“L’exigence est l’une des priorités dans notre sport, tout comme la sécurité”, Pierre Le Goupil

Habitué à dessiner le cross des concours internationaux organisés au Pin-au-Haras, Pierre Le Goupil a, logiquement, imaginé le tracé du test de fond des championnats d’Europe qui se déroulent actuellement dans la petite commune de l’Orne. Également désigné chef de piste pour les Jeux olympiques de Paris 2024, il explique comment il a dessiné le parcours que les cavaliers affronteront demain, samedi 12 août, au Pin, et donne un éclairage sur les facteurs importants pouvant moduler l’exigence du tracé. Il s’exprime également sur le niveau de difficulté qu’il a souhaité proposer pour cette échéance.



Quelle philosophie vous a animé pour dessiner le cross de ces championnats? 

Je ne suis pas philosophe. J’espère être un homme de cheval, j’aime la campagne et essaye du mieux que je peux d’être un paysagiste et un jardinier. Je tente de proposer des parcours engageants pour les chevaux et les cavaliers, tout en restant exigeant. L’exigence est pour moi l’une des priorités dans notre sport, tout comme la sécurité des cavaliers et des chevaux. Il y a de nombreux facteurs que nous devons prendre en considération pour dessiner le meilleur parcours possible sur le terrain mis à notre disposition. J’ai également dû m’adapter à un aspect pour moi inédit dans la conception de ce tracé: d’habitude, je construis mes obstacles moi-même, alors que je travaille pour la première fois avec un fabricant professionnel d’obstacles pour ces championnats d’Europe. J’ai eu l’occasion de rencontrer Dominic Moor (qui construit notamment les difficultés des cross du Royal Jump de Bertichères et de l’International de Hartpury, ndlr) cette année, et je dois dire que c’est un vrai cadeau pour moi de pouvoir travailler avec lui. Je me suis appuyé sur sa créativité en matière de construction, ce qui est vraiment appréciable.  

C’est la première fois que vous êtes chef de piste lors d’un tel championnat, n’est-ce pas? 

C’est mon premier championnat Séniors, oui. J’avais cependant déjà conçu le parcours d’une échéance continentale Juniors il y a quelques années. Par ailleurs, je dessine le tracé pour la Coupe des nations du Pin-au-Haras depuis des années, et encore avant cela, j’ai eu l’occasion de mettre en place des épreuves Coupe du monde au sein de notre domaine familial de Martinvast. 

À votre avis, combien de cavaliers peuvent signer un maxi samedi? 

Pas beaucoup! En effet, le terrain risque d’être assez collant, même si la météo joue pour l’instant en notre faveur. Il y a de cela trois semaines, tout laissait à penser que les conditions de compétition seraient sèches et chaudes. Nous nous préparions également à des restrictions d’eau, et ce même si le site est autonome en termes d’irrigation. L’année dernière, les cavaliers engagés dans le Coupe des nations sur cette même piste ont concouru alors que les températures avoisinaient les 35° voire même 36°, ce qui restait acceptable car il y avait beaucoup d’humidité et que nous pouvions arroser pendant la nuit. Personne ne s’était plaint du sol malgré la chaleur. Il y a une vingtaine de jours, nous avons donc commencé à arroser le terrain en anticipant la vague de chaleur à venir. Mais soudainement, les prévisions ont totalement changé et près de deux cent cinquante milimètres de pluie sont tombés en deux semaines, ce qui est beaucoup, d’autant plus sur un sol argileux comme celui du Pin-au-Haras. Le sol sera donc assez collant durant l’épreuve, ce qui met un peu plus de pression sur les épaules des cavaliers, qui vont également devoir gérer la topographie particulière du site: le terrain n’est quasiment jamais plat, hormis dans les gués. Les cavaliers vont donc devoir s’adapter et notamment gérer les efforts de leurs chevaux pour garder suffisamment d’énergie en fin de parcours. 

Avez-vous pensé à retirer certains obstacles si la météo venait à rendre le tracé encore plus difficile? 

Peu importe les conditions, il est nécessaire d’avoir un plan B. Donc la réponse est oui, nous en avons un. Pour l’instant, nous n’avons pas pris de décision définitive. Nous gardons un œil sur les conditions météorologiques, ce qui fait partie de notre travail. Nous attendons et nous ajusterons si besoin. 

Avez-vous des inquiétudes quant à certains aspects de votre tracé en particulier? 

Le scénario que tout chef de piste souhaite à tout prix éviter est d’avoir un juge de paix dans son parcours. Je pense que dans le cas de notre tracé, les pénalités seront disséminées un peu partout, et ce, même si?certains obstacles peuvent sembler plus impressionnants que d’autres. Les cavaliers devront rester vigilants à l’abord de chaque difficulté. Ils devront être concentrés, réactifs, mais également très solides et équilibrés sur leurs étriers. Dès le premier gué (qui arrive en numéro sept, ndlr), par exemple, un manque d’équilibre sur leur cheval peut facilement les faire sortir de leur axe. 

Dans quelle mesure avez-vous fait usage de Mim’s? 

Nous avons utilisé ce système de sécurité avec parcimonie. Je suis très heureux de les utiliser quand cela est nécessaire et je pense que c’est un outil très utile. Cela force les cavaliers à monter de manière différente. Sur ce genre d’obstacles, ils ne peuvent pas monter de manière téméraire comme ils le feraient sur des obstacles plus massifs, il doivent retenir leurs chevaux et préparer leurs abords pour franchir les obstacles sans pénalités.? 

La plupart des cavaliers et observateurs trouvent ce cross vraiment exigeant, d’autant plus pour un championnat. Qu’en pensez-vous? 

Il y a forcément toujours un petit peu de psychose et de débats autour de la difficulté du parcours en championnat, mais je ne pense pas que ce soit nécessairement une mauvaise chose, car cela pousse les cavaliers à réfléchir plus avant de rentrer en piste.?Je suis tout à fait conscient de l'exigence que Dominic et moi imposons aux couples, que ce soit en matière de tracé ou de par l’aspect des obstacles.  

Quand on connaît un site par cœur comme c’est votre cas pour celui du Pin, comment fait-on pour dessiner un parcours inédit? 

Je travaille beaucoup à partir d’images satellites et de plans sur papier dans un premier temps. Ensuite, je viens vérifier la faisabilité sur le terrain. Il faut également savoir qu’un site évolue continuellement, au fil des saisons par exemple, donc même si nous le connaissons, il faut le réinterpréter à chaque fois. Après cela, et depuis deux mois environ, Dominic et moi avons travaillé ensemble de manière quasi quotidienne jusqu’à arriver à un résultat qui nous satisfaisait tous les deux. Dans les derniers jours avant la compétition, enfin, l’habillage des obstacles est très important et permet de moduler la difficulté. 

Vous serez également le chef de piste des Jeux olympiques de Paris l’an prochain. Aviez-vous cela en tête en imaginant le parcours que vous proposez pour ces championnats d’Europe? En avez-vous profité pour tester des enchaînements, par exemple? 

Non. Ce sont deux parcours totalement différents. D’abord, les obstacles de cross ne seront pas construits par la même personne à Versailles, où se dérouleront les épreuves équestres des JO. Les deux terrains sont également complètement différents, donc je ne pense pas que cette échéance continentale soit réellement une préparation pour l’an prochain. L’année dernière, une grosse partie des cavaliers européens sont venus concourir ici, au Pin, quelques semaines avant les Mondiaux de Pratoni, car ils savaient, de par la topographie, le type de sol, etc., que c’était une bonne préparation pour ces championnats du monde. J’en avais d’ailleurs tenu compte pour établir mon tracé. 

On sait qu’il n’y aura pas de test event à Versailles, mais vous allez tout de même procéder à des tests bientôt, n’est-ce-pas? 

Oui, tout à fait, mais ils ne vont rien m’apprendre, car je sais déjà que le sol sera parfait pour ces Jeux. Le but de ces tests est de rassurer tout le monde sur la qualité de l’organisation, du site et du sol. Je ne peux pas certifier qu’il n’y aura pas de conditions climatiques cataclysmiques inattendues l’an prochain, mais je peux garantir que le sol sera parfait, et c’est très rare! Ici, au Pin, personne ne peut assurer à l’avance que les conditions de compétition seront parfaites. Le terrain est toujours préparé au mieux, mais le sol est argileux et on ne peut pas changer sa nature. Neuf années sur dix il va être très bon, et la dixième, il sera très lourd et donc moins adapté. Ce n’est pas pour cela qu’il faut s’en priver! 

En revanche, si je suis persuadé de la qualité du sol, il sera intéressant, lors des tests à Versailles, d’observer le comportement des chevaux sur les pontons qui permettront de traverser le Grand canal, même si ceux-ci ont déjà été testés dans des configurations différentes.