Philippe Guerdat poussé vers la sortie ?

Après six années de bons et loyaux services, Philippe Guerdat pourrait quitter son poste de sélectionneur de l’équipe de France de saut d’obstacles. Dans la mesure où les Bleus, seulement neuvièmes des Jeux équestres mondiaux de Tryon, ne sont pas encore parvenus à se qualifier pour les Jeux olympiques, la Fédération française d’équitation remet en question son système et sa stratégie, avec pour objectif premier d’arracher son ticket pour Tokyo 2020. Et elle pourrait modifier la composition de son encadrement technique d’ici la fin de l’année.



Philippe Guerdat vit peut-être ses dernières semaines à la tête de l’équipe de France de saut d’obstacles. Nommé en février 2013, le Suisse a conduit le quatuor vainqueur de la finale mondiale des Coupes des nations quelques mois plus tard à Barcelone, puis celui médaillé d’argent aux Jeux équestres mondiaux de Normandie l’année suivante et celui sacré champion olympique en 2016 à Rio de Janeiro – un exploit après lequel les Bleus galopaient depuis quarante ans! Sous sa conduite, Roger-Yves Bost a été couronné champion d’Europe en 2013 avec Myrtille Paulois, Patrice Delaveau est devenu vice-champion du monde en 2014 avec Orient Express*HDC, et Simon Delestre a été médaillé de bronze aux Européens de 2015 avec Hermès Ryan des Hayettes. En six ans, l’ancien cavalier international a également remporté nombre de Coupes des nations, dont celles de La Baule en 2014 et 2017, Rotterdam en 2014 et Saint-Gall en 2018, pour ne citer que les plus prestigieuses.
 
Pour autant, depuis 2016, la dynamique est clairement moins positive. Septième des championnats d’Europe Longines de Göteborg et neuvième des Jeux équestres mondiaux de Tryon, le saut d’obstacles français traverse une mauvaise passe. Si 2017 s’annonçait logiquement comme une année de transition, devant permettre à quelques piliers de souffler et à de nouveaux couples d’émerger, 2018 aurait dû amorcer une remontée en puissance. Avec un objectif prioritaire: terminer parmi les six meilleures équipes aux JEM et décrocher une qualification pour les Jeux olympiques de Tokyo. “C’était évidemment notre but, même si nous gardions aussi un espoir de médaille dans un coin de la tête. Généralement, les écarts sont si serrés dans ces grands championnats…”, avoue Sophie Dubourg, directrice technique nationale de la Fédération française d’équitation, contactée ce midi par GRANDPRIX. “Il faut accepter que le haut niveau fonctionne en cycles”, avait-elle aussi déclaré lors de l’assemblée générale de la FFE, le 15 novembre à Lamotte-Beuvron.
 
L’objectif n’ayant pas été atteint, la FFE a lancé un vaste processus de remise en cause de son système et de sa stratégie. “Cela me semble tout à fait normal dans un tel cas de figure. Dès lors, nous analysons nos résultats collectifs ainsi que les performances individuelles de nos cavaliers, notamment au regard de leur position au classement mondial Longines. Nous disposons à la fois de grands cavaliers et du soutien de propriétaires fidèles. En outre, compte tenu du grand nombre de CSI 4 et 5* organisés en France, nos couples ne manquent pas d’opportunités de s’illustrer et de marquer des points pour progresser au classement”, note très justement Sophie Dubourg. Il est vrai que les Tricolores ne cessent de reculer dans la hiérarchie mondiale. Depuis octobre, il n’y a plus de Français dans le top dix. On n’en trouve plus que deux dans le top vingt, Kevin Staut et Simon Delestre, et seulement un de plus, Julien Épaillard, dans le top cinquante. Pour autant, ils sont vingt-huit parmi les deux cent cinquante premiers, contre vingt-cinq en novembre 2015 et vingt en novembre 2016. En clair, les Bleus sont moins tranchants au plus haut niveau, mais plus performants en CSI 3 et 4*.
 


Que peut-on reprocher au Suisse ?

 
Alors, Philippe Guerdat n’aurait-il pas misé sur les bons couples aux JEM? Si l’on additionne les blessures d’Aquila*HDC et Sangria du Coty, les excellents chevaux de tête de Patrice Delaveau et Roger-Yves Bost, et l’indisponibilité du crack de Simon Delestre, Hermès Ryan des Hayettes, qui souffrait finalement de la maladie de Lyme et qui n’aurait de toute façon pas traversé l’Atlantique, son vivier de couples disponibles s’est considérablement réduit. Hormis Cédric Angot et Saxo de la Cour, revenu un poil trop tard à son meilleur niveau pour pouvoir être testé dans une Coupe des nations, qui d’autre aurait pu être envoyé à Tryon? Le sélectionneur national peut-il être tenu pour responsable de la vente de Sydney une Prince, la crack olympique de Bosty? De la fin de la collaboration entre le haras de Clarbec et Pénélope Leprevost? De l’absence prolongée de Rahotep de Toscane, le partenaire de Philippe Rozier aux JO? Non, en aucun cas. N’a-t-il pas donné leur chance à un maximum de cavaliers en CSIO? Si, plus qu’aucun autre avant lui. Du reste, selon plusieurs sources, il reste soutenu par une très large majorité de pilotes. Ceux-ci l’auraient fait savoir lundi dernier à Lamotte-Beuvron lors d’une réunion convoquée par Serge Lecomte, président de la FFE, qui s’est également entretenu avec les principaux propriétaires français et le sélectionneur lui-même.
 
Quoi qu’il en soit, le temps presse pour le staff technique. Dans moins de neuf mois se profilent déjà les championnats d’Europe de Rotterdam, où la France devra repartir à la conquête de sa qualification olympique. Alors qu’il n’y aura que trois places en jeu, elle devra lutter avec l’Irlande, championne d’Europe en titre, la Belgique, victorieuse de la dernière finale Longines de Barcelone, mais aussi la Grande-Bretagne, l’Italie, Israël, l’Espagne ou le Portugal. Rappelons aussi qu’un tout dernier ticket sera mis en jeu lors de la prochaine finale mondiale des Coupes des nations. “Lundi, ce n’était pas tant le cas de Philippe Guerdat qui était au cœur des discussions, mais l’état général des troupes tricolores”, assure Philippe Rozier. “Nous n’avons pas assez de chevaux de haut niveau en France, cela fait partie du constat. Ces deux dernières saisons, nous sommes passés à côté du grand championnat de l’année, et nous avons manqué notre qualification olympique. La situation est très critique et, désormais, nous qualifier pour les Jeux de Tokyo me semble difficile… Si nous n’y arrivons pas, nous devrons attendre les Jeux de Paris dans six ans, et je n’ai pas envie de ça!”
 


Le grand retour d’Henk Nooren ? L'arrivée de Philippe Rozier ?

 
Afin de se donner les meilleures chances de briller à Rotterdam, mais aussi de construire des couples en vue des JO, la FFE envisagerait de réunir plus régulièrement ses cavaliers en stage, comme elle le fait déjà avec ses meilleurs couples de concours complet, qui accumulent les succès depuis trois ans, et ses meilleures paires de dressage, discipline où les progrès sont franchement moins notables. Omniprésent en concours tout au long de l’année, et pas seulement au plus haut niveau international, Philippe Guerdat endossera-t-il cette nouvelle mission? Ou bien la FFE fera-t-elle appel à un technicien pour l’assister, voire le remplacer? Le nom de Henk Nooren, qui avait occupé le poste d’entraîneur en 2009 et 2010 – en duo avec Laurent Élias, alors sélectionneur – puis d’entraîneur-sélectionneur en 2011 et 2012, circule à nouveau autour des paddocks.
 
Philippe Rozier aussi occupe les conversations depuis quelques semaines. “Il est vrai que mon nom a circulé. Honnêtement, je n’ai jamais reçu de proposition officielle de la part de la Fédération, mais nous en avons déjà discuté plusieurs fois, et ce depuis plusieurs années déjà”, reconnaît-il. “J’ai trente-cinq ans de carrière derrière moi, cinq participations aux Jeux olympiques (dont trois en tant que titulaire, en 1984 à Los Angeles, 2000 à Sydney et 2016 à Rio, ndlr), et j’ai été chef d’équipe du Maroc pendant quatre ans. Ce sont des arguments qui comptent, je pense. Aider l’équipe de France est très important pour moi, de quelque manière que ce soit. Je l’ai fait à Rio quand j’ai accepté d’être réserviste, et cela n’a pas si mal marché!”
 
Philippe Guerdat accepterait-il de travailler en duo avec un autre technicien? Pas sûr. C’est peut-être l’enjeu des discussions en cours. Contacté ce matin, le Suisse n’a souhaité commenter la situation. Quoi qu’il en soit, une décision devrait être prise avant la fin de l’année.