Quelle est la plus-value des concepteurs de sols spécialisés?

Quels sont les risques de faire appel à des constructeurs non spécialisés? La construction d’une carrière serait-elle plus simple qu’on ne le pense? Comment reconnaître un bon professionnel? Peut-on s’appuyer sur des garanties? Quelles sont les questions à poser lors du devis? Le terrain est-il propice à un chantier? Les interrogations fusent lors de chaque projet de création ou rénovation de carrière, et ce à juste titre, car le coût engendré n’est pas anodin, sans compter le risque d’abîmer le terrain. Plusieurs professionnels spécialisés ont pris la parole pour conseiller, discuter et alerter.

L’absence de normes au quotidien, un appui en moins pour le consommateur

Les sols équestres ne sont légalement soumis à aucune norme ou cahier des charges de référence, exceptés pour les sols de compétitions de niveau CSI 5*, depuis 2022. “Cette absence de normes est à la fois un atout et un inconvénient”, débute Édouard Seynhaeve, co-gérant d’Environnement Équestre, société particulièrement active en recherche et développement. “D’un côté, elle nous offre une liberté d’innovation, puisque nos seuls interlocuteurs sont les vétérinaires et les clients. En contrepartie, il incombe au seul consommateur de tester la diversité des produits sur le marché et de gérer les coûts et problèmes rencontrés si un nouveau matériau ne lui convient pas d’un point de vue technique et/ou sanitaire.” 

À défaut de pouvoir s’appuyer sur des normes, les consommateurs peuvent s’orienter s’ils le souhaitent vers des entreprises certifiées pour leurs performances en sols équestres. “Nous avons fait certifier notre entreprise par Qualisport pour soutenir le choix de nos clients. Mais, à la fin, les seuls juges sont les chevaux évoluant sur notre sol”, reprend Édouard Seynhaeve. Reconnu par le ministère des Sports, Qualisport permet d’attester de la compétence et du professionnalisme d’une entreprise pour réaliser une prestation déterminée. L’attribution de qualifications est basée sur le respect d’exigences administratives, juridiques, financières, matérielles et techniques définies par un organisme de qualification indépendant et impartial. Un certificat de qualification – le n°150 sur la nomenclature Qualisport, pour la création de sols sportifs de carrières, manèges, ronds de longe, etc., en l’occurrence – est attribué pour une durée de deux ans, renouvelable, sur la validation d’un jury professionnel. L’entretien et la maintenance des sols équestres sont également prévus sous la nomenclature n°864. Néanmoins, ce seul critère ne peut être pris en compte, puisque seulement trois sociétés spécialisées en sols équestres sont certifiées en 2023 sous la nomenclature n°150, alors qu’une dizaine d’entre elles sont présentes sur le marché. “Nous avons des difficultés lorsque nous recherchons une entreprise spécialisée, car, à ma connaissance, il n’existe pas d’annuaire regroupant ces dernières”, relève Michel, un lecteur interrogé au cours d’un sondage en ligne sur les sols effectué par GRANDPRIX il y a quelques mois. “L’idéal serait d’avoir un tel annuaire et une carte interactive. Ainsi, nous pourrions nous tourner plus facilement vers un concepteur spécialisé plutôt que d’aller vers des terrassiers plus généraux.” 

La Fédération équestre internationale (FEI) a publié un Livre blanc sur les surfaces équines (disponible en téléchargement sur le site de la FEI) lors d’un forum d’experts tenu à Lausanne, en avril 2015. L’étude reprend divers résultats de recherches scientifiques concernant les effets des sols sur la santé orthopédique des chevaux de sport. “Cette étude a été complétée par la mise au point d’un appareil mesurant quatre principales caractéristiques: fermeté, amortissement, réactivité et grip, ou plutôt la glissance, nécessaire pour le bon déroulé du pied. Il ne faut pas oublier un cinquième caractère, l’uniformité, étant sans doute le plus important!”, informe Francis Clément, à la tête de la société Toubin & Clément, l’une des pionnières et leaders du marché, établie à La Boissière-École, dans les Yvelines. “L’appareil – mis au point par un expert en biomécanique des sols – reproduit l’impact du sabot sur le sol, et des capteurs en prennent les mesures. L’expert a combiné ses mesures avec les ressentis des cavaliers. Au final, cet appareil est un bon point pour le haut niveau et permet de dépasser le seul ressenti. Ces qualités mesurables ont été appliquées par la FEI, en 2022, sur le circuit de la Coupe du monde Longines. À l’heure actuelle, c’est un appareil réservé pour le sport de haut niveau. Pour les amateurs désirant réaliser un bon sol chez eux, cela ne révolutionne pas le secteur des sols équestres, dans la mesure où le bon sens reste de mise, et ce sur tous les chantiers. La France a la chance d’être le pays européen comptant le plus de concepteurs de sols spécialisés équestres!”

Le cas des carrières en herbe

Les heureux cavaliers ayant la chance de disposer d’un terrain en herbe à peu près plats vont souvent se poser la question d’en faire un terrain d’entraînement. Pas de dépense de décaissage ni de fondation, tout au plus un petit budget sable : le projet semble idéal à première vue et ne nécessiterait pas le recours à un spécialiste. “Si vous avez un sol particulièrement bon, c’est-à-dire sablo-limoneux, voire sableux, et drainant, on peut en effet créer une surface d’entraînement. Le sable favorise l’enracinement et permet un usage sportif, mais non intensif, car le gazon s’abîme vite”, commente Aimery Gregori, gérant de Fibersoil, installée à une trentaine de kilomètres au sud de Paris et experte en surfaces équestres haut de gamme, notamment en entretien et maintenance des gazons sportifs naturels. “Néanmoins, ce genre de terrain est rare et, le plus souvent, sabler un terrain en herbe ne donne aucun résultat. Tout se mélange rapidement et donne une faible portance en hiver.” “Faute de budget, j’ai voulu investir dans un sable local pour le poser sur mon rectangle d’herbe qui me servait de surface d’entraînement. Le sable a fini par s’enfoncer et laisser place à de la boue, quand il ne s’échappait pas dès le moindre déluge. En outre, l’herbe glissait et j’ai failli faire tomber mon cheval plusieurs fois. Résultat, j’ai gâché de l’argent pour le sable et j’ai en plus abîmé ce terrain”, regrettait une lectrice interrogée au cours du sondage en ligne, évoqué en amont. “Je connais quelques personnes pouvant utiliser leur carrière en herbe toute l’année, mais je sais que c’est loin d’être une généralité. Je pense que je me méfierais si l’on me recommandait cela pour une aire équestre”, poursuit Jérémy, un autre sondé. 

Tout comme les aires en sable, les aires en herbe n’ont pas de normes attitrées. En effet, la norme française AFNOR NFP90113, parfois évoquée dans le cas de terrains de grands jeux en pelouse naturelle, exclut spécifiquement les sols équestres. Dès lors, seule l’expérience du concepteur sera gage de garantie!

La sélection d’un concepteur spécialisé, l’heure du choix

Si le consommateur décide de se tourner vers un concepteur spécialisé, sur quels critères se baser – autre que le prix du devis – pour le sélectionner? “Le client en recherche se base généralement sur l’expérience du constructeur. Pour les nouveaux concepteurs, et pour tous les autres acteurs en général, le bouche-à-oreille fonctionne bien”, analyse Arnaud Malgras, gérant de la société Équiplus Sols Équestres, installée à Noisseville, en Moselle. “Le client peut également se baser sur les éventuelles garanties du concepteur (dix ans dans le cas d’Équiplus, ndlr) et les témoignages écrits. Ces derniers ont la faveur des acteurs du secteur public afin de monter des dossiers de financement, par exemple, ou tout simplement pour s’appuyer sur des avis de particuliers et professionnels, à défaut de pouvoir faire le leur s’ils ne sont pas équitants.” 

“Plusieurs points sont à vérifier lorsque l’on étudie le sérieux d’une entreprise conceptrice de sols équestres. En premier lieu, le concepteur doit pouvoir se déplacer au moins une fois sur le projet avant de chiffrer un devis”, énumère à son tour Victoria Bonnet, ingénieure commerciale sols équestres chez ÉCOÉCURIE, marque du groupe ÉCOVÉGÉTAL, localisée à Broué, en Eure-et-Loir. “Il doit également être en mesure d’envoyer des fiches techniques des produits et/ou des échantillons, si le client le demande. Il doit pouvoir avancer une garantie sur un ou plusieurs de ses produits, s’adapter au projet et aux besoins du client sans que cela ne pose problème – s’adapter aux disciplines pratiquées, au budget du client, à la capacité d’entretien et d’arrosage, ou encore s’il est possible de ne pas fournir la mise en œuvre si le client demande simplement les fournitures –, et être apte à indiquer quelles sont les réalisations déjà effectuées. Bien sûr, le réflexe de regarder les avis clients sur le site internet du concepteur – se devant d’être une bonne vitrine – ou sur les réseaux sociaux est un bon point, mais le mieux est encore de demander aux clients ayant déjà travaillé avec ce professionnel. Enfin, il est préférable que ce dernier puisse faire un chiffrage détaillé au sein de son devis, comprenant à la fois les fournitures et la mise en œuvre. En dernier lieu, il se doit d’effectuer un suivi du projet complet, c’est-à-dire avant, pendant et après.”

Compter sur la plus-value du concepteur spécialisé

“Tous les concepteurs spécialisés sont ou ont été cavaliers ou, du moins, ont un vrai pied dans l’univers du cheval”, reprend Victoria Bonnet. “Ils ont donc l’œil pour voir un cheval se déplacer sur les sols en fonction des attentes de l’utilisateur, et savent analyser son bien-être en fonction du sol choisi. Ils accompagnent leurs clients concernant l’entretien pour la durabilité du sol: ramasser les crottins, déplacer le parc à obstacles, herser, etc. Bref, tous ces détails qui sont loin d’être anodins et qui permettent d’obtenir un sol équestre de travail durable et de qualité.” “Un terrassier classique a ses propres compétences, mais n’aura pas le savoir-faire d’un concepteur spécialisé”, appuie Arnaud Malgras, de la société Équiplus, fondée il y a quinze ans. “Il ne peut pas connaître les impacts des sauts, les zones d’abord et de réception, les virages, les besoins de glissance et de rebond, etc. Un terrassier classique ne peut pas non plus tester en interne de nouveaux produits spécialisés, à l’instar de la subirrigation (testée durant cinq ans avant d’être commercialisée dans le cas d’Équiplus, ndlr). Enfin, j’ai malheureusement pu constater qu’un terrassier non spécialisé est souvent moins alerte vis-à-vis du bien-être des chevaux et, par exemple, banalisera le nivelage de la carrière, pourtant primordial dans notre secteur d’activité. D’ailleurs, les concepteurs spécialisés ont des niveleuses de haute précision, ce qui est rarement le cas d’un terrassier classique. Un terrassier généraliste ne se rend pas compte de l’impact du cheval sur la piste.” 

Existerait-il une solution afin de combiner l’expertise du concepteur spécialisé et celle du terrassier généraliste? “J’ai connu quelques amis ayant fait appel à deux entreprises sur leur projet de carrière : le terrassier généraliste a élaboré le fond de forme, et le concepteur spécialiste la couche de travail”, informe Sandrine, l’une des lectrices interrogées au cours du sondage en ligne. “Je tiens à préciser que les deux entreprises ont communiqué entre elles, et que c’est bien l’entreprise spécialiste qui fut la donneuse d’ordres lorsqu’il a été question du fond de forme. Cette solution me semble donc possible, à condition que les deux entreprises acceptent de collaborer.”

La redoutée malfaçon

Au fil des mois et des ans, une aire équestre va se bonifier, garder son lustre d’antan ou, au contraire, se dégrader. Outre les conditions d’usure habituelles, la dégradation est la conséquence d’une malfaçon. “J’ai voulu passer par un terrassier généraliste il y a trois ans, tout simplement pour une question de budget. Les devis que j’avais fait faire par des spécialistes représentaient le double, voire le triple de celui du terrassier, donc le choix a été rapidement fait”, se remémore Louise, une lectrice. “Je n’y connaissais rien en sable, en drainage, en portance, etc., alors j’ai laissé faire le professionnel. La carrière a été réalisée dans les temps et semblait saine à première vue. Hélas, j’ai vite déchanté! Le sable était trop profond par endroit et trop dur à d’autres, et il répondait mal au hersage. Cependant, le drainage était bon, car je n’avais pas de flaques, mais peut-être pas assez pour le coup, car le sable était toujours trop sec. Le terrassier a été à mon écoute et a pu rattraper les choses. Aujourd’hui, la carrière est d’une bien meilleure qualité, mais j’ai quand même dû ajouter une rallonge à mon budget – même si le terrassier a été très honnête sur son prix – et, surtout, j’ai dû restreindre au maximum mon activité dans la carrière avant cela, car ma jument commençait à être irrégulière sur ce terrain. Je ne regrette pas d’avoir fait appel à ce terrassier généraliste, mais je pense que j’ai eu de la chance sur ce chantier…” 

De l’expérience de spécialistes, les projets d’une aire équestre effectués par des terrassiers généralistes présentent régulièrement des malfaçons. “J’ai été contacté par une cliente ayant fait réaliser sa carrière par une entreprise générale de terrassement. Mécontente du rendu, elle m’a demandé un devis pour une rénovation”, narre Aimery Gregori. “Le terrassier a bien décaissé, s’est occupé du fond de forme et a choisi une grave (mélange de cailloux, graviers et sables, ndlr) de fondation. La cliente avait choisi un bon sable pour la couche de travail. Tout allait bien, a priori, mais, malheureusement, le fond de forme était non conforme et toute la carrière en a pâti. Sur ce dossier, un procès est en cours pour malfaçon. Dès lors, nous n’avons plus le droit d’intervenir pour apporter nos solutions techniques. Une telle procédure peut, hélas, durer deux à trois ans. Ce n’est malheureusement pas un cas isolé. Naturellement, un client victime de malfaçon sera très méfiant, pouvant par la suite découler sur des relations tendues avec les futurs autres concepteurs. Bref, une malheureuse expérience de la vie dont tout le monde se serait passé.”

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX.