“Si un cheval saute très bien seul, mon objectif est qu’il saute tout aussi bien avec son cavalier”, Bruno Garez (2/2)

Deuxième d’une épreuve à 1,50m du CSI 4* de Chantilly Classic avec United Sunheup mi-juillet, Bruno Garez a été sélectionné avec son étalon pour représenter la France lors de la Coupe des nations du CSIO 5* d’Hickstead ce week-end. Cinq ans après sa dernière sélection en première ligue pour représenter l’équipe de France, le Saône-et-Loirien évoque cette occasion donnée dans la première partie de l’entretien, mais aussi l’échéance olympique qui approche, ainsi que sa vision du bien-être animal.



La première partie de cet entretien est en ligne ici. 

Vous dites être attaché au bien-être de vos chevaux, à quels aspects êtes-vous particulièrement attentif ? 

Depuis que j’ai commencé à monter, je n’ai jamais changé d’avis. J’ai démarré à dix-huit ans en tant que professionnel. On m’amenait des chevaux pour que je les présente pour les modèles et allures. Nous les faisions sauter en liberté, une chose que j’adore. Ma théorie était très simple : si un cheval saute très bien seul, mon objectif est qu’il saute tout aussi bien avec son cavalier. Ce dernier doit être capable de ne pas le gêner, avant de vouloir aider le cheval à mieux sauter. C’est le plus difficile à faire. Je suis obsédé par mon attitude ou celle du cavalier que je fais travailler à cheval. Ce dernier doit pouvoir s’exprimer au mieux. J’adore quand l’équitation est très fluide. C’est un sentiment incroyable que j’essaye toujours d’obtenir. Je fais comme si mon cheval était en sucre, fragile, et que je devais me faire oublier. 

Cela se traduit-il par un harnachement différent ?  

Ce n’est pas moi qui l’ai inventé, mais je pense qu’un très bon cavalier peut monter avec un mors “dur” et avoir une main de velours ou monter avec un mors “doux” et avoir une main trop forte. C’est peut-être ce que les gens ont du mal à comprendre quand on voit les commentaires sur les réseaux sociaux. Je pense cependant que je monte à quatre-vingt-dix pourcent du temps en filet simple. C’est ma façon de préparer les chevaux dès le plus jeune âge, je pourrais même peut-être mettre un mors plus dur sur un cheval qui me semble en avoir besoin. Je ne pense pas qu’il faille être extrême. Cependant, il reste beaucoup plus agréable de monter en filet simple. La connexion est plus franche et agréable. Le plus important reste la main du cavalier. Je suis très attaché à cela. Par exemple, mes élèves, ont interdiction de mettre “un coup de main” et ils le comprennent très vite. Je leur explique que le plus important n’est pas l’abord mais l’équilibre du cheval. Il se débrouillera par lui-même par la suite. Le cheval préfèrera sans doute un abord un peu près de l’obstacle avec une main douce qu’un abord parfait, préparé au dernier moment, avec une main forte. Il y a plusieurs techniques et je ne critique pas celle des autres mais voici la mienne. J’aime la fluidité. Cependant, si un week-end en concours, l’abord ne vient pas comme je le voudrais, peut-être que j’aurai une main plus forte parce que je n’ai pas d’autre option, mais cela ne me fera pas plaisir.

“Pour qu’un cheval soit régulier, il faut qu’il se fasse plaisir, que ce soit agréable, sinon ça ne dure pas.”

“Pour qu’un cheval soit régulier, il faut qu’il se fasse plaisir, que ce soit agréable, sinon ça ne dure pas.”

© Sportfot



“Je suis très déçu que l’on n’ait pas interdit les guêtres postérieurs”

Érigé un peu à son insu “représentant du bien-être équin” depuis son changement de méthode, Grégory Cottard dit que ses prises de parole n’avaient pas toujours été très bien accueillies par ses confrères. Comment l’expliquez-vous ?

Tout dépend comment les choses ont été interprétées. Je pense que ce que Grégory essaye d’avoir le plus de fluidité possible avec son cheval. C’est là que je le rejoins. Il essaye des choses mais je ne peux pas parler à sa place. J’ai monté des années en filet simple sans martingale. Je me suis rendu compte que j’étais l’un des seuls à ne pas mettre de martingale. Par conséquent, j’ai essayé et je monte désormais avec une martingale élastique. Je suis incapable de vous dire s’il y a une réelle amélioration. Parfois je la mets, parfois non. Si je la laisse, c’est que je suis convaincu que ça ne gêne pas le cheval. De même pour les protège-boulets. Je n’en mets que des normaux, avec lesquels je trouve que les chevaux sautent plus naturellement. Après tout, chacun a sa façon de voir les choses. Je pense que tous les cavaliers diront la même chose : nous sommes fiers de nous quand nous sortons d’un parcours fluide, sans accros, mais nous ne pouvons pas tout le temps être parfaits. Je ne pense pas que Grégory ait voulu dire que monter en bride était mal, par exemple. Il faudrait lui poser la question. Il fait partie de ces cavaliers comme moi qui cherchent. Pour ma part, j’essaye de me mettre à la place du cheval. Il a besoin de choses simples et j’essaye d’être respectueux envers lui. Pour qu’un cheval soit régulier, il faut qu’il se fasse plaisir, que ce soit agréable, sinon ça ne dure pas.

Avez-vous abandonné l’idée des fers ? Quelle solution avez-vous choisi pour continuer à concourir sur l’herbe ? 

Cela fait très longtemps que je ne ferre plus mais je me planquais un peu. Je me suis posé la question : à quoi les fers servent-ils ? C’était très mal vu, les gens avaient tendance à dire que c’était un acte de maltraitance. Avec mon tempérament de toujours vouloir essayer de nouvelles choses et grâce à Michel Hécart puis Julien (Épaillard, ndlr) qui en ont fait la pub, je me suis moins caché. Mon avis est que nous ne sautons plus du tout sur les mêmes sols qu’avant. Pour un cheval paré régulièrement et que l‘on fait sauter sur des sols de qualité, la solution sans fers est une bonne solution. Je ne les enlève pas parce que je me dis que mon cheval va mieux sauter sans. Je le fais car si je ne saute pas sur l’herbe, je n'en vois pas l’intérêt. J’ai referré pour concourir Chantilly car j’avais ma petite idée derrière la tête, c’est-à-dire une chance d’être sélectionné pour un CSIO sur l’herbe, et cela a fonctionné. Je vais donc le faire avec un cheval ferré, qui se comporte bien avec. Nous avons utilisé une nouvelle technologie grâce au scan : des fers en plastique. J’aurai aussi pu opter pour des fers classiques. Je ne suis pas fermé à l’idée. Ce que je trouve intéressant est qu’il est moins dangereux d’avoir un cheval déferré, surtout lorsqu’il est chaud comme le mien. Au paddock ou dans la vie de tous les jours, il ne se blesse pas. En revanche, c’est plus de travail. Il faut tout le temps surveiller les pieds. J’ai toujours sur moi ma petite râpe et je veille au grain. Les mentalités évoluent ; cela paraissait complètement aberrant de ne pas ferrer, et finalement, on se dit “pourquoi pas ?”. Je n’avais pas de certitude. Avec mes maréchaux, nous avons fait des essais et je me suis fié à leur expertise. Je précise toutefois qu’il n’y a pas de cailloux chez moi, pas même quand je vais en balade. Je pense que cela peut être différent pour ceux qui évoluent sur des sols moins adaptés. 

L’évolution des pratiques est-elle suffisamment rapide selon vous ? 

Je ne vais pas me faire des amis mais j’ai le droit d’avoir un avis. Je suis très déçu que l’on n’ait pas interdit les guêtres postérieurs (la réforme concernant les guêtres et particulièrement les double-coques a été allégée en cours de route, ndlr). Nous en avons beaucoup parlé, puis finalement, rien ne s’est fait. Sans même parler de bien-être animal, je pense que les chefs de piste ne savent plus quoi faire pour voir moins de sans-faute dans les épreuves. Les taquets sont de plus en plus plats, les temps accordés de plus en plus courts… Nous y gagnerions tous à mettre des protège-boulets normaux. Les double-coques devaient être interdits mais la décision a été revue. Je trouve cela dommage.

Élégante de Curaine au Longines Global Champions Tour de St-Tropez en mai dernier.

Élégante de Curaine au Longines Global Champions Tour de St-Tropez en mai dernier.

© Sportfot



“La plupart du temps, on gagne à rester calme”

Craignez-vous les associations animalistes ?  

Peut-être qu’on en parle un peu trop et qu’on en fait trop la publicité. Je ne les crains pas parce que je n’ai pas l’impression d’avoir quelque chose à me reprocher par rapport à cela. Je ne fais pas tout cela pour faire plaisir aux gens ou être à la mode. Il s’agit juste de ma façon de penser. 

Regrettez-vous certaines méthodes que vous auriez pu employer par le passé ? 

Non, pas vraiment. J’ai toujours fonctionné comme je l’ai expliqué. Des amis qui voulaient m’aider m’ont dit un jour que j’étais trop gentil avec United Sunheup et que je devrais être un peu plus sévère mais ce n’est pas mon état d’esprit. Mon grand-père était éleveur. Quand j’étais plus jeune, à treize ou quatorze ans, il m’a donné un cheval qui était très compliqué. Il n’avait pas beaucoup de qualités pour faire du concours hippique. J’ai essayé de le monter seul mais n’y arrivais pas. Plus j’essayais de le contraindre, plus il était hystérique. Mon grand-père était vexé car je disais que son cheval était sympa mais qu’il était trop difficile. Lorsque mon grand-père est décédé, cela m’a fait beaucoup de peine et j’ai eu envie de lui faire plaisir. Il fallait que je trouve une solution. Ce cheval m’a permis de comprendre ces choses. J’ai été patient, doux, l’ai monté plusieurs fois par jours… Je n’ai jamais rien fait d’exceptionnel avec lui mais il m’a fait comprendre que les chevaux sont faits pour manger de l’herbe, qu’ils n’ont rien demandé et que chaque animal a son tempérament. À nous de nous adapter à eux, de prendre le temps de leur faire comprendre ce que l’on veut, patiemment et de les emmener là où nous en avons envie. Je répète à mes élèves que si cela se passe mal avec un cheval pendant une séance et qu’ils s’énervent, il vaut mieux descendre et recommencer le lendemain. Cela ne sert à rien de s’agacer, nous en sortons toujours perdants. Cela dépend aussi des chevaux, il y en a des costauds, d’autres moins. Le mien, je l’ai choisi à deux ans et demi. Il est le type de cheval que j’adore ; fin à monter. D’autres cavaliers peuvent ne pas aimer. 

Avez-vous été témoin d’agissements qui vous ont choqué ?  

Bien sûr, mais les choses évoluent vraiment dans le bon sens. Il y a de plus en plus de bons cavaliers, qui gagnent en finesse, en partie parce que les chevaux ont évolué. Un jour, deux de mes élèves se sont énervés sur leurs chevaux. Je leur ai passé un savon et leur ai expliqué pourquoi. Tous deux sont devenus professionnels, et plus tard, ils m’ont remercié. Quand j’avais seize ans, j’ai perdu une phalange en attachant un cheval. Les gens m’ont demandé ce que j’avais fait au cheval après cela. Je leur ai répondu que je ne lui avais rien fait. J’ai juste remonté comme si rien ne s’était passé. Je ne pouvais rien lui faire, cet accident est simplement arrivé. Je ne dis pas que quelques fois, il ne faut pas montrer un peu de fermeté, mais la plupart du temps, on gagne à rester calme. Ma façon de penser est juste simple. 

Comment voyez-vous la montée en puissance de l’équipe de France en vue des Jeux olympiques de Paris en 2024 ?   

Je ne vois pas dans la boule de cristal, je n’ai pas ce talent ! (Rires) Quelques couples évoluent très bien, mais nous savons ce qu’est un cheval. Une blessure au dernier moment est vite arrivée, et il en va de même pour les cavaliers. Je suis bien placé pour le savoir, je me suis bien cassé pendant ma carrière et j’ai fait un peu n’importe quoi avec mon physique. Pour les JO, je pense que plusieurs cavaliers préparent les chevaux pour cette échéance, et ça va le faire ! Mon cheval a le potentiel de faire les Jeux, mais je sais aussi que nous sommes en France. Il n’y a que trois cavaliers qui y participeront et le sélectionneur va bien sûr privilégier des cavaliers très expérimentés avec les meilleurs chevaux possibles. 

Récemment, la France a dévoilé sa liste longue de couples pressentis pour l’échéance. Que pensez-vous des forces en présence ?  

La question piège ! (rires) Je pense que l’entraineur va se creuser la tête, c’est sûr. Il y a eu des périodes où l’équipe de France était certainement plus sereine qu’aujourd’hui. Mais rien n’est impossible !

Avez-vous prévu d’assister aux Jeux olympiques ?  

Non ! (Rires) Y aller comme spectateur n’est pas quelque chose qui m’attire. Je regarderai à la télé ! 



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