L’étude “Happy Athlete” menée sur les chevaux de haut niveau livre ses premiers résultats

Depuis 2022, Romane Phélipon, doctorante en éthologie équine, mène une thèse afin d’identifier les signes de bien-être chez les chevaux de sport de haut niveau. Les premiers résultats de ce travail de recherche, intitulé “Happy Athlete”, montrent qu’un mode de vie au plus proche des besoins physiologiques de l’animal est tout à fait compatible avec la compétition de haute intensité.



Depuis 2022, une thèse intitulée “Happy Athlete” est conduite par Romane Phélipon, doctorante en éthologie (étude scientifique du comportement des espèces animales) équine, encadrée par Léa Lansade, chercheuse en éthologie, et financée par ÉquiAction, le fonds de dotation de la Fédération française d’équitation (FFE), en partenariat avec l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) et l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Les premiers travaux ont débuté à la demande de la FFE avec pour objectif de démontrer la compatibilité du bien-être des chevaux et de la compétition à haut niveau. Le projet se déroule en trois temps: état des lieux du bien-être des chevaux de haut niveau et identification des facteurs qui le favorisent, mise en relation de cet état avec des indicateurs positifs en compétition et évaluer la capacité du grand public à percevoir les émotions du cheval.



Quels sont les besoins fondamentaux des équidés?

Les besoins fondamentaux des poneys et chevaux, de loisirs comme de haut niveau, peuvent être résumés au travers du concept anglais des 3F (forage, freedom & friends). En premier lieu, il convient de garantir une alimentation adaptée riche en fibres. Le cheval est un herbivore qui, à l’état naturel, se nourrit principalement de végétaux pendant quinze à dix-neuf heures par jour et dont le système digestif est fait pour recevoir de petites quantités de nourriture de manière continue. Les fibres, que l’on trouve principalement dans l’herbe et le foin, sont indispensables au cheval et l’accès illimité à cette ressource lui permet de s’alimenter selon son propre rythme naturel. En deuxième lieu, il faut favoriser le déplacement libre (sans cavalier, sans longe et hors marcheur). À l’état naturel, les chevaux consacrent la majeure partie de leur temps à des déplacements lents, qui leur permettent notamment de se nourrir. Ainsi, leur organisme fonctionne de façon optimale.

Offrir aux chevaux des temps de déplacements en liberté, dans un paddock ou un pré, fait donc partie des éléments indispensables au bon fonctionnement de l’animal. De plus, il est observé que la régularité de ces sorties permet d’éviter l’effet rebond, cette tendance parfois constatée de chevaux galopants ou ruant de façon excessive lors de leur mise en liberté. En sortant régulièrement les chevaux dans un environnement familier, on limite ainsi le risque de blessure. En troisième lieu, on doit permettre des contacts sociaux avec des congénères. le cheval est un animal grégaire et sensible. Au contact de congénères, il crée des relations particulières avec chacun d’eux. Il affectionne particulièrement la proximité de ceux qu’il apprécie le plus, échangeant même avec eux des moments de détente et de complicité (grattage mutuel, découverte de nouveaux espaces, temps de repos, chasse-mouches, etc.)



Plus de trois mille observations sur près d’une centaine de chevaux de haut niveau

Pour réaliser l’état des lieux du bien-être des chevaux de haut niveau, véritables athlètes bénéficiant d’un entraînement sur mesure et de soins quotidiens, Romane Phélipon, installée à l’INRAE près de Tours, en Indre-et-Loire, a effectué des observations de terrain pendant six mois, se rendant dans treize écuries de saut d’obstacles et de concours complet de haut niveau. Au total, elle a réalisé 3.327 observations et des protocoles évaluant le bien-être d’une centaine de chevaux de sport. La chercheuse a ensuite mis en relation un ratio de comportements anormaux observés avec les 3F. Ces comportements anormaux peuvent être de plusieurs natures: apathie, hypervigilance, agressivité ou stéréotypies (séquences de mouvements répétitifs, sans but ni fonction évidente). D’après les observations, près de trois quart des chevaux de sport haut niveau observés n’ont développé aucune stéréotypie.

“Romane Phélipon a démontré qu’il est possible de respecter les 3F chez les chevaux pratiquant un sport à haut niveau et que cela leur est même bénéfique”, se félicite la FFE dans un communiqué paru la semaine passée. Par ailleurs, 43% des chevaux ont un accès illimité à du fourrage. Ceux-ci développent statistiquement moins de comportements anormaux que les chevaux qui n’ont pas accès au fourrage à tout instant. À noter que ces chevaux de sport, bénéficiant d’un accès illimité au fourrage, ne présentent pas de problème de surpoids.

Par ailleurs, plus les chevaux sortent en liberté et moins ils expriment des comportements anormaux. Près de trois quarts des chevaux observés sortent au moins six fois par semaine en liberté et 64% des chevaux observés sont sortis tous les jours en liberté. Concernant l’état des chevaux observés, aucun d’entre eux ne présentant de blessure, le critère observable d’alopécie (zone sans poil sur le corps, sans lien avec le frottement du harnachement ou des protections) a été retenu. Il a permis de mettre en lumière que les chevaux sortant régulièrement en liberté en extérieur présentaient moins de zones d’alopécie que leurs congénères vivant exclusivement dans un box.

Les chevaux de sport de haut niveau développent moins de comportements anormaux quand ils ont des contacts sociaux riches. Concernant les interactions entre eux, quatre niveaux de contact ont été observés: interaction visuelle, interaction olfactive, interaction tactile partielle et interaction totale (pour les chevaux vivant en groupe au pré). Il a été constaté une différence significative des comportements anormaux pour les 14% de chevaux qui avaient des interactions physiques partielles ou totales avec leurs congénères. Par ailleurs, pour ces chevaux, aucune blessure liée à ces interactions n’a été constatée, “mettant en lumière l’attention particulière portée par les cavaliers et leurs équipes pour réunir les chevaux par affinité”, selon le communiqué fédéral.

De plus, les observations de Romane Phélipon ont montré qu’à l’entraînement, quasiment 90% des chevaux de sport de haut niveau sont montés en mors simples, à olives ou double brisure, et que presque les trois quarts (73%) sont montés “sans enrênement”.



La suite

“Ces premiers résultats démontrent de manière objective que plus d’un tiers des chevaux de haut niveau observés ont des conditions de vie qui respectent au mieux les 3F. Ces chevaux ne présentent aucun comportement anormal, ou significativement moins, que les chevaux dont les conditions de détention seraient différentes”, conclut la doctorante. Cela signifie en creux que près de deux tiers ne sont pas détenus dans des conditions optimales, et que nombre d’écuries de haut niveau ont encore du pain sur la planche. La prochaine étape de la thèse a pour objectif de corréler ces états de bien-être avec les performances sportives et caractériser objectivement les comportements et expressions faciales en entrée/sortie de piste ainsi que lors des parcours. Pour cela, Romane Phélipon va analyser une base d’images et de vidéos collectées en 2023 pour relier ces expressions faciales aux parcours réalisés et aux données de l’état des lieux déjà réalisé. Elle réfléchit d’abord à l’élaboration d’un indice de performance pour mettre en relation ses observations dans les écuries et les résultats en compétition.