“Il est difficile d’avoir des objectifs quand on a l’impression d’être lâché dans la nature”, Juliette Faligot
Indissociable de sa brillante Arqana de Riverland, avec laquelle elle a contribué à plusieurs succès de la France dans des Coupes des nations de seconde division, Juliette Faligot s’est également offert cette année le titre de vice-championne de France. Si elle ne compte que sur sa grise de treize ans pour accéder au plus haut niveau, la Nordiste n’en est pourtant pas moins une cavalière pleine de ressources. Rencontrée à l’occasion au Longines Deauville Classic il y a deux semaines, elle est revenue sur son début d’année et a évoqué l’évolution de son système, ainsi que les obstacles auxquels elle fait face pour accéder aux plus beaux concours.
Comment allez-vous? Comment se passe votre première moitié d’année 2023?
Je vais bien! S’il y avait un peu plus de soleil, ce serait encore mieux, on en a marre (à Deauville, lors de l'entretien, ndlr) ! Sportivement, j’ai pas mal de résultats avec Arqana et d’autres chevaux aussi. On peut toujours rêver de faire mieux, mais tout va bien.
Vous montez Arqana de Riverland (SF, Cornet Obolensky x Diamant de Semilly) depuis plusieurs années déjà. Elle impressionne toujours par sa régularité. Quel regard portez-vous sur sa progression?
Je la monte depuis qu’elle a sept ans. Quand je l’ai eue, elle n’avait rien fait à six ans, même si elle avait fait quelques concours à quatre et cinq ans. J’imagine qu’à sept ans, elle était un peu en retard par rapport aux autres chevaux de sa génération. J’ai donc dû commencer assez petit, mais elle a rattrapé son retard à une vitesse incroyable. Elle est vraiment douée, voire surdouée ! Elle n’a jamais cessé de progresser. Il y a deux ou trois ans, il m’arrivait de sortir de piste en me disant qu’elle avait encore gagné en moyens. Aujourd’hui, elle se montre à la hauteur dans tous les parcours et elle gagne en sérénité grâce à son expérience. Elle est juste… incroyable! (Rires) En début de saison, j’ai directement gagné un Grand Prix 3* à Vilamoura lors de sa deuxième semaine de concours. Ensuite, nous avons été deuxièmes du championnat de France Pro Élite, puis nous avons réalisé plusieurs classements. Pendant une période, j’ai testé de nouvelles embouchures, comme le hackamore, parce qu'Arqana s’était blessée dans la bouche, donc j’ai été obligée de faire avec pendant deux ou trois semaines mais cela n’a pas été totalement satisfaisant. La sensation de saut était bonne, donc je me suis dit que j’allais essayer en piste, pour voir, mais il me manquait un peu de contrôle donc nous sommes revenues à la base, une bride comme lorsqu’elle avait sept ans. Nous essayons toujours de nouvelles choses pour être les plus performantes. Ce sont des petits détails qui peuvent permettre d’être plus rapides et de gagner plus.
Cela passe-t-il aussi par de nouvelles façons de s’entraîner?
Non, pas tellement. Je pense que nous avons trouvé un bon système. Peut-être, que nous pourrions l’améliorer, je ne sais pas. Cette façon de faire a l’air de lui convenir. Il s'agit plutôt des changements de matériel, une gourmette différente ou une nouvelle texture sur le mors... Si cela ne convient pas, nous changeons et essayer autre chose.
Arqana est-elle ferrée ?
Oui. Elle va bien comme ça. Je ne suis pas du tout contre les chevaux déferrés. J’en ai d’ailleurs une de huit ans à qui cela correspond davantage. Je compte sauter sur l’herbe avec Arqana. Elle est top sur ce type de piste, donc tant que cela lui va, je ne le changerai pas.
“Nous sommes là quand on nous demande d’être présentes”
En mars dernier, vous auriez dû participer au premier CSI 5* de l’année au Saut Hermès. Vous vous êtes finalement retirée de la compétition. Que s’est-il passé ? Comment l’avez-vous vécu ?
J’étais partie faire une tournée à Vilamoura pendant cinq semaines quand le sélectionneur français, Henk Nooren, m’a appelée pour savoir si je voulais participer au Saut Hermès à mon retour. Il est difficile pour moi de refuser des entrées dans des compétitions 5*. Les portes ne me sont pas tellement ouvertes étant donné que je n’ai qu’un seul cheval capable de concourir à ce niveau et que je ne figure pas très haut dans le classement mondial. J’ai donc dit oui, mais notre préparation n’était pas tout à fait au point. Je n’avais pas encore sauté en indoor, alors que d’autres cavaliers l’avaient fait tout l’hiver. Les points de repère ne sont pas du tout les mêmes entre une immense piste comme celle de Vilamoura et une autre vraiment étroite. J’étais un peu déçue sur le moment, mais cela s’est expliqué. Arqana sortait de quatre Grands Prix à Vilamoura où elle y avait de l’espace pour de grandes galopades. L’approche n’est pas du tout la même entre préparer un concours en extérieur et le faire pour le Saut Hermès. Même avant d’y aller, je savais que cela allait être difficile. Il faut toujours prendre du recul et en tirer l’expérience nécessaire pour ne pas recommencer les mêmes erreurs. Mais il reste difficile pour moi de refuser ces opportunités parce que je n’en ai pas beaucoup. Cette année, le seul CSI 5* auquel j’ai pu participer a été celui de Dinard.
En avril à Fontainebleau, toujours avec Arqana, vous avez été couronnée vice-championne de France Pro Élite, devant un beau plateau de cavaliers. Que cela représente-t-il pour vous?
J’étais un peu déçue d’avoir fait une barre! (Rires) J’ai tenu la tête pendant toute la compétition, ce qui était vraiment génial. Sur le coup, j’ai été un peu déçue, mais au moment de monter sur le podium, ce n’a été que de la satisfaction. Cela n’arrive pas toutes les semaines! J’étais contente d’avoir senti que je maîtrisais la situation du début jusqu’à la quasi-fin. C’est quelque chose que j’aime!
Quelles indications cela vous donne sur les capacités de votre jument à tenir lors de tels championnats?
Je les connaissais déjà et n’ai pas tant eu besoin de ce concours pour les découvrir. J’élabore souvent mes programmes de manière à pouvoir sauter trois épreuves au cours d’un même événement. Arqana est une jument qui tient sur la durée, dotée de sang et d’influx. Elle ne faiblit pas et pourrait même enchaîner quatre parcours s’il le fallait. Comme à Chantilly Classic, où après avoir été sans-faute le premier jour, elle a fait de même dans l’épreuve à barrage du jour suivant, puis dans le Grand Prix. Elle tient jusqu’au bout. J’étais déjà convaincue par ses qualités.
Mi-mai, vous avez participé à la Coupe des nations du CSIO 3* de Kronenberg, aux Pays-Bas, où la France s’est imposée, mais vos scores n’ont pas compté. Comment l’avez-vous vécu ?
C’est là qu’Arqana s’est blessée dans la bouche. Nous avons participé à une épreuve d’entrée à 1,40m dans laquelle elle a été sans-faute, mais je sentais qu’elle n’était pas à l’aise à 100%. Je n’ai pas tout de suite remarqué sa blessure. En sautant moins haut, je n’avais pas les mêmes repères. Lors de notre première manche dans la Coupe des nations, elle était différente, je n’avais pas la connexion habituelle. Je n’allais pas changer de mors entre les deux manches, c’était délicat car tout allait vite. J’ai amélioré nos scores avec seulement quatre points, mais ce n’était pas assez bien. À partir de là, j’ai dû lui enlever le mors de la bouche pour que la blessure guérisse. La bouche est l’endroit qui cicatrice le plus vite donc cela n’a pas pris trop de temps. Cela m’a tout de même donné la sensation d’avoir réalisé une contre-performance, car il a fallu que je compose et j’ai en quelque sorte subi cette épreuve, contrairement à d’habitude. Concourant pour l'équipe, nous nous devions d’aller au bout des choses, donc nous avons fait au mieux.
L’an dernier, vous disiez vouloir concourir dans une Coupe des nations de niveau 5*. Pourquoi cela ne s’est-il pas fait? Est-ce un objectif pour 2024?
Aucune idée! Je ne suis peut-être pas assez bonne, je n’en sais rien. (Sourire) J’ai déjà demandé à participer à deux CSI 5* cette année, La Baule et Dinard. Je n’ai pas été prise pour La Baule, qui se tenait juste après Kronenberg. Je pense que ce qu’il s’est passé là-bas ne nous a pas aidées à décrocher cette sélection. Et pour Dinard, il a fallu que je me batte. Cela me cause pas mal d’interrogations et des déceptions. Nous donnons notre maximum, nous sommes là quand on nous demande d’être présentes. Ce n’est pas grave, mais c’est juste un peu décevant au moment où on nous dit non. Je suis de nature travailleuse. J’aimerais bien que cela se fasse en 2024, car j’ai une jument qui me permet de le faire. Elle en a les capacités et j’espère les avoir aussi. Je ne demande pas de faire la Coupe des nations de La Baule non plus... Nous verrons bien si j’en ai l’occasion.
“Je pense qu’aujourd’hui, il est important d’avoir ses propres chevaux“
Comment évoluent vos autres chevaux?
Arqana est omniprésente et la locomotive de l’écurie, mais j’ai la chance de pouvoir compter sur d’autres chevaux. Chanel de la Ronelle (SF, Tip Top de la Ronelle x Indoctro) devait être commercialisée, mais l’opération a traîné un petit peu et les propriétaires ont décidé de la garder. Nous allons continuer le sport et ils la garderont pour l’élevage. C’est une jument qui a toujours été aux côtés d’Arqana pour l’épauler. J’ai trois autres chevaux de huit ans vraiment sympas. La question qui se pose est de savoir s'ils seront capables de prendre la relève d’Arqana. Il est toujours difficile de le dire à l’avance et trouver un cheval de son niveau ne sera pas facile non plus. On ne va pas se mentir, je n’aurais peut-être qu’elle dans ma vie. Il ne faut pas avoir de faux espoirs. Néanmoins, mes parents et moi commençons à faire de l’élevage avec des juments que j’ai montées en concours jusqu’à 1,45m. J’ai une bonne poulinière avec laquelle j’ai fait mes armes à l’époque dans des plus grosses épreuves. J’aime les former, les voir naître et faire tout de A à Z. Bien sûr avec l’aide de mon cavalier, je ne suis pas toute seule. Les chevaux qui arrivent ont l’air plutôt prometteurs et c'est aussi quelque chose qui me fait vibrer. Je ne dis pas que je monterais quatorze chevaux de quatre et cinq ans, mais plutôt un petit nombre. Nous essayons de croiser de bons étalons avec des poulinières prometteuses. Peut-être qu’un jour, comme tous les petits éleveurs l’espèrent, nous feront naître un cheval du calibre d’Arqana. Il est bon de rêver, c’est ce qui nous fait nous lever le matin ! Si nous ne rêvons plus, nous ne vivons plus.
L’élevage représente-t-il une fierté pour vous?
Bien sûr! Je pense qu’aujourd’hui, il est important d’avoir ses propres chevaux. Je trouve que c’est pratique. Les concours coûtent de plus cher et cela devient de plus en plus compliqué pour les propriétaires de pouvoir suivre financièrement. Il faut aussi penser à eux. Nous sommes en train de changer de système petit à petit et d’essayer de travailler avec des produits de chez nous, qui nous appartiennent et pour lesquels nous décidons.
Quels sont vos prochains objectifs?
Il est difficile d’avoir des objectifs quand on a l’impression d’être un peu lâchés dans la nature vis-à-vis des concours. J’aime savoir où je vais. Lors de la conception de mon programme, je fais mes demandes, mais je ne suis jamais sûre de pouvoir participer à chaque concours que j’ai décidé de faire. Il faut avoir un plan A, un plan B et par moments, il y a un plan C. Pour la suite de la saison, j’ai demandé le CSI 3* de Lier début septembre. Normalement, il y aura aussi la finale de la ligue européenne des Coupes des nations. J’aimerais y participer si on m’en donne l’opportunité.
Que souhaiteriez-vous pour le moyen et long terme?
Être heureuse! (Rires) J’aimerais pouvoir participer à davantage de CSI 5* et concourir en première ligue. Peut-être pas toutes les semaines parce que je n’ai qu’une jument et je ne veux pas avoir l’impression de l’utiliser pour avoir accès à des concours, mais elle mérite de sauter un peu plus haut. Nous aviserons ensuite en fonction de cela. Peut-être que nous penserons à lui faire un peu de transfert d’embryon l’an prochain. C’est quelque chose que je n’ai jamais fait. Je n’ai pas envie que cela la perturbe. Nous verrons bien. Si jamais cela se stabilise, j’aimerais faire un peu de 3 et 4*.
L’association de votre famille Adapt’Equit a fait l’objet d’un article dans notre hors-série d’été dédié aux initiatives inspirantes. Quel regard portez-vous sur ce projet?
Je suis super fière! Ma mère a toujours été motivée par ce projet. Nous sommes arrivés là où nous en sommes dans nos écuries (à Bailleul, dans le Nord, ndlr) pour cela. J’étais encore à l’école et je n’avais encore aucune idée de si je voulais faire de l’équitation mon métier. Le fondement de cette écurie est cette association. Je n’y travaille pas à cent pour cent, mais j’y suis quand même parfois. Dans notre partie, nous accueillons aussi les jeunes en difficulté et nous essayons de leur apprendre les métiers de groom et de palefrenier. Nous passons du temps avec eux. J’aime faire cela ! J’ai moins le temps de le faire que ma mère et ma sœur, mais j’espère que ce projet ne mourra jamais.