le cadre est vraiment unique, exceptionnel. Les terrains sont bons et l’organisation est éminemment accueillante: Vincent (Goehrs, président du groupe GRANDPRIX, ndlr) et ses équipes se battent pour produire un événement de qualité qui correspond parfaitement à nos attentes. D’ailleurs, je trouve que les épreuves équestres des Jeux olympiques auraient dû être organisées ici. Il n’était vraiment pas nécessaire de les organiser à Versailles. Chantilly est un lieu qui a bien plus de légitimité et propose un environnement meilleur pour les chevaux, qui ont un cadre, de l’espace, etc. Bref, c’est bien dommage. 

Que pouvez-vous dire de Quick Step (Han, Quintender x Calido I), le cheval que vous montez à Chantilly Classic? 

Quick Step est un hongre de dix ans. Je l’ai doucement lancé en Grands Prix l’an dernier. Il est encore vert et en plein développement. Il n’a pas encore tout à fait le niveau, mais il a un bon potentiel. 

Quid de Major Tom (BWP, Vagabond de la Pomme x Heartbreaker), votre autre hongre de dix ans qui vous a redonné la flamme et qui vient de finir quatrième du Grand Prix Rolex d’Aix-la-Chapelle… 

Nous l’avons acheté à l’âge de sept ans. Nous avons vite remarqué qu’il avait des qualités exceptionnelles, mais nous avons pris tout notre temps pour l’éduquer. Nous commençons à récolter les fruits de ce travail de patience. Major Tom a vraiment tout: l’équilibre, l’intelligence, la force, le respect, etc. Tout ce qu’on recherche chez un cheval et qui facilite tellement la vie du cavalier. 

Comme Baloubet du Rouet?

C’est différent. Major Tom a des qualités que Baloubet n’avait pas, mais celui-ci avait des points forts que Major Tom n’a pas. Reparlons-en quand il aura un palmarès à la hauteur de celui de Baloubet. Sa carrière ne fait que commencer, et comme on dit, c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses !

L’ambition ultime est claire: les JO de Paris 2024? 

Oui, même si c’est à Versailles (rires)! Il est évident que c’est notre objectif, mais devons encore nous qualifier pour ces Jeux. Pour cela, il nous reste encore deux chances entre la finale mondiale des Coupes des nations Longines à Barcelone fin septembre et les Jeux panaméricains de Santiago du Chili en octobre et novembre. Ça devrait le faire. Paris est le but majeur, mais il ne faut pas se fixer d’objectifs trop lointains car il n’y a rien de tel que les chevaux pour nous faire mentir. 

Un petit mot sur Ludger Beerbaum qui annoncé sa retraite sportive à Aix-la-Chapelle? 

La retraite d’un tel champion résonne toujours comme un coup de tonnerre. Ludger est une vraie légende de notre sport. Il a été une référence pour nous tous. Nous savions que cela arriverait un jour, mais nous avons été pris de court avec la manière dont cela s’est passé. Personne n’était au courant de son annonce. Cette façon de prendre tout le monde par surprise, sans trop en faire, est caractéristique de sa personnalité, de sa discrétion. J’ai trouvé cela très classe, d’autant qu’il l’a fait chez lui, en Allemagne, sur un terrain de concours où il a connu bien des succès (il y a gagné le Grand Prix à trois reprises, ndlr), sans effet d’annonce. C’est quelqu’un que j’ai toujours beaucoup apprécié. Il a été mon “baromètre” pendant très longtemps et je ne peux que saluer cette très belle sortie! 

Et sur Pedro Veniss à qui tout semble sourire à Chantilly Classic? 

Pedro est l’un des rares cavaliers brésiliens à s’être établi en Europe avec une organisation solide, des élèves et une activité commerciale de chevaux, sans repartir au pays, contrairement à beaucoup de cavaliers brésiliens qui ont essayé. Il est allé jusqu’au bout de son projet en fédérant une belle équipe. Il est l’un des seuls à avoir coupé les ponts avec son pays natal et à rencontrer autant de succès en compétition (avec Marlon Módolo Zanotelli, ndlr). On peut dire de lui que c’est quelqu’un qui a réussi. De plus, il n’est pas encore au bout du chemin, il en a encore de très belles années devant lui. Cela me fait plaisir.

Et à propos de pays natal, comptez-vous y retourner un jour? 

Oui, nous y retournons… en vacances pour retrouver la famille… Mais une fois par an seulement! Ma vie est aux États-Unis. Le Brésil a peu à nous offrir à part les vacances ou la famille. C’est un pays qui traverse beaucoup de difficultés, et l’on vit mieux ailleurs. 

Je parlais de Chantilly… 

(rires)



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